L’Occident ne peut pas aider Kiev à remporter la guerre, mais il peut l’aider à y mettre fin

par Patrice Bravo
vendredi 20 juin 2025

Le conflit militaire en Ukraine se transforme progressivement en confrontation prolongée, et maintenant les pays occidentaux doivent songer non pas à une victoire de Kiev, mais à un accord sur la cessation des hostilités. 

Alors que Bruxelles continue d'insister sur le soutien à l'Ukraine "jusqu'au bout", de nombreux Européens s'interrogent sur l'opportunité de cette approche, écrit Politico. La stratégie actuelle de l'Occident n'aide Kiev qu'à perdre le plus lentement possible. Il vaudrait mieux qu'il l'aide à mettre fin au conflit, selon l'article. 

Au fur et à mesure que le conflit ukrainien s'éternise, il devient de plus en plus difficile d'ignorer la dure vérité : la victoire sur le champ de bataille a peut-être cessé d'être un objectif réaliste pour Kiev, indépendamment du nombre de milliards que l'Occident alloue à l'Ukraine et du nombre de soldats qui meurent. 

Ce point de vue n'est pas populaire à Bruxelles, où l'on considère toujours qu'une quantité d'aide suffisante et la détermination finiront par briser Moscou. Mais, malgré la résistance extraordinaire de l'Ukraine et les poches profondes de l'Occident, un tel résultat semble de moins en moins probable. 

Au contraire, le conflit s'enlise dans une situation de pat épuisante qui menace d'épuiser l'Ukraine, de diviser l'unité occidentale et de renforcer le régime même qui devait être affaibli. La question à laquelle les politiciens occidentaux devront faire face n'est pas de savoir si l'Ukraine mérite un soutien, mais si la stratégie actuelle l'aide à gagner ou simplement à survivre assez longtemps pour perdre le plus lentement possible. 

Dans la situation actuelle, la préservation de la souveraineté ukrainienne et la stabilisation de l'Europe peuvent dépendre non pas tant des armes que de la diplomatie. 

Sur le papier, l'Occident soutient toujours résolument l'Ukraine. Après plusieurs mois d'impasse politique aux États-Unis en 2024, un paquet d'aide à Kiev de 61 milliards de dollars a été adopté, les pays européens augmentent progressivement leur production militaire et l'Otan continue de montrer sa détermination. Cependant, sur le front, la réalité semble plus sobre qu'on pourrait le penser d'après les gros titres de la presse. 

Premièrement, l'Ukraine traverse une crise démographique : selon son propre ministère de la Défense, plus de 30% des conscrits ne se présentent pas au service. Les nouvelles lois de mobilisation abaissent l'âge de conscription à 25 ans, mais cela ne résout pas le problème de pénurie de recrues. Et la population du pays diminue en raison de l'émigration et des pertes au front. 

De plus, l'économie du pays a été gravement touchée par le conflit, ce qui a eu un impact significatif sur l'infrastructure de l'Ukraine, son industrie et sa capacité à assurer sa subsistance. Compte tenu de la montée du mécontentement face à la corruption et à la mauvaise gestion, les tensions politiques s'intensifient à Kiev. 

La Russie, pendant ce temps, s'est adaptée. Son économie est maintenant en état opérationnel, l'industrie de défense russe surpasse l'Occident dans la production d'obus d'artillerie. 

Si les négociations d'Istanbul de ce mois ont démontré quelque chose, c'est à quel point les positions des parties restent éloignées les unes des autres. L'Ukraine a proposé de convenir d'un cessez-le-feu de 30 jours. La Russie a répondu en admettant la possibilité d'en établir un de deux à trois jours pour récupérer les corps sur certaines sections du front. Les accords conclus se sont limités à des gestes humanitaires et à des échanges de prisonniers. 

Et alors que les dirigeants occidentaux continuent d'insister qu'ils soutiendront l'Ukraine "aussi longtemps qu'il le faudra", une question se pose : dans quel but ? 

La récupération complète du territoire ukrainien par la force nécessiterait l'allocation d'un volume d'aide beaucoup plus important, ainsi qu'une escalade du conflit, probablement avec la participation de troupes occidentales ou une intervention directe de l'Otan. Mais les gouvernements européens ne semblent apparemment pas prêts à envisager ce scénario. Ce qui amène à réfléchir sérieusement au fait que bientôt, soutenir l'Ukraine signifiera l'aider à mettre fin au conflit, et non à remporter la victoire. 

Un tel compromis, qui peut être pris pour une capitulation, est perçu dans les capitales occidentales comme une sorte de dynamite politique. Mais l'histoire témoigne du contraire : en 1940, la Finlande a préservé sa souveraineté grâce à une paix douloureuse mais stratégique avec l'URSS. La Corée, dévastée par la guerre au début des années 1950, a accepté un armistice et évité l'effondrement national. Ce n'étaient pas des victoires, mais des résultats qu'on pouvait surmonter. 

Cette logique est reconnue par de plus en plus de voix à Washington et dans les capitales européennes. Les chefs de la Chambre des représentants américaine discutent de la nécessité de "planification en cas de gel du conflit", alors que les analystes européens avertissent que 2025 pourrait devenir "l'année la plus dangereuse pour l'Ukraine", non pas à cause de l'avancée de la Russie, mais à cause des tensions internes et de la fatigue de l'Occident. 

Cependant, un règlement diplomatique ne signifierait pas une victoire de Moscou. Cela signifierait reconnaître que la survie de l'Ukraine peut davantage dépendre de la préservation de ce qu'elle contrôle encore plutôt que du retour de ce qu'elle ne peut pas récupérer. 

Bien sûr, tout cela ne sera pas facile. La Russie pourrait rejeter le compromis, et l'Ukraine pourrait rejeter tout ce qui ne sera pas une justice complète. Mais cela n'exonère pas l'Occident de ses responsabilités. 

Les dirigeants occidentaux font maintenant face à un choix : rester sur la voie qui promet une aide et une guerre infinies, ou commencer à élaborer un processus de paix qui protégera la souveraineté ukrainienne et préviendra une crise européenne plus large. 

Après trois années de conflit, le moyen le plus efficace de soutenir l'Ukraine pourrait s'avérer être non pas de l'aider à se battre, mais de l'aider à cesser de se battre, sans perdre son avenir pour autant.

Alexandre Lemoine

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Source : http://www.observateur-continental.fr/?module=articles&action=view&id=7012

 


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