Les Enfants de Don Quichotte

par christophe mistretta
mercredi 3 janvier 2007

Je suis parti à la rencontre d’un des militants de l’association qui est à l’origine d’un véritable tsunami médiatique. Marc Russo nous parle de l’action des Enfants de Don Quichotte.

Samedi 30 décembre, dans un café, au canal Saint-Martin, près du campement où 250 tentes ont été installées pour 300 personnes.

Marc Russo :

Ce soir on a trop de personnes qui veulent venir passer une nuit avec nous, on est submergés par la demande !

Chistophe Mistretta :

Doit te faire chaud au cœur de voir autant de gens qui se sentent concernés. Par contre tu me confirmes que ce n’est pas un hôtel, parce que moi, j’ai entendu une histoire où quelqu’un t’aurait demandé s’il pouvait réserver pour passer une nuit au village samedi soir...

MR :

La priorité reste aux SDF, ceux qui n’ont pas de logement. Après les bobos comme je les appelle qui vont aller chanter dans les chaumières « Oui, on a passé une nuit avec les SDF »...

Ceux-là ne sont pas du tout utiles. Après il y a des gens qui sont tout à fait sincères, qui passent une nuit avec nous.

CM :

Au niveau de la nourriture, ça se passe comment, moi j’ai vu des gens qui amenaient de quoi manger ?

MR :

On n’a aucun souci, on a énormément de dons, il y a l’association Une shorba pour tous qui nous ramène une soupe tous les midis et soirs pour les repas chauds.

CM :

Est-ce qu’il y a eu des problèmes de sécurité ?(vol dans les tentes...)

MR :

Il y a des gens qui ont essayé mais cela a été très vite réglé car on est très structurés, moi-même je fais partie de la sécurité, il y a des rondes toutes les nuits donc il n’y a pas de vol. L’alcool est strictement interdit sur le campement, les gens peuvent boire à l’intérieur de leur tente mais il ne doit rien y avoir d’apparent parce qu’on veut changer l’image du SDF un peu clochard, le litre de vin, ça, c’est un cliché, ce n’est pas la réalité. Et ce qui se passe et qui est très bien, c’est que les gens se rendent compte que ce n’est pas la réalité.

CM :

Quelque part tu ne crois pas que cette image véhiculée du SDF, celui qui boit un peu, qui ne se lave pas souvent et qui boit beaucoup, c’était pour les politiques une raison de ne rien faire parce qu’ils pouvaient dire : ceux-là on ne peut pas les aider parce qu’ils ne veulent pas s’aider ?

MR :

Alors il y a un gros problème d’alcool en France et pas seulement chez les SDF.

Il y en a qui se cachent les yeux mais il n’y a pas que les SDF qui boivent !

Nous en plus il faut tenir quand même, on est dehors, moi je suis en toile de tente à la Porte d’Orléans au bord du périphérique, sans arrêt il y a du bruit et on est venu là par solidarité avec Augustin pour soutenir ce mouvement !

CM :

Franchement quand vous avez posé la première tente vous espériez un tel mouvement de solidarité, ou tu te disais que finalement cela ne changerait rien parce que tout le monde s’en fout ?

MR :

Nous on y croyait dur comme fer parce qu’on a des convictions et il faut dire aussi qu’Augustin c’est un bon meneur, tout le monde dit c’est un beau parleur mais quand Mme Vautrin dit : c’est de la poudre aux yeux, eh bien, justement, ce n’est pas de la poudre aux yeux et on est en plein bras de fer avec le gouvernement et on va y arriver !

CM :

Qu’est-ce que tu penses de tous ces hommes politiques de droite, de gauche et du centre qui veulent tous vous rencontrer, être pris en photo avec vous, vous serrer les mains tout d’un coup alors que pour la plupart cela fait dix ans, vingt ans , trente ans qu’ils sont ministres ou députés et qu’ils n’ont rien fait ?

MR :

Il faut dire un truc, notre mouvement est apolitique, ils veulent nous rencontrer et nous voir comme lorsqu’on a été au ministère de la Cohésion sociale chez Mme Vautrin, nous on est là, on dialogue. Ce qu’on aimerait, en fait, c’est que droite-gauche se réunissent et votent cette charte et que tout soit fait comme il faut, c’est ensemble qu’ils doivent faire quelque chose.

CM :

En fait ce serait l’idée d’un consensus national parce que la misère ça touche tout le monde en fait ?

MR :

Le plan Marshall comme on en a parlé car il faut qu’ils se réunissent et qu’ils règlent le problème tous ensemble. Le problème il peut être vite réglé, c’est le prix de trois avions de chasse ! A peu près trois milliards d’euros.

CM :

Surtout que cela fait bien longtemps que la France n’est plus en guerre Officiellement, donc, on n’en a plus rien à foutre de trois avions de chasse de plus !

Moi il y a un truc qui m’a fait halluciner depuis que je suis le mouvement, c’est qu’il y a beaucoup de gens qui ont dit : "Je ne pensais pas que c’était comme ça", ou alors : "Ils m’ont ouvert les yeux" mais il me semble que l’appel de l’Abbé Pierre pendant l’hiver 1954 dénonçait déjà les mêmes situations, donc ce phénomène n’est pas nouveau, et pourtant il y a des gens qui ont l’air sincères et qui paraissent seulement découvrir le problème.

MR :

Moi je vais t’expliquer mon cas personnel. Je gagne 2200 euros minimum net par mois, je travaille en intérim et je fais même des pointes à 3500 euros. Mais comme je suis en intérim, je n’ai pas d’accès aux logements, sans CDI t’es bloqué pour le logement. Après, quand on a parlé avec Mme Vautrin, elle a dit qu’il y avait une loi, le GRL, qui a été votée pour loger les gens qui travaillent en intérim, c’est-à-dire que le gouvernement se porte caution pour nous auprès des bailleurs.

CM :

Mais toi, tu la connaissais, cette loi ?

MR :

Absolument pas !

CM :

C’est donc que les pouvoirs publics n’en font pas la publicité !

MR :

De toute façon, le secrétaire du cabinet du Préfet de Paris me l’a confirmé par la suite donc les deux m’en ont parlé et bien sûr on va vérifier.

CM :

J’ai entendu parler d’une rumeur et j’aimerais connaître ton avis sur la question : on évoque le chiffre de 100 000 SDF en France ?

MR :

Il y en a plus en vérité mais je ne compte pas ceux qui sont logés dans des hôtels meublés par l’Etat, je parle des SDF purs et durs, donc sans aucun toit !

CM :

D’accord, donc tu ne comptes pas les familles avec parfois des enfants en bas âge qui sont logées dans des hôtels insalubres à 5000 euros par mois payés par nos impôts à tous (eh oui, même un SDF paye la CSG, RDS et toutes les autres retenues salariales à la source, mais eux ils n’ont aucun retour sur investissement ! vive la France).

Est-ce que c’est vrai que des officiels vous auraient proposé des appartements pour, d’une manière très peu subtile je l’avoue , vous acheter, ni plus ni moins ?

MR :

Tu as absolument raison , à 100 %.

CM :

Mais alors, c’est encore plus révoltant, parce que ces mêmes responsables qui passent leur temps à nous dire qu’ils n’ont pas les moyens financiers d’une politique sociale ambitieuse ont, tels des magiciens, la faculté de te donner à toi et aux autres porte-parole des Enfants de Don Quichotte des appartements comme s’il en pleuvait du jour au lendemain !

MR :

Et moi je leur ai dit non, c’est pour tout le monde et pas seulement pour moi qu’il faut un appartement !

CM :

Donc en clair quand on entend ça, on n’a plus du tout envie de leur faire confiance à ces gens-là, c’est vraiment de la poudre aux yeux, pour reprendre les propos de Mme la Ministre.

MR :

Le lendemain de notre entrevue au ministère, la ministre nous a donné deux heures de plus d’ouverture pour les accueils de SDF alors que nous on veut que ce soit ouvert 24 heures sur 24 tous les jours de l’année, car quand on est SDF on n’a pas de RTT ou des cinq semaines de CP par an, désolé !

CM :

Cela sent la récupération au niveau politique, ils savent bien que dans quatre mois il y a les élections, et donc il n’y a plus de temps à perdre.

MR :

Ils font leur campagne électorale sur notre dos.

CM :

C’est bien que vous ne soyez pas naïfs par rapport à ça.

MR :

Jamais de la vie, il y a des têtes pensantes et on sait ce qu’on dit, on sait ce qu’on fait.

CM :

Alors moi, un truc qui m’a choqué, c’est que avant d’arriver sur le campement, je n’avais jamais vu autant de journalistes et de radios, comme des abeilles sur un pot de miel ; c’est bien d’en parler dans le monde entier, mais certains journalistes se sont lancés dans la course au SDF le plus sale, le plus violent dans ces propos, on recherche la caricature.

MR :

Nous, on l’a démontré, qu’il y a des gens qui pensent, des gens qui parlent bien, on sait dialoguer et cette image du SDF qui sent mauvais et qui passe tout son temps à boire, on l’a effacée. Maintenant il faut dire qu’il faut faire du cas par cas, il y a des gens qui ont besoin d’un suivi psychiatrique, il y a des drogués, des alcooliques, donc chaque cas est différent. Mais il faut reconnaître qu’il y a des gens qu’on ne pourra pas sauver.

CM :

Parle-moi du 115, parce qu’à chaque fois, les hommes politiques disent : "On peut pas dire qu’on ne s’en occupe pas du problème des sans-logis parce qu’on a créé le 115."

MR :

Le 115 c’est inhumain, c’est atroce . On ne montre que les beaux centres d’accueil à la télé, d’ailleurs on leur en veut beaucoup, aux médias, par rapport à cela. En fait, au 115, tu peux attraper des poux, te faire voler, c’est inhumain !

Elle (la ministre ) nous a parlé de la mie de pain, mais elle n’y a jamais dormi dans cet endroit, donc elle ne sait pas de quoi elle parle. Au départ elle nous dit qu’elle n’a pas d’argent pour les accueils 24/24, et le lendemain de notre visite, elle débloque 70 millions d’euros.

CM :

Cela doit être une magicienne cette dame, ou alors elle a fait un cetelem !

MR :

Pour la paraphraser, c’est de la poudre aux yeux, ces déclarations !

J’aimerais parler d’autre chose, on incite les SDF à voter et aujourd’hui on est arrivé à un chiffre de 60 % sur les 100 000 SDF en France qui se sont inscrits sur les listes électorales ! C’est sur une initiative de jacques Deroo qui a écrit Salauds de pauvres, et l’une des seules égalités dans ce pays, c’est le poids du bulletin de vote (de M. Chirac comme du mien).

CM :

J’ai lu sur Internet que la secrétaire nationale des Verts était venue passer une nuit dans une tente, tu confirmes ?

MR :

C’est du pure mytho, ils ont essayé de faire de la récupération notamment en venant distribuer des tracts, mais on les a vite dégagés !

MC :

Ils t’ont pris pour le Nicolas Hulot des SDF en venant te donner une grosse tape dans le dos.

MR :

Chez nous ça ne marche pas comme ça. On est apolitique.

CM :

Donc pour résumer tout cela, il faudrait une loi pour qu’à l’image des Restos du cœur, cela soit inscrit dans la constitution.

MR :

Je pense qu’on les a mis dos au mur et que nous avons la France derrière nous. On reçoit beaucoup de dons et avec cet argent on achète des gants, des bonnets et des couvertures...

Les gens sont très généreux. Je voudrais dire aussi que lorsque nous avons installé les 80 premières tentes, les riverains se sont inquiétés, et en fait ils s’aperçoivent que le quartier est devenu plus calme qu’avant, plus sûr.

CM :

En fait vous êtes la nouvelle police de proximité que Sarkozy a voulu éliminer !

MR :

Ils sont ravis les riverains, ils sont solidaires et ils nous aident énormément ! Ils viennent dormir avec nous et les préjugés tombent à notre encontre car on est quand même 30 % de SDF à travailler, et donc à pouvoir payer un loyer.

Pour conclure je dirais qu’on veut des mesures maintenant, et durables, plus de provisoires !

Propos recueillis par Christophe Mistretta pour l’association 100 emplois.


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