Une vie de patachon

par C’est Nabum
samedi 17 août 2024

 

Un verre dans le nez …

 

Le patachon menait jadis une vie rude, cahoté qu'il était entre deux fonctions qui n'avaient rien de semblable. Dans les deux cas, s'il avait la bougeotte, le premier courait les mauvais chemins tandis que le second poursuivait les faux-sauniers sur l'eau. C'est au premier que l'on doit l'expression qui a connu son heure de gloire avant que de sombrer dans l'indifférence d'une langue qui manque de sel.

C'est là que le bât blesse me direz-vous car faut-il écrire sel ainsi ou bien de cette manière ci : selle. Ce serait alors confondre le patachon et le postillon et risquer de se faire cracher à la figure par les experts de la chose hippomobile. Car si le premier reste sur son banc, le second monte à cru le canasson de tête. Les deux se retrouvent de concert au relais de poste pour boire à volonté et effacer ainsi la poussière de la route.

Patachon et postillon quand ils sont sur les chemins chaotiques d'un pays avant l'asphalte, étaient comme deux larrons en foire soucieux de convier à leur table cochets et charretiers pour un rafraîchissement qui redonne alors un bon petit coup de fouet. Les métiers en question étaient rudes et exigeaient de boire plus que de raison d'autant que la maréchaussée de l'époque les accompagnait pour siffler quelques ballons. Autre temps, autres mœurs.

Par contre, des collègues de ces derniers, juchés sur une patache : un bateau qui pourchassait les trafiquants de sel, avaient la dent dure et le cœur plus sec que le gosier. S'ils étaient eux aussi des patachons, ils ne répondaient pas aux attentes d'une expression qui les écartait de ses acceptions. Dans la langue orale, il y a parfois à boire et à manger et en la circonstance le mélange d'alcool et de sel nuirait grandement à la santé.

Notons cependant que pour nos pochetrons, le café salé pouvait les remettre sur pied, fussent ceux des canassons qui devaient faire tout le travail pour ces joyeux drilles. La répartition des tâches permettant à nos amis de boire plus que de raison sans jamais être mis à pied. Seuls les patachons de la patache, très à cheval sur le règlement, ne voyaient pas les choses du même œil. Pour rester à flot et pourchasser les trafiquants, la modération était de mise d'autant que c'est bien connu : on ne boit jamais pendant le service du roi.

Patachons et postillons avaient une tout autre idée du service qui leur était livré sur un plateau. On mesure le fossé qui les sépare de leurs homologues gabelous. Gens d'à terre et gens de l'eau ne pouvaient s'entendre d'autant plus que pour les premiers, il ne fut jamais question de mettre de l'eau dans leur vin.

C'est donc à eux seuls que revient le titre de gloire d'avoir mené une vie de patachon, vie sans doute largement écourtée par les risques du métier. Quand surgissait la camarde, ils avaient au moins le plaisir d'effectuer un ultime voyage comme passager exclusif d'un corbillard mené plus sobrement par un collègue qui croquait le gros orteil plutôt que de boire la vie par les deux bouts.

Notons au passage que pour les patachons de la gabelle, paradoxalement, en cas d'accident mortel dans l'exercice de leur profession, il ne serait venu à l'idée de personne de conserver leur corps dans la saumure. Décidément ces patachons-là menaient quant à eux une vie bien plus austère, dénuée de toute fantaisie.

Au terme de ce billet, je tiens à préciser que je n'avais nullement l'intention de vous mener en bateau. S'il me fallait faire un choix entre les deux activités méritant le titre de patachon, c'est sans hésiter vers les joyeux drilles des grands chemins que pencherait ma préférence en dépit que je fusse né Rue du Grenier à Sel.

J'espère que certains ont bu mes paroles sans jeter du sel devant ma porte. À défaut vous pourriez le faire par-dessus l'épaule gauche pour conjurer le sort avant que de trinquer à une santé qui vous est cher. Menons conjointement une vie de patachon, la vie est si courte !


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