Vous avez le bon jour !
par C’est Nabum
samedi 9 août 2014
Comment ça va ?
Salut à toi, ô lecteur fidèle ...
Voici ce que me conta Joseph G à propos d'un billet sur la courtoisie.
Mon chef général au turbin où je me fais exploiter et vends ma main-d’œuvre contre de la monnaie, met beaucoup d'enjeux dans le bonjour. Ainsi, il a plusieurs manières d'utiliser le bonjour, toutes teintées de domination.
La première, lorsqu'il a besoin de réaffirmer son pouvoir, vous devez comprendre que c'est à vous d'aller le saluer, trônant dans son bureau, même s'il arrive après vous.
La deuxième, lorsqu'il a besoin de vos capacités, il viendra vous saluer en personne sur votre espace de production, la question utile viendra immédiatement après, une fois son info complétée, il repartira ailleurs, vous laissant avec les questions que vous vouliez lui poser.
La troisième, vous l'avez contrarié, là, pas de bonjour, et si vous le croisez dans la journée, il vous tendra une main molle en regardant ailleurs, méprisant.
La quatrième, lorsqu'il a une inquiétude sur notre absolue soumission, il prendra 2 heures pour faire le tour de l'établissement, suave et sucré avec tous, avec un joli sourire, un petit mot pour chacun. Lorsqu'il pensera avoir déminé un mécontentement susceptible de devenir général, sa paranoïa calmée, il reviendra à sa première manière.
Je pourrais en citer plein d'autres.... Le marketing a aussi instrumentalisé une cordialité factice et automatique qu'il m'est difficile de supporter quand je croise un costard cravate vendeur de vent, dont le coaching intensif n'a pas suffi à rendre son bonjour, juste sincère.
Au-delà de ce témoignage, ô combien symptomatique, d'une époque qui dévide sa quenouille d'humanité, on peut s'interroger sur les mille et une manières de se saluer dans une société qui se plaît sans cesse à cliver, à distinguer, à séparer, à classer en castes, groupes, tribus, clans, ethnies, pour le plus grand bonheur de l'individualisme triomphant. Diviser pour mieux régner !
Dis-moi comment tu salues tes pairs et je te dirai qui tu es. Vaste entreprise à laquelle il faudrait bien plus qu'un billet, jeté à la va-vite sur le clavier, pour examiner les recoins de ce qui était naguère un corps social et qui est aujourd'hui un vaste ensemble hétéroclite et disloqué.
Il y a d'abord la forme de contact physique qui est choisie dans ce salut si codifié. Les uns s'embrassent, d'autres se touchent, certains s'empoignent quand d'autres jouent de leur corps à distance. Même au sein de chaque registre, il faut encore savoir que faire, en fonction de la région, du contexte et de l'individu qui se trouve face à vous. Un vrai casse-tête !
Prenons la banale bise. Deux, trois ou quatre ? Le nombre est révélateur d'une pratique locale : il vous situe comme membre d'une communauté géographiquement déterminée. Gare à celui qui ignore les usages, il se retrouvera la bouche en suspens et l'air bête, dans un exercice qui a bien souvent tendance à se répéter de manière excessive ! Celui qui arrive le dernier au rendez-vous en sait quelque chose, lui qui doit se lancer dans un véritable marathon de joues, plus dissemblables les unes que les autres.
La bise a même suppléé la poignée de main virile dans bien des cercles masculins. Je l'ai vue arriver, à mon grand étonnement, dans les vestiaires de rugby et j'avoue n'avoir goûté que fort modérément cette pratique qui bousculait les représentations. Petit à petit, elle a fait ensuite son apparition dans les groupes d'amis, ceux qui avaient passé le cap de l'enfance et du lycée. Quand ils se retrouvaient, la bise claquait.
Enfin, les confréries de toutes natures prirent le pli, à moins que ce ne fût elles qui donnèrent le la. Je ne suis pas historien de la chose, ne faisant que la décrire à distance. Les francs-maçons s'embrassent, les mariniers aussi. Je suis de ceux qui pratiquent sans enthousiasme ce rituel que je trouve déplacé et souvent peu sincère.
La poignée de main a toujours eu ma préférence pourvu qu'elle ne soit pas répétée à l'envi quand le groupe est important. Le geste unique est de loin le plus sincère ; le ricochet qui n'en finit pas, perd de son sens. Quand le groupe est trop important, rien ne vaut un salut à la cantonade qui évite de se perdre en une gestuelle désordonnée.
J'aime beaucoup la gestuelle japonaise, pleine de déférence et toute en économie. Rien ne représente mieux le respect que cette courbette légère, retenue et si chargée en dignité. J'ai vu, avec envie, des sportifs nippons saluer ainsi le terrain et forcément, adversaires et partenaires quand ils y entraient, puis se tourner pour saluer les spectateurs sans les gestes déplacés et grotesques de nos vedettes occidentales …
Il reste encore les danses des mains auxquelles se livrent les jeunes des quartiers. Il y a là une nouvelle chorégraphie qui vous exclut quand vous n'êtes pas de la bande. Complexe, elle est faite de contacts codifiés qui ne s'improvisent pas. Plus que tout, c'est un marqueur puissant, un signe d'appartenance plus fort encore. Curieusement, c'est très souvent un salut totalement silencieux, ce qui en dit assez long sur sa signification profonde.
Je voudrais garder la meilleure place pour le geste de nos amis musulmans. J'aime, quand après avoir serré la main, ils la portent à leur cœur. Celui qui a la chance de bénéficier de ce geste fort sait alors combien il est respecté par son vis-à- vis. Il se trouve souvent bien embarrassé pour rendre la pareille car il ne s'agit nullement de singer une pratique rituelle. Je fais alors un petit salut de la tête pour rendre à ma façon ce bonjour de seigneur.
Voilà un petit tour d'horizon de ces salutations qui, paradoxalement, s'amplifient de manière excessive au sein des différents groupes, alors que dans le même temps, elles disparaissent presque totalement pour les inconnus de rencontre. Pourtant, un petit « bonjour » ne coûte pas grand chose. C'est pourtant ce joli mot qui a disparu de la circulation dans les commerces et les transports en commun, les salles de classe et sur les trottoirs. Nous y avons beaucoup perdu et l'espace commun est progressivement devenu une jungle dans laquelle on se préserve entre-soi à coups de bises ou de gestes si complexes ….
Salutationnement vôtre.