Bilbon Sacquet-Bessac n’est pas quelqu’un de bon - ou la fantasy dans la spiritualité
par Mervis Nocteau
lundi 6 mai 2024
La fantasy n'est pas une sinécure. Et personne n'a dit qu'il fallait qu'elle mette en scène des personnages bons. D'ailleurs, nombre d'ouvrages contemporains, par exemple aux éditions Bragelonne, mettent en scène des personnages sombres (au hasard, les passionnantes Trois Lunes de Tanjor du couple surnommé Ange). Le romantisme, son vague à l'âme, avec l'aspect gothique, etc. ont la vie dure (on songe aux succulentes Chroniques des Crépusculaires de Mathieu Gaborit chez Mnémos, ou bien à Ars Obscura de François Baranger chez Denoël)*... et c'était sans parler d'univers ouvertement hard, tels que ceux des fameux Game of Thrones de J.R.R. Martin, et Witcher d'Andrzej Zapkowski.
Néanmoins, la fantasy parvient difficilement à se départir de son image bon enfant, entre le roman du Hobbit de J.R.R. Tolkien, Star Wars de Georges Lucas (après tout, la première forme de « Final Fantasy », mêlant space opera et fantasy), le film Willow de Ron Howard (et série sur Disney+ récemment), le nanardesque Donjons & Dragons de Courtney Solomon, les Final Fantasy de Square Enix, et Harry Potter de J.K. Rowling (dont on peut discuter l'appartenance pure et dure à la fantasy, puisqu'il s'agit avant tout de fantastique – il y a une nuance littéraire) sans parler de toutes les communautés de fans, plus ou moins adeptes de jeux vidéos et de jeux de rôle – jeux de société narratifs, de figurines et jusqu'aux Grandeur Nature costumés (GN), sans parler des cosplays festivaliers... Bref : la fantasy est un genre de l'imaginaire contemporain, avec ses sous-genres (incluons-y le fantastique en tant que « réalisme fantaisiste »).
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*Les Trois Lunes de Tanjor, les Chroniques des Crépusculaires et Ars Obscura : autant d'ouvrages que je rêverais de voir adaptés au cinéma.
Que s'est-il passé ? Il s'est passé que la fantasy... en exploitant basiquement les clichés, les stéréotypes et les lieux communs historiques, existant dans l'imaginaire populaire du XXème siècle... a rigidifié le phénomène, tout en l'esthétisant et le subtilisant à travers ses sous-genres. C'est-à-dire que plus la fantasy s'est imposée en tant que genre incontournable des rayons de librairie, plus elle a renforcé les idées reçues sur l'Histoire.
Si, bien entendu, tout le monde sera d'accord pour dire que « ce n'est que de la littérature » ou, du moins, que « c'est de la littérature », et que « on invente bien ce qu'on veut »... il n'en reste pas moins que les mentalités, déjà biaisées, cultivent le biaisement, et ne font pas autant ce qu'elles prétendent pouvoir librement faire qu'elles le croient.
Attention : tout ceci a toujours été le cas par le passé. Par exemple, au XIIème siècle du Crucifié, lorsqu'un clerc anonyme d'Ancienne France reprit l'Enéide de Virgile (rédigée à la fin du dernier siècle du Crucifié) en forme de Roman d'Enéas, il en fit une création originale bourrée d'anachronismes : les Achéens et Troyens s'y battent en armures féodales et à cheval pour des fiefs ! La féodalité s'est rétroprojetée dans l'antiquité, ce qui s'appelle un chronocentrisme... Et il en va de même, à l'époque, du Roman de Thèbes qui reprit la Thébaïde de Stace (écrite au premier siècle du Crucifié). Ainsi, bien que nous soyons peut-être en droit d'attendre de notre époque, un peu plus de connaissances et d'intelligence (c'est-à-dire moins de chronocentrisme) il en va de la modernité comme de la féodalité : nous détournons les choses sans vergogne, comme si elles nous appartenaient sans conséquence... C'est que nos Ancêtres ne sont plus là pour se plaindre publiquement, si nous ne les représentons pas, nous autres, vivants, en leur Souvenir.
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Dans un sens, on jugera que l'imaginaire nous appartient bien aux Modernes, puisqu'il s'agit de notre imaginaire vivace. On me tancera encore, en ajoutant que « chacun est libre de faire ce qu'il veut ». C'est, en effet, le principe de l'individualisme moderne. « Et en plus, ça fait des œuvres plaisantes et sa stimule l'imaginaire. » Oui mes braves. Tout cela, eh bien, tout cela est simple/basique, aujourd'hui, merci captain Obvious. D'ailleurs, même des mouvements traditionalistes tels que celui de l'Institut Iliade revendiquent l'héritage de J.R.R. Tolkien – notamment. Pas besoin d'être progressiste, pour comprendre que dans la matière fantaisiste gît tout un réservoir folklorique réaménagé, qui ne demande qu'à être savouré. Mille fois oui : tout cela est vrai, vrai de vrai.
Reconnaissons à J.R.R. Tolkien (et derrière lui à toutes les œuvres évoquées, et tant d'autres, mais d'abord à J.R.R. Tolkien) d'avoir mis au goût du jour la thématique des contes, des légendes, et même des mythes... en forme de romans. Sans parler de la diversification des supports médiatiques, aujourd'hui, jusqu'aux adaptations de Peter Jackson, et même d'Amazon Prime (avec ses elfes noirs, qu'il ne faut pas confondre avec les originels døkkálfar germano-scandinaves, sinon ce serait raciste).
Bref, pourquoi Bilbon Sacquet-Bessac (Bessac, selon la nouvelle traduction de Daniel Lauzon) n'est-il pas quelqu'un de bon ?
Sa mise en scène par Peter Jackson, jouée par Martin Freeman notamment, est pourtant adorable ! Elégante, intrépide, sensible, et même un peu sexy... Hélas, cela n'ôte rien au caractère assez déplorable de ce hobbit (je dis hobbit bien sûr, sans généraliser à tous les hobbits : ce serait raciste, et c'est uniquement pour ne pas me répéter).
En effet, Bilbon Bessac (on ne s'ôte pas de l'oreille, quand on a vu le film de la Fraternité de l'Anneau, Gollum sous la torture hurlant « laaa commmtééé, Saaacqueeet ! »)... Bilbon Bessac (essayons, tout de même) est un empoté. Certes apprécié par sa communauté hobbite, certes aventuré finalement – mais sur quelles bases ?... La première : un magicien l'ayant repéré, qui lui force singulièrement la main. Deuxième base : une équipée de nains qui investissent son logement, et devant lesquels il ne tient pas à être malpoli. La troisième : une forme de vanité piquée par amitié pour ce magicien (on histoire est celle... d'un touriste). La quatrième enfin : la trouvaille d'un anneau d'invisibilité bien pratique, pour se faire passer pour un cambrioleur, et mentir à ses collègues.
Or ce que les Modernes préfèrent retenir innocemment, c'est l'envie de voyager évidemment, l'envie de sortir des sentiers battus par ses petons de « stupide hobbit velu » (comme dirait Gollum). Bref : sur la base de son célibat, c'est un désamour des autres hobbits, qui l'entraîne dans le Hobbit. Sinon, il ne leur aurait pas fait faux bond dans la Fraternité de l'Anneau, pour ses cent ans ! Ce qui est une bien méchante blague, dont on me fera remarquée qu'elle lui vient de l'anneau lui-même (puisqu'il est dangereux) mais blague qui, pourtant, est la cerise sur le gâteau de son désamour pour les siens.
Oh, bien entendu, « on a le droit » de ne pas aimer les siens... mais ne pas aimer les siens, n'a jamais obligé personne à leur faire un vilain pied de nez, surtout le jour où tout le monde s'est mobilisé pour honorer notre âge ! Mais là encore, ce que les Modernes retiennent innocemment, c'est cet hobbit un peu original, un peu excentrique, un peu plaisantin... pourtant rongé par l'anneau unique, sur la base préalable d'un caractère distant.
Car voilà le plus gros problème. Les nains mettent du temps à lui faire confiance, et c'est tout à fait naturel pour leur propre survie : on ne s'en remet pas à n'importe qui sans le tester, lorsqu'il s'agit de reconquérir son royaume contre mille dangers. Vraiment, de quoi est capable Bilbon Bessac, tant qu'il n'a pas l'anneau unique en sa possession ? En dehors de sa faconde, rien. Donc c'est – redisons-le – à partir d'un mensonge, que notre hobbit passe pour performant auprès des nains.
Allez ! Il était bon aux devinettes ? Mais, bien que sa survie fût en jeu, c'est toujours sur une tricherie, qu'il s'en tira devant Gollum, grâce à sa faconde. Sa dernière question n'était pas une énigme, le pauvre Gollum ne pouvait pas le comprendre en son manque d'intelligence. Sous cet angle, Bilbon Bessac abusa d'une personne en situation de handicap : Gollum, avec sa dissociation, est clairement une personne malade mentale qui aurait besoin d'être psychiatrisée.
Qui est le plus méchant des deux ? Gollum a la monstruosité de sa condition contre lui, mais Bilbon a clairement sa faconde contre lui. « Evidemment », l'heure était à la survie, pourtant notre antihéros ne se comporte pas autrement, toujours et partout, dans la vie. Et face à Smaug, c'est évidemment David contre Goliath, mais c'est la Providence qui le sauve avant tout – car Smaug, s'amuse avec curiosité, de cette faconde. Smaug-même manqua d'intelligence, et Bilbon n'est pas glorieux.
Bref : Bilbon Bessac n'est pas quelqu'un de bon. Par tous les bouts qu'on le prenne, c'est quelqu'un qui n'est porté que par la Providence avec un grand P.
La providence, c'est la prévision pourvoyeuse, accordée par une divinité. Tous les Dieux & Déesses ont des formes de providence, et néanmoins cette faculté de providence n'est pas toujours aussi développée qu'on le croie, même chez eux. Oui, même les divinités, ne sont pas forcément bonnes en divination, pas d'amalgames !... Sinon qu'il y a une divinité, prétendue seule et unique par ses adeptes (mais qui ne se présenta jamais qu'exclusive, et qui fut monothéisée fanatiquement, sur la base de cet exclusivisme hénothéiste – dédié à un Dieu) une divinité, disais-je, que sa tradition a identifiée avec la Providence grand P.
Dans les fameux romans de J.R.R. Tolkien mis en films, aucune référence n'est faite à quelque Dieu ni Déesse : c'est la Providence pure qui travaille ces oeuvres. Et pourtant, ce n'était pas faute d'avoir imaginé un Dieu Créateur dans le Silmarillon, engendrant différents Dieux & Déesses, de la part de l'auteur ! Mais ces Dieux & Déesses n'ont quasiment pas de mythologie : ils sont tous référés au Créateur et, quand l'un se rebelle sataniquement, il provoque le Mal, jusqu'à la fameuse figure de Sauron. L'essentiel du récit est légendaire, entre les races anciennes de la Terre du Milieu (pour le coup, on ne peut pas dire que ce soient de prétendues races, même quand Amazon Prime introduit de la « diversité » en leurs seins. Or cette introduction est une triste entreprise de post-colonisation de l'imaginaire des « racisés » au prétexte d'« inclusion », afin de les couper de leurs mémoires ancestrales propres – pourvu qu'ils n'en soient pas dupes, ce dont je doute, car je n'ai jamais observé une telle analyse que la mienne, lors de l'esclandre publicitaire pour les Anneaux de Pouvoir).
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Bref, chez J.R.R. Tolkien, il n'y a pour ainsi dire pas de mythologie : les Dieux & Déesses engendrés par le Créateur n'y sont au fond que des formes d'Anges, avec un Rebelle satanique. Le modèle de ce polythéisme est monothéiste, et d'autant plus monothéiste que l'essentiel des aventures est ensuite légendaire, entre phénomènes surnaturels et historiques, à la manière de la Bible judaïque. Mais, en dehors des Hommes du Sud alliés au totalitarisme de Sauron, rien ne permet de faire le lien avec l'islamité (tout ce qui fait se demander à nos contemporains, si J.R.R. Tolkien ne serait pas un peu raciste des Arabes et des Berbères, sans que ça en touche une même chez les fans progressistes, tant l'auteur est talentueux).
Sans J.R.R. Tolkien, nombre d'Européens n'auraient pas eu accès comme ils ont eu accès, au fond celte et germano-scandinave des mythologies européennes amalgamées, mises en scène dans des formes féodales et monothéistes, simili-historiques, à travers tout son travail de construction d'univers littéraire – sans parler de l'invention de langues afférentes.
Au fond, quand on y réfléchit, l'universitaire J.R.R. Tolkien fut quelqu'un qui n'était pas qu'intellectuel, mais aussi factuel et ingénieux, et c'est ce factualisme ingénieux, qui l'incita à faire quelque chose de ses connaissances universitaires, afin qu'elles ne restent pas lettres mortes. Pour que, au contraire, elles reprennent vie, par-devers les contes, en forme de romans, ayant pour conséquence de promulguer un nouveau genre littéraire au rang de la Littérature. Il « fallait » que Tolkien produise quelque chose...
De manière générale, la fantasy est bien ce genre littéraire capable de mettre en scène de grandes passions personnelles et populaires, en les formulant de manière allégorique, à travers ses différents protagonistes. Vraiment, il y a dans la fantasy de grands mouvements de l'âme qui, avec cela, font appel à des puissances archétypiques voire spirituelles, pour le meilleur et pour le pire (tels que les amalgames en question). C'est d'ailleurs pour cela, que des monothéistes cherchaient encore à faire des scandales à la fin des années 1990, autour des jeux de rôle – comme si jouer à Donjons & Dragons était l'oeuvre du Malin.
Il faut dire, des jeux de rôle tels que Kult, cultivent sciemment l'imagerie satanique, mais le satanisme réel fait plus fantasmer le tout-public sur sa prétendue criminalité qu'il n'est criminel : au contraire, il ne l'est statistiquement pas, eut égard à l'ensemble de la criminalité... Les monothéistes ont toujours la fâcheuse tendance à fabuler torsement ce/ux qu'ils craignent.
Ainsi, un roman de fantasy, ou une sage de fantasy, sont toujours des manières de dénouer de grands enjeux, et la production tolkienienne est l'origine de toutes les productions ultérieures, en ce sens que toutes les productions eurent à se positionner envers l'oeuvre de J.R.R. Tolkien, serait-ce pour la rejeter ou la détourner. Au pire : les elfes de Harry Potter (des Gollums, pour ainsi dire) ou du Witcher (non pas radieux pour les Hommes, mais « racisés » par les Hommes – jusqu'au génocide).
Or donc, la production tolkienienne qui, certes aidée par les contes, a créé le pot-pourri de celto/germano/scandinavo-féodalisme/monothéisme de l'imaginaire contemporain.
Voilà une autre raison pour laquelle « Bilbon Sacquet-Bessac n'est pas quelqu'un de bon » – ceci dit, en visant son auteur. Bien sûr, répétons-le encore, J.R.R. Tolkien a permis de diffuser cet imaginaire, et de le rappeler à ses origines... mais les dégâts en termes d'amalgames sont infiniment plus grands, que ce soit du fait de la confusion celto-germaine, comme de la confusion du celtisme et du gemano-scandinavisme antiques avec le féodalisme et son monothéisme, en forme de Providence : les féeries sont médiévales, et rien d'autre.
Ces féeries sont, elles aussi, du génie littéraire féodal, propre à la matière de Bretagne, du cycle arthurien ou autre. C'est bien ce féerisme, devenu Faërie pour les Modernes et leurs plaisirs à illustrer et jouer dans ces univers réinventés, qui est pris dommageablement pour le celtisme antique, alors qu'il n'a rien à voir. Il n'a même quasiment rien à voir avec le Livre des Conquêtes d'Irlande, les Mabinogion, etc. qui constituent pourtant la matière « la plus celtique » dont nous disposions aujourd'hui, alors qu'ils furent écrits durant la féodalité...
Certes, il est toujours permis de prétendre que derrière tel conte local, se cache un ancien Dieu ou une ancienne Déesse ! Emblématiquement, la figure de Mélusine a fait couler mille encriers, par exemple chez tous les néopaïens, purs ésotéristes comme reconstructionnistes, en passant par les fantaisistes. Et il est merveilleux, de voir à l'oeuvre un tel emballement ! Mais, comme cela le dit bien : cela tient, avant tout, de l'emballement et de la merveille.
« Eh bien ! L'émerveillement est une qualité artistique et philosophique ! » contre-arguera-t-on avec humeur... Certes ! Certes. Ainsi, on peut parler d'un engouement vivace, et même d'un moderne folklore. Les universitaires peuvent bien ensuite venir décortiquer le phénomène, pour le rendre analytiquement à ses différentes sources, fractales à travers le temps et l'espace : cela n'affectera que peu les adeptes enjoués... sauf lorsque, par bonheur, l'université permet de découvrir un énième chevalier de la Table Ronde, tel que Ségurant ! On ne remerciera jamais assez Emanuele Arioli pour cela...
Mais enfin, dans le néopaganisme, on connaît bien des fabulistes : écrivaillons, YouTubers, diffuseurs, influenceurs, pseudo-chercheurs celtisants ou nordisants, souvent les deux amalgamés, justement à cause de la fantasy. Eux aussi, ce sont des fantaisistes ! Et l'imagerie qu'ils véhiculent pour gagner en visibilité, et de pur fantasy... c'est-à-dire confondue avec la féodalité et des valeurs monothéistes qui s'ignorent... tout en croyant faire de l'anti-monothéisme souvent ! Ces fous.
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L'imaginaire contemporain est l'anneau unique des Modernes. Ce sont des victimes de l'anneau unique, ici compris comme symbole de l'inconscient collectif – encore qu'on ait à le comprendre encore autrement.
D'ailleurs, ils réagissent avec la même frénésie que Bilbon Sacquet-Bessac face à son neveu Frodon, dans le premier film de Peter Jackson, lorsque, à Fondcombe, ce dernier consent à lui soumettre l'anneau une dernière fois, avant leur terrible mission. Les fantaisistes et assimilés sont victimes... de J.R.R. Tolkien, et de toute la fantasy après lui ! Sans parler du milieu des conteurs et autres intermittents du spectacle afférents (même les progressistes, sont chronocentriques !). C'est que cet imaginaire leur a procuré un sentiment de liberté, et que de toutes façons il fait innocemment partie de leurs loisirs.
Or dérange-t-on un Moderne, lorsqu'il a le sentiment d'innocence et de loisir pour lui ? C'est à déconseiller... mais cela démontre pourtant, que l'innocence et le loisir peuvent être monstrueux, surtout lorsqu'on y retouche ne serait-ce qu'une seconde, comme je fais là. Je peux en témoigner – moi qui, on l'a compris, sait apprécier la fantasy dans son genre, et qui fut, jeune, « grand joueur de jeux de rôle devant l'Eternel » – comme disait l'autre, « Je suis l'Eternel ton Dieu, et tu n'auras pas d'autres Dieux que moi ».
Donc, qu'on se comprenne bien : le problème est complexe.
Il n'est pas de ces problèmes que l'on peut résoudre à soi seul. Il faudrait, pour le résoudre, un véritable militantisme éthique dans la spiritualité, ce qui est fort improbable étant donné la nature non-militante de la spiritualité, et étant donné les habitudes folkloriques prises avec la modernité. Un moyen de le résoudre, lui aussi improbable (en l'état de la rentabilité de la fantasy) serait d'interdire la fantasy pour une fake news – mais ce n'est pas populaire, d'une part, ni d'ailleurs respectueux des folklores en général, d'autre part.
Aussi, le seul moyen de faire un peu de ménage, serait que des producteurs médiatiques, dotés à grande échelle, financent des oeuvres mythologiques et légendaires, en cohérence avec l'archéologie
et l'Histoire, plutôt que de s'en tenir aux stéréotypes (post-)tolkieniens. Là où ils sont les plus rigidifiés, au passage, c'est dans l'équipée de jeux de rôle : un guerrier, un voleur, un magicien, un barde, un paladin, etc. que l'on retrouve dans les films, mélangeant « à merveille » celtisme, germanisme, féodalisme et monothéisme. Puissent ces scrupuleux producteurs, advenir ! Il y a là un marché à ouvrir...
En attendant, et par honnêteté, on doit dire que la celtomanie, la vikingomanie, la chevaliéromanie (notamment Templière), la magiomanie, etc. sont des succédanés spirituels. Des spiritualités en berne, souvent même antispirituelles dans leurs démarches amalgamantes. Et on peut ici particulièrement viser l'awen et les clergés nordisants, à leurs adeptes ne plaise.
L'awen, c'est « l'inspiration » en gaélique, par laquelle des druidisants ponctuent leurs cérémonies en lieu et place du monothéiste amen, passant pour ainsi dire de la croix divine à la croix satanique, en inversant le M en W (comme chez Nintendo – pour la boutade – Mario et Wario).
Quant aux clergés nordisants, ils nous inventent un druido-odinisme qui n'a jamais existé, en dehors, des lisières hercyniennes antiques entre les mondes celtes et germains, surtout en forme de sorcellerie ; et, de même, en dehors des lisières « britto-saxones » antiques tardives/hautes féodales, surtout en forme de bardisme...
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Le spirituel, ce n'est pas quand on se laisse entêter par tout et n'importe quoi, au prétexte moderne d'indolente sensibilité – donc de sensiblerie.
Les Modernes ne devraient pas avoir la paranoïa fantomatique des démons comme les monothéistes, pourtant ils devraient constater bien des monstruosités, à la manière Ancienne. Dans le domaine celte, on les nommait duses (nom masculin, antiquement dusos au singulier, et au pluriel dusoi)... sans parler des Non-Dieux de nature divine, tels que les Fomorés combattus par les Dieux, lors de la Seconde Bataille de Mag Tured. Oui, répétons-le : les monstres existent, et il faut s'en défendre. Certains ne sont pas domptables – on n'est pas dans Pokemons Arceus, et les êtres surnaturels ne sont pas non plus des cartes Magic, the gathering à jouer.
Donc : Bilbon Bessac n'est pas quelqu'un de bon, et – n'était cette Providence, intrinsèquement monothéiste, malgré son formalisme polythéiste – il faut croire que Gandalf s'est trompé de candidat en recrutant Bilbon.
Ou bien, pour être précis, Gandalf et Bilbon font la paire, car Gandalf aussi est rusé, et c'est ce qu'il aime chez Bilbon, en plus de la bonhomie des hobbits en général (ce qui, toutefois, est un stéréotype racial, il ne faut pas se le cacher). Au final, Bilbon fut moins cambrioleur pour les nains – cambrioleur par la Providence de l'anneau unique d'invisibilité – que touriste grâce à Gandalf, comme si le magicien avait voulu offrir cette chance à son camarade hobbit. Pour remédier à cela devant le sérieux du Seigneur des Anneaux, Peter Jackson dut étirer, multiplier, et aggraver les dangers du Hobbit et leurs dimensions, en guise de préquelle.
La ruse de Gandalf et Bilbon est de germano-scandinave, mâtinée de paysannerie celte, sauvé par la Providence ; ce qui, en somme, fait cette ruse davidique avant tout (je disais plus haut : David contre Goliath face à Smaug). C'est que le judaïsme, monothéisme originaire en son hénothéisme – dédicace à un Dieu – est en cela le plus polythéiste des monothéismes. La ruse davidique est évidente, comme celle d'autres personnages dans la Bible hébraïque, et jusque dans la répartie évangélique de Jésus face à ses accusateurs, dans la Bible chrétienne : c'était qu'il s'agissait de survivre personnellement...Or, la dimension clanique étant évacuée, on perd bien le celtisme et le germano-scandinavisme. Il s'agit d'une logique de salut. D'une logique de salut, oui, qui nous renvoie, dans le domaine germano-scandinave, au Géant Loki, qui toujours cherche à sauver sa peau. Or Loki est, avec Thor, un agent principal du monde odinique : Gandalf (le Gris) correspond donc à un genre d'Odin (le Blanc est devenu christique) tandis que Bilbon correspond à un genre de Loki. Dans le domaine celte, moindrement, on songe à l'alliance momentanée des Dieux avec les Fomorés, où le Fomoré Brès gouverne en pingre... et Gandalf (le Gris toujours) représente les Dieux, tandis que Bilbon représente les Fomorés (à cause de sa distance caractérielle, à faire profit d'une aventure qui ne le regarde pas)*.
Et tous les milieux fantaisistes, plus ou moins ludiques ou littéraires, festivaliers ou artistiques, traditionalistes ou progressistes, etc. d'en être là... et rien que là.
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*Enfin notez bien, que la congruence du judaïsme, et derrière lui de tout le monothéisme avec Loki et Brès, n'engage en rien ce juif, ce chrétien ou ce musulman là en face de moi qui, en tant que personnes, peuvent être dans des démarches variées, jusqu'à adorer – au hasard – la fantasy, de façon tout à fait cordiale. Il ne s'agit là que d'Histoire des idées concernant les religions, c'est-à-dire des formes que prennent les mentalités, dialectiquement aux niveaux microcosmiques comme macrocosmiques. De toutes façons, les théologiens monothéistes dénieront et, au mieux, contre-arguerons.
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