L’attentat terroriste de Trèbes : Arnaud Beltrame, le sens du sublime plus encore que de l’héroïsme
par Daniel Salvatore Schiffer
samedi 24 mars 2018
A PROPOS DE L’ATTENTAT TERRORISTE DE TREBES
ARNAUD BELTRAME,
LE SENS DU SUBLIME PLUS ENCORE QUE DE L’HEROÏSME
Le terrorisme islamiste vient encore une fois, en ce funeste vendredi du 23 mars 2018, de frapper, entre les villes de Carcassonne et de Trèbes, la France. Et, à travers elle, tous ces autres pays, ces autres cultures et ces autres civilisations, qui partagent ses valeurs, au premier rang desquelles émergent, comme le clame son historique devise, la liberté, l’égalité et la fraternité. Sans ces trois inaliénables principes, que tout humaniste digne de ce nom souhaiterait idéalement universels, point démocratie qui vaille, ni de véritable esprit de tolérance qui tienne dans le temps !
Certes tout, ou presque, a-t-il déjà été dit, dans les commentaires médiatiques comme dans les déclarations politiques, sur cet épouvantable drame, dont le triste bilan, quant au nombre des victimes, s’élève finalement à quatre morts et une quinzaine de blessés. Seul un silence respectueux, où se mêlent pudeur et compassion, sied, bien sûr, en pareille circonstance. Comment, toutefois, ne pas retenir ici notre attention, davantage encore, sur l’admirable geste, par-delà même cette incommensurable tragédie, d’Arnaud Beltrame, ce gendarme qui, grâce à l’héroïque sacrifice de sa propre personne, aura ainsi sauvé la vie, évitant probablement par là un carnage de bien plus grave ampleur, de quelques autres dizaines d’innocents.
Car ce à quoi ce type de sacrifice renvoie en vérité, ce n’est pas seulement à une certaine conception de l’héroïsme, pourtant déjà extrêmement louable en soi, mais à quelque chose de bien plus insondable profondeur encore : le sens du sublime !
LE SUBLIME COMME GRANDEUR D’ÂME
Cette notion du « sublime », c’est Longin, rhéteur, d’obédience platonicienne, ayant vécu au deuxième siècle de notre ère, qui en forgea, le premier, le sens originel : « le sublime est l’écho de la grandeur d’âme », écrit-il, en effet, dans un court mais précieux traité intitulé, justement, « Du Sublime ». Mais, précise-t-il aussitôt, une « grandeur d’âme » telle qu’aucun mot, au sein du langage, ne peut l’exprimer totalement, ni même la dire tant elle dépasse, transcende en quelque sorte, les limites de tout discours humain. Ainsi, pour ce linguiste avant la lettre que fut Longin, le sublime s’avère-t-il, en dernière instance, « l’inexprimable » ou, encore, « l’indicible ». Bref : « l’ineffable » !
C’est cependant un philosophe, Emmanuel Kant, qui, de ce concept de « sublime », donnera, au dix-huitième siècle, le sens ultime : « Nous nommons ‘sublime’ ce qui est ‘absolument grand’. (…) Dans ce dernier cas, il s’agit de ‘ce qui est grand au-delà de toute comparaison’. On peut aussi exprimer ainsi la définition précédente : ‘Est sublime ce en comparaison de quoi tout le reste est petit’ », spécifie Kant dans sa Critique de la faculté de juger.
D’où, à la lumière de ce double enseignement que constituent, en l’occurrence, les analyses de Longin (sur le plan linguistique) et de Kant (au niveau philosophique), cette conclusion, évidente à plus d’un titre : c’est bien du sublime, plus encore que de l’héroïsme, que relève en définitive, par sa grandeur d’âme, cet acte effectivement incomparable - donner sa vie pour autrui - de ce gendarme en tout point exemplaire, mais aujourd’hui malheureusement décédé de ses blessures, que fut Arnaud Beltrame.
POUR UN HOMMAGE NATIONAL
Que celui-ci mérité donc, au regard de cet immense sacrifice de soi, littéralement « sublime », un hommage national, lors de ses funérailles, voilà qui ne peut plus laisser, désormais, aucun doute !
Honneur, pour l’éternité, à Arnaud Beltrame, à qui il me vient de dédier, au vu de semblable sublimité, cet extrait, particulièrement significatif, de ce magnifique poème, intitulé « Invictus », de William Ernest Henley :
« Dans les ténèbres qui m’enserrent
Noires comme un puits où l’on se noie
Je rends grâce aux dieux, quels qu’ils soient
Pour mon âme invincible et fière
(…)
En ce lieu de colère et de pleurs
Se profile l’ombre de la Mort
Je ne sais ce que me réserve le sort
Mais je suis, et je resterai sans peur
(…) »
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, auteur, notamment, du récent « Traité de la mort sublime – L’art de mourir de Socrate à David Bowie » (Alma Editeur).