Des âmes et des saisons — Boris Cyrulnik

par Catherine Perrin
mercredi 15 septembre 2021

À l’aide de nombreux exemples empruntés à la psychologie ou à l’éthologie, Boris Cyrulnik montre à quel point notre environnement agit sur l’être humain. Contrairement à ce que l’homme a longtemps pensé, il a certes dominé la matière, mais il est loin d’avoir dominé la nature.

L’approche psychoécologique

Elle distingue trois niveaux.
Le premier niveau concerne l’enveloppe proche du corps. Le deuxième niveau, plus éloigné, est constitué de la famille, du quartier et de l’école. Enfin, le troisième et dernier niveau est celui des mots et des représentations abstraites.
Chacun de ces niveaux quand il se modifie ou qu’il change a un impact sur notre personnalité et même sur notre biologie.

Extrait

«  Tous les êtres humains ont un cerveau humain, mais chaque cerveau a été sculpté différemment selon les pressions des milieux précoces. Dans l’utérus, dès que le cerveau de l’embryon commence son développement, il subit la pression des émotions maternelles. Après sa naissance, quand il est dans les bras de ses parents, la construction du cerveau est tutorisée par l’entente affective du foyer. Puis, quand l’enfant parle, il comprend les règles et les histoires racontées par sa famille et sa culture et les incorpore dans sa mémoire. Ne nous étonnons pas si chaque cerveau est personnalisé, puisqu’il résulte des forces façonnantes qui exercent leur pression depuis l’origine. C’est pourquoi, lorsqu’un accident abîme une zone cérébrale, les effets ne sont pas rigoureusement les mêmes. Chacun perçoit le monde que son cerveau lui fait voir comme une réalité objective. Selon sa génétique, son développement et son histoire, chaque personne vit dans un monde à nul autre pareil. Et comme le réel ne cesse de changer selon les bouleversements climatiques et sociaux, le cerveau donne à voir des mondes sans cesse différents.  »

Une forte tendance à idéologiser les découvertes

Boris Cyrulnik cite une professeure d’université, féministe radicale, qui a cherché à démontrer qu’aucune femme n’a été nazie. J’aurais aimé le croire, mais c’est faux bien sûr. Il s’interroge sur les motivations de cette enseignante, voulait-elle prouver que l’homme représente le Mal  ? «  Dans ce cas, conclut Cyrulnik, le féminisme qui devrait être la fierté de notre société risque de se transformer en sexisme décourageant.  »

L’éducation des hommes et des femmes

L’agressivité masculine a sûrement été une adaptation nécessaire à la survie. Mais il n’est pas certain que l’agressivité masculine est si naturelle que ça. On élevait les petits garçons en leur inculquant l’idée qu’ils ne pourraient pas échapper à la guerre. Ils étaient séparés de leur famille et souvent battus :

«  Pour bien éduquer un jeune garçon, il fallait le battre, on lui apprenait qu’il connaîtrait la guerre plusieurs fois dans sa vie. On glorifiait la violence, hommes tués, grands animaux tués. Ce n’est que depuis quelques décennies que la violence a été disqualifiée et qu’on cherche à protéger les femmes et les enfants. La violence s’est civilisée en se cantonnant aux spectacles sportifs.  »

Et finalement :

«  Peu d’hommes regrettent l’époque où ils devaient s’engager dans n’importe quelle armée ou bien travailler quinze heures par jour dans des conditions de torture physique, sans voir la lumière, et puis donner tout l’argent à leur femme. On les applaudissait, on les héroïsait, on leur donnait tous les pouvoirs en attendant la silicose qui les emportait à la cinquantaine. Était-ce vraiment une bonne affaire  ?  »

Le rôle de la famille a évolué

Extrait

«  A l’origine, le mot famulus désignait un petit groupe où chacun était le serviteur de l’autre. À Rome, tous les habitants d’un domicile constituaient une famille gouvernée par un chef. Cet homme décidait du destin des enfants qu’il avait engendrés et parfois reconnus. Il choisissait aussi les esclaves qui habitaient cette maison et qu’il adoptait quand l’estime et l’affection se tissaient entre ces deux hommes. Cette conception de la famille qui associe la parenté, la filiation et la résidence intègre l’espace (le toit) et la fertilité. Or la structure des logements familiaux dépend beaucoup des progrès techniques de l’architecture et des récits qui établissent une hiérarchie des valeurs morales. Au XIXe siècle, les enfants se développaient dans des logements habités par des personnes de tous les âges, coordonnées par le travail paysan (la ferme), la fonction ouvrière (l’appartement) ou la filiation aristocratique (le château).
Les hommes occupaient un espace au loin dans les champs, dans les mines ou dans les usines où les femmes commençaient à venir. Elles occupaient un espace plus proche de la maison, s’occupaient de la basse-cour, surveillaient les enfants et servaient les hommes à table. Après chaque guerre, on a noté une modification de cette répartition spatiale et des rôles domestiques. Après 1918, de nombreux jeunes hommes en âge de travailler avaient été tués dans les tranchées. Beaucoup revenaient chez eux mutilés, gazés ou souffrant de troubles psychiques qu’on ne savait pas encore appeler “traumatismes”. Les femmes, pendant ce temps, avaient pris leur place dans les champs, les usines et les institutions. Elles découvraient leurs capacités à travailler loin de chez elle et à se sociabiliser.  »

Source : Des âmes et des saisons — Boris Cyrulnik


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