Vladimir Poutine dans le bourbier : l’Ukraine, écho du fiasco afghan

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
jeudi 19 juin 2025

Sous un ciel d’acier, le grondement des blindés soviétiques déchire l’aube afghane en décembre 1979, tandis qu’à Kyiv, en février 2022, les sirènes hurlent et les rues s’embrasent sous les missiles russes. Deux époques, deux terres, une même illusion : celle d’une victoire rapide, écrasante, face à un peuple qu’on croit prêt à plier. L’URSS en Afghanistan, la Russie en Ukraine : l’histoire, cruelle répétitrice, tisse des parallèles saisissants. Dans les vallées afghanes comme sur les plaines ukrainiennes, la résistance, farouche, fait vaciller les géants.

 

Une arrogance militaire : sous-estimer l’âme de l’adversaire

Dans les couloirs du Kremlin, en 1979, l’URSS se persuade que l’Afghanistan, fracturé par des luttes internes, tombera comme un fruit mûr. Les rapports militaires, tirés des archives du Politburo, révèlent une confiance aveugle : "L’opération sera conclue en trois à quatre semaines", promet un général lors d’une réunion secrète à Moscou. Pourtant, les Moudjahidines, galvanisés par une ferveur religieuse et un nationalisme viscéral, transforment les vallées du Panshir en pièges mortels. Un combattant afghan, dans une lettre retrouvée à Kandahar, écrit à son frère : "Les Russes ont des tanks, mais nous avons Dieu et les montagnes. Ils ne passeront pas". Cette foi, mêlée d’un savoir du terrain, ridiculise les plans soviétiques.

 

 

En 2022, la Russie commet une erreur miroir. Vladimir Poutine, convaincu que l’Ukraine, divisée par des tensions linguistiques et politiques, s’effondrera sous une "opération spéciale", lance ses colonnes blindées vers Kyiv. Les services de renseignement russes, selon des fuites d’archives interceptées par les Ukrainiens, prédisent une capitulation en "cinq jours maximum". Mais le peuple ukrainien, porté par un élan patriotique et une mémoire des oppressions passées, se dresse. À Irpin, un retraité, Oleksandr, raconte dans son journal : "J’ai vu les tanks russes avancer, mais aussi nos gamins avec des cocktails Molotov. Ils ne nous auront pas". Comme en Afghanistan, l’envahisseur sous-estime l’âme d’un peuple.

 

 

Cette arrogance partagée, née d’une vision mécaniste de la guerre, ignore la force des idéaux. En Afghanistan, le jihad unifie les tribus ; en Ukraine, l’aspiration à la liberté forge une nation. Les deux conflits, à des décennies d’écart, rappellent qu’aucune armée, si puissante soit-elle, ne peut briser une volonté collective.

 

Le piège de la guerre asymétrique : quand le terrain devient l’ennemi

Dans les gorges afghanes, l’odeur âcre de la poudre flotte après chaque embuscade. Les Moudjahidines, insaisissables, frappent les convois soviétiques avant de fondre dans les montagnes. Un officier soviétique, dans un rapport déclassifié de 1983, se lamente : "Nous contrôlons les villes le jour, mais la nuit, le pays appartient aux bandits". Le terrain, escarpé, devient un allié des résistants. Les techniques de guérilla – attaques éclair, mines artisanales – épuisent une armée conçue pour des batailles conventionnelles. Les hélicoptères soviétiques, jadis maîtres du ciel, tombent sous les missiles Stinger fournis par les Américains, changeant la donne.

 

En Ukraine, le décor change, mais le scénario se répète. Les plaines boueuses et les villes dévastées deviennent des champs de bataille asymétriques. À Boutcha ou Marioupol, les forces ukrainiennes, équipées de drones bon marché et de missiles Javelin, harcèlent les colonnes russes. Un commandant ukrainien, dans un message radio intercepté, ordonne : "Frappez leurs chars, puis disparaissez dans les ruelles. Qu’ils cherchent des fantômes". Les immeubles éventrés de Kyiv ou Kharkiv se transforment en forteresses improvisées. Les drones, omniprésents, traquent les blindés russes, comme les Stinger traquaient les hélicoptères en Afghanistan.

 

 

Cette guerre asymétrique, où le faible défie le fort, révèle une vérité universelle : la technologie et la puissance brute ne suffisent pas face à une résistance qui maîtrise son terrain. Les Moudjahidines, comme les Ukrainiens, transforment chaque rocher, chaque ruelle, en arme. L’envahisseur, engoncé dans ses doctrines rigides, s’enlise dans un cauchemar sans fin.

 

Le soutien de l’extérieur : une planche de salut pour la résistance

En Afghanistan, le vent de la résistance ne souffle pas seul. Dès 1980, les États-Unis, via l’opération Cyclone, inondent les Moudjahidines d’armes, de fonds et d’entraînement. Les missiles Stinger, livrés à partir de 1986, abattent des dizaines d’hélicoptères soviétiques, brisant leur suprématie aérienne. Un chef moudjahidine, Ahmad Shah Massoud, note dans son carnet : "Avec ces tubes d’acier [les Stinger], le ciel nous appartient à nouveau". Le Pakistan, l’Arabie saoudite et d’autres alimentent également la lutte, transformant un conflit local en guerre par procuration. Ce soutien, crucial, prolonge la résistance afghane.

 

 

En Ukraine, l’aide occidentale joue un rôle similaire, mais à une échelle inédite. Dès les premiers jours de l’invasion, les États-Unis, l’Union européenne et leurs alliés livrent des armes modernes : missiles anti-chars, artillerie HIMARS, drones Bayraktar. En 2023, un rapport du Pentagone, partiellement déclassifié, estime que l’aide militaire à l’Ukraine dépasse les 50 milliards de dollars. Les renseignements satellites, fournis en temps réel, permettent aux Ukrainiens de frapper des cibles stratégiques russes. Un soldat ukrainien, dans une lettre à sa famille, écrit : "Les Américains nous envoient des Javelin, les Polonais des obus. Avec ça, on tient". Comme en Afghanistan, ce soutien extérieur est une bouée de sauvetage.

 

 

Pourtant, cette aide n’est pas sans ambiguïté. En Afghanistan, elle alimenta un chaos post-conflit, avec des armes tombant entre les mains d’extrémistes. En Ukraine, certains craignent que l’afflux d’armes ne complique une future reconstruction. Mais dans les deux cas, l’aide extérieure renverse l’équilibre, prouvant que la résistance, seule, ne suffit pas face à une superpuissance.

 

Le fardeau de l’envahisseur : coût humain, isolement et désillusion

Dans les hôpitaux de Tachkent, en 1985, les blessés soviétiques affluent, les visages marqués par l’horreur. La guerre d’Afghanistan, initialement vendue comme une mission de "fraternité socialiste", devient un gouffre. Les archives soviétiques recensent 15 000 morts et 35 000 blessés, sans compter les traumatismes psychiques. À Moscou, les mères des soldats, dans des lettres au gouvernement, implorent : "Ramenez nos fils, assez de sang !". L’économie, déjà fragile, s’essouffle sous le poids des dépenses militaires. L’invasion, condamnée par l’ONU, isole l’URSS : le boycott des Jeux olympique de Moscou, en 1980, en est le symbole.

 

 

En Ukraine, la Russie revit ce calvaire. Les pertes russes, bien que masquées par la propagande, sont estimées à des dizaines de milliers de morts en 2023 par des sources indépendantes. Les sanctions économiques, d’une ampleur inédite, asphyxient l’économie : les rayons des supermarchés se vident, le rouble vacille. À Saint-Pétersbourg, une femme, dans un message intercepté, confie à son frère soldat : "Reviens, on ne sait plus pourquoi vous vous battez". L’isolement diplomatique est quasi total, hormis quelques alliés réticents comme la Chine. L’ONU condamne l’invasion à une écrasante majorité.

Ces deux guerres, par leur coût humain et moral, révèlent la fragilité des empires. En Afghanistan, le "syndrome afghan" hante les vétérans soviétiques ; en Ukraine, un malaise similaire s’installe, malgré la censure. L’histoire, implacable, montre que l’envahisseur, en cherchant à dominer, se détruit lui-même.

 

 

Dans les ruelles poussiéreuses de Kaboul comme dans les avenues dévastées de Kyiv, l’histoire murmure une leçon : la force brute s’effrite face à un peuple décidé à se battre. L’URSS en Afghanistan, la Russie en Ukraine : deux aventures militaires, deux échecs retentissants. Pourtant, chaque conflit porte ses nuances. L’Afghanistan sombre dans le chaos après le départ soviétique ; l’Ukraine, elle, rêve d’une renaissance européenne. Mais une question persiste : la Russie, comme l’URSS jadis, apprendra-t-elle de ses erreurs, ou poursuivra-t-elle, aveuglée, sa quête illusoire de domination ?

Comme David face à Goliath, les Moudjahidines et les Ukrainiens, armés de courage et d’une fronde faite de volonté, rappellent qu’un géant, si puissant soit-il, peut chanceler sous les coups d’un peuple déterminé.

 


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