De Gaulle : un fasciste qui ne s’ignore pas tant que ça…
par Michel J. Cuny
vendredi 11 octobre 2024
Quelle était donc la situation du général de Gaulle, au milieu de son entourage français, lorsqu’un certain Jean Moulin s’apprête à lui rendre visite, à Londres, durant l’automne de l’année 1941 ? Pierre Cot était-il le seul à dénoncer en lui un… fasciste, en mettant en cause certaines de ses pratiques de gouvernement ?
Nous pouvons nous tourner vers le témoignage de Georges Catroux, général d’armée (cinq étoiles), tandis que De Gaulle n’aura toujours été, au mieux, que… général de brigade : 2 étoiles… à titre temporaire.
Gouverneur d’Indochine, le premier s’était rallié au second, tout en acceptant, dès le départ, de courber loyalement l’échine devant l’homme que Winston Churchill avait fait venir auprès de lui, les 17 et 18 juin 1940, pour donner une occasion, à la France, de rester dans la guerre qu’elle venait de perdre de façon si étrange, et grâce à des militaires félons dont De Gaulle (devenu sous-secrétaire d’État à la guerre) n’était pas l’un des moindres…
Mais c’est un autre Histoire. Restons-en à son séjour – mouvementé – à Londres… jusqu’à en venir aux mains – ou presque – avec le Premier ministre britannique… de qui le préfet de Chartres – le Jean Moulin en question – avait pu se rapprocher dès 1939… Mais c’est là, encore, une autre… histoire.
Catroux, donc… Dès le mois de janvier 1941, il s’était heurté à De Gaulle à propos d’une intervention musclée prévue, par celui-ci et sans consultation du premier, à Djibouti. Catroux écrit :
« Or, il s’agissait d’une opération de caractère à la fois militaire et politique à entreprendre sur un terrain relevant de mes responsabilités organiques et sur laquelle j’aurais par suite dû être consulté. » (Général Catroux, Dans la bataille de Méditerranée, Julliard 1949, page 97.)
Placée sous la responsabilité de la division commandée par le général Legentilhomme, il s’agissait, selon Catroux, d’une intervention « à laquelle elle répugnait, contre les Français de Djibouti ».
Il décide alors de tirer toutes les conséquences de ce qu’il considère comme un grave manquement au respect des fonctions très importantes qui lui ont été attribuées et dont il ne peut admettre qu’elles soient ainsi bafouées en sa personne. Il en profite pour nous livrer la conception qui était la sienne des rapports de pouvoir à établir de toute nécessité pour cette vaste entreprise à laquelle il avait cru devoir adhérer :
« Ma thèse était que la gestion des affaires de la France Libre exigeait une décentralisation par grands secteurs du globe et que les hommes qui l’assumeraient régionalement, devaient être consultés sur les décisions importantes. La politique du mouvement devait être concertée entre le général de Gaulle et les têtes de la France Libre. Et tel étant mon point de vue, je ne pouvais que me démettre de mes fonctions. » (Idem, page 97.)
Son offre de démission n’étant destinée qu’à lui permettre de donner toute la force nécessaire à sa mise en garde, Catroux ne va plus cesser de faire ce qu’il veut à sa façon, c’est-à-dire en assumant toutes les responsabilités de la charge qui lui a été confiée, quoi que pût en dire et en penser Charles de Gaulle. Il n’avait certes pas imaginé jusqu’où De Gaulle était capable d’aller pour aboutir malgré tout à ses fins, en Syrie et au Liban, en particulier…
Pour sa part, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, dont il faut rappeler qu’il était lui-même à Londres durant toute cette époque, et qu’il n’a cessé, plus tard, de rassembler et d’étudier une multitude de documents y afférents, écrit :
« Les membres du Conseil de défense de l’Empire [sauf le général Catroux, bien sûr] n’auront eu à connaître ni de la décision d’intervenir militairement en Syrie, ni de l’annonce de l’abolition du mandat, ni de la définition des pouvoirs du délégué général au Levant, non plus que du principe et des termes de l’ultimatum adressé le 21 juillet au ministre anglais au Proche-Orient Lyttelton, ni davantage de l’offre faite aux États-Unis de bases dans l’Empire Français Libre. Le général de Gaulle, lors de ses déplacements, informe la délégation de la France Libre à Londres, mais lui seul tient la barre : « J’ai décidé… », « J’ordonne… » » (Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Voix de la Liberté – Ici, Londres – 1940-1944, etc., page 198.)
Faudrait-il croire que tous courbaient la tête sans jamais oser avancer le premier mot ? Sans doute est-on cependant très timide, s’il faut en croire la formulation qu’utilise Jean-Louis Crémieux-Brilhac pour nous en dire davantage :
« Par deux fois, en juillet 1941, les membres présents à Londres du Conseil de défense de l’Empire lui adressent de respectueuses remontrances : le 3 juillet, parce qu’il a défini au nom du Conseil – sans avoir consulté personne – les missions du général Catroux au Levant, puis, le 25, en apprenant que l’affrontement avec Lyttelton a failli conduire à une rupture avec l’Angleterre. Ainsi Cassin lui télégraphie que « c’est sur l’esprit de cette alliance même [l’alliance britannique] que nous devons nous appuyer pour faire reconnaître que certains exécutants s’en sont écartés (…). On risquerait de compromettre l’essentiel par des actes de rupture (…) ». » (Idem, page 199.)
NB. Comme le précédent, cet article s'inscrit dans un important travail de recherche multimodale dont on trouvera le principal écho ici :
https://dejeanmoulinavladimirpoutin.wordpress.com/
Michel J. Cuny