Municipales 2008, Bordeaux... : c’est quoi une ville ?

par Bernard Dugué
mardi 4 décembre 2007

Les municipales de 2008 approchent. Parmi les batailles pour conquérir les grandes villes, il y en a une qui sera suivie de près par les médias. A Bordeaux, ville gérée par la droite depuis 60 ans, dont 12 avec Alain Juppé (incluant l’épisode québécois), la gauche se sent pousser des ailes suite à la députation de Michèle Delaunay, victorieuse face à l’ancien Premier ministre, auparavant tombé sous les grèves de décembre 1995, puis sous le coup de la justice. Ajoutons à cela une confortable majorité pour Ségolène Royal lors des présidentielles de 2007, et ce, à l’échelle de la ville bordelaise. Et puis la personnalité de la tête de liste, Alain Rousset, fort d’une expérience reconnue à la mairie de Pessac puis comme président du Conseil régional. Et tous les Girondins de gauche de se dire : c’est jouable ! Autrement dit, c’est gagnable. Nul ne peut prédire quels seront les éléments décisifs, mais sur la question du charisme, c’est sûr, nos deux prétendants au Palais Rohan sont sur la même ligne, aux côtés d’un mollusque fameux élevé dans des parcs sur le bassin d’Arcachon. Reconnaissons tout de même un avantage substantiel au sortant. Si en sport, on ne change pas une équipe qui gagne, en politique, on renouvelle le mandat d’un maire qui s’est bien occupé de sa ville. Et c’est justement le cas. Avec à son actif la rénovation des quais, l’embellissement de la rive droite auparavant délaissée par l’ancienne équipe et, last but not least, ce tramway qui relie les quartiers populaires de la rive droite au centre historique (inscrit au patrimoine de l’Unesco), à la gare, mais aussi qui dessert campus de Talence et Pessac, sans compter les nouvelles dessertes en cours de réalisation dans la seconde phase. A moins d’être de mauvaise foi, on ne peut que donner une excellente note à ces grands chantiers, même si quelques-uns, riverains ou commerçants, n’y ont pas trouvé leur compte.

Alain Juppé peut donc afficher un bon bilan, mais cela ne devrait pas suffire en toute logique car on élit aussi une équipe pour ce qu’elle propose pour l’avenir. De plus, une ville est devenue une entité complexe à gérer, avec des demandes, souhaits et requêtes qui ne peuvent être satisfaits en totalité, sans compter les litiges, les conflits d’intérêts, les antagonismes, bref, tout un ensemble nécessitant des arbitrages. Par ailleurs, il est de notoriété publique que les connivences se créent, et qu’à une échelle locale, la logique est de même facture que celle en vigueur à Bruxelles et cet imposant système de lobbying destiné à soigner les intérêts des entreprises privés. Le citadin aimerait que les choses se passent de manière plus transparente. C’est souvent le cas, mais lors de la campagne électorale, les projets peinent à se faire entendre, autant que les lignes politiques à dessiner clairement. On se situe parfois dans un fourre-tout de mesurettes accompagnées (pour plaire à tous) de vœux pieux et de généralités qui ne disent rien de précis. En ce moment, deux idées ont une bonne cote. Le développement durable et la ville qui bouge. Il faut dynamiser la ville, il faut faire bouger Bordeaux ! Voilà ce qu’on risque d’entendre lors de la prochaine campagne au début de l’année 2008. Quant à Rousset, il lui faudra trouver une ligne, des projets et ne pas se contenter de jouer l’opposition classique gauche-droite. D’abord parce que les lignes ont bougé au niveau national. Mais surtout parce qu’à l’échelle locale, le champ d’intervention politique ne se détermine pas sur des alternatives pertinentes au niveau national. Pour le dire clairement, si une présidentielle implique la question « c’est quoi la France ? », une municipale impose qu’on se demande « c’est quoi une ville ? ». Et cette question, il est sûr que Juppé et Rousset vont y répondre en faisant appel à leur équipe et leurs soutiens. C’est quoi, Bordeaux, et comment voulez-vous que cette ville soit gérée et se transforme, soit architecturée et organisée pour y habiter, y vivre, s’y sentir bien, s’y éclater ?

C’est quoi une ville ou plutôt, une cité, le terme étant plus évocateur, laissant transparaître la figure d’une citéen, pendant local du citoyen de la nation. Justement, Renan avait répondu à la question de la nation, notamment en concevant une solidarité spirituelle entre ses membres, accompagnée d’un sens et horizon commun. Cette idée a été balayée par l’Histoire, notamment la monté de l’individualisme. Il y a fort à parier qu’on ne puisse trouver un concept répondant à la réalité des cités urbaines du XXIe siècle et d’ailleurs, un citéen n’a rien d’un citoyen qui lui, se sent appartenir à une nation, pendant la durée de sa vie, tout en se déplaçant sur le territoire national. Un citéen ne ressent pas la même appartenance, sauf s’il est né puis a vécu dans une seule et unique ville. Compte-tenu des migrations, professionnelles notamment, la majorité des citéens ne sont pas originaires de la localité où ils résident. Mieux vaut alors focaliser l’action publique sur cette question : comment aménage-t-on une ville, qu’est-ce qu’on y fait ?

A ces questions, on peut parier sur un consensus de la part de tous les prétendants à l’Hôtel de ville et l’évolution récente montre des tendances générales. Une municipalité est avant toutes choses une sorte d’entreprise de service public qui tire ses moyens de la fiscalité et en retour, offre une série de services publics destinés aux personnes, assure le bon ordre, l’entretien de l’espace public, organise l’aménagement des bâtiments et zones urbaines, plus diverses activités, sociales et culturelles notamment. On comprend aisément pourquoi les villes, ayant besoin de financement, misent sur les classes moyennes et supérieures, tentent d’attirer les activités économiques florissantes, et se félicitant de ce fameux dynamisme économique local, à l’instar du sorcier satisfait d’avoir fait pleuvoir, sauf que ce qui fait pousser la ville, c’est la croissance économique irrigant les réalisations municipales.

Le premier souci des maires, c’est l’activité économique et les rentrées d’argent, ensuite, c’est la satisfaction des citadins et autres citéens. Un principe simple, mais une mise en pratique très complexe en raison des intérêts divergents. Une ville, ce n’est pas que du bâti, c’est aussi un lieu de vie et comme les citadins n’ont pas les mêmes pratiques, les mêmes vies, les mêmes goûts, les mêmes moyens, alors ça coince. Pour certains, la tranquillité est recherchée, pas de nuisances, une vie calme, paisible, alors que d’autres veulent foncer, bouger, participer à des activités, vibrer la nuit. D’un côté, les riverains (rivés au quartier) et de l’autre un monde festif. Les uns plutôt sédentaires, les autres du genre nomade. Bref, des styles de vies impliquant une certaine idée de la ville et que les municipalités tentent de concilier non sans faire quelques mécontents. A Bordeaux, on pensera au quai de Paludate ou à la Victoire, lieux de festivités estudiantines ayant le don d’agacer quelques riverains, mais il faut bien satisfaire tout le monde.

Une ville se vit et se représente selon le style d’existence de chaque citéen, mais, pour sûr, il existe quelques grandes catégories, notamment le doublet riverains et festifs, dichotomie associée aussi à des tranches d’âge et des situation familiales. Le couple avec trois enfants en bas âge, le retraité, l’hyper bosseur cherchant repos en sa demeure, seront plutôt riverains, opposés aux jeunes, aux étudiants, aux couples trentenaires sans enfants, aux jeunes quinquas dont la progéniture est devenue indépendante. C’est aussi une question de moyens, les activités se payent. Mais la France ayant encore sa tradition sociale héritée du catholicisme, les villes prennent en charge quelques dépenses festives et culturelles. A Bordeaux, un étudiant peut assister à 6 ou 8 concerts classiques pour le prix d’une place chez Obispo.

L’équipe dirigeante de Bordeaux semble donner satisfaction à une majorité de citéens. Ce fait risque de peser lourdement dans la balance, offrant peu de champ à Rousset et son équipe de campagne. Cette conjoncture se prête parfaitement à une analyse philosophique et politique de l’élection municipale qui ici, a été très succinctement esquissée. L’esprit de la ville, le comment y vivre. La division droite gauche, naguère instrumentalisée pour faire des municipales une élection sanction du gouvernement, n’est pas certaine de jouer à nouveau. Les socialistes le savent d’ailleurs et leur seule chance est de faire passer Bordeaux pour une ville endormie en se présentant comme les chantres de la vie culturelle, de l’animation sociale et collective. Je crains bien que Bordeaux soit imprenable pour une gauche qui, si elle a le soutien de personnalités des mondes intellectuels et culturels locaux, ne se coule pas dans les aspirations citéennes adoptées par des gens en quête d’une ville où il fait bon vivre, mais pas d’une fête intempestive et permanente. Les élections municipales n’ont plus de véritable sens politique. Chaque équipe s’affairant à élargir au maximum sa clientèle électorale en soignant au mieux un peu tout le monde, c’est-à-dire les catégories sociales et les populations des quartiers.

Bien évidemment, la mise en scène médiatique nous convaincra d’un enjeu politique majeur. Et les Bordelais seront certainement sollicités par la gauche pour faire de ce scrutin un test national destiné à sanctionner la politique de Sarkozy. Bref, un hold-up électoral d’un classique très évident. Après les régions en 2004, récupérées par le PS dans un contexte de fronde contre le gouvernement Raffarin, la gauche espèce conquérir quelques belles villes avec Bordeaux érigée en symbole de la reconquête du pouvoir par le PS.


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