Pourquoi reparle-t-on de l’affaire Grégory ?

par Sylvain Rakotoarison
samedi 21 juin 2025

« [C'est] important de rendre public l’arrêt de mercredi parce que c’est une information d’intérêt général qui concerne toute la société. C’est un fait de société majeur. » (François Saint-Pierre, le 20 juin 2025 sur CNews).

Que s'est-il vraiment passé le 16 octobre 1984 entre 17 heures et 21 heures à Lépanges-sur-Vologne, dans les Vosges ? Après plus de quarante ans d'enquêtes judiciaires, l'histoire du petit Grégory Villemin, 4 ans, reste toujours aussi mystérieuse qu'au début. Pendant ce laps de temps, il a été enlevé de son foyer, conduit, peut-être séquestré, puis assassiné, jeté ligoté dans la rivière.

L'assassinat a ému beaucoup de monde, la France entière, ce fut même la première affaire réellement médiatisée avec toutes ces horreurs de communication pour avoir du sensationnel, ces photos posées devant la tombe, etc. L'affaire a été très malmenée par la justice, un premier accusé qui a été assassiné par le père de l'enfant, puis l'accusation contre la mère de l'enfant, de nombreuses erreurs, etc.

Ce qui semble établi, c'est la jalousie d'un certain nombre de personnes, dans la famille comme à l'extérieur, pour ce couple qui avait réussi à gravir les échelons sociaux peut-être mieux que les autres. Ce qui caractérise cette affaire, ce sont les appels anonymes et les nombreuses lettres anonymes, non seulement de l'époque, en 1984, mais bien avant (la première lettre date du 4 mars 1983) puis après l'assassinat de l'enfant, mais aussi bien après, jusqu'en début juillet 2017. Des lettres de menaces, de jalousie, de revendication. Un corbeau... ou plusieurs.

Les questions sont nombreuses : ces lettres anonymes proviennent-elles d'une seule et même personne ou pas ? leur auteur (ou leurs auteurs) est-il le coupable ? et plus généralement, Grégory a-t-il été victime non pas d'un seul assassin mais carrément d'un complot éventuellement familial ?

Depuis une vingtaine d'années, la technologie a permis de très nombreux progrès dans les investigations criminelles. Toutefois, de nombreuses pièces sont aujourd'hui manquantes ou trop anciennes, trop détériorées, pour être analysées avec les moyens modernes. Parmi ces nouvelles techniques, il y a l'intelligence artificielle qui peut faire des merveilles. Et notamment sur la graphologie et le style d'écriture. L'analyse du style peut déterminer si plusieurs lettres proviennent d'un même auteur ou pas.

On ne sera donc pas étonné que de manière sporadique, l'affaire Grégory revienne parfois en surface. La première remarque est que c'est une excellente chose, pas pour des raisons médiatiques, mais parce que cela permet de ne pas clore l'affaire.

La chambre d'instruction de la cour d'appel de Dijon a rouvert le dossier le 8 décembre 2008 et les investigations continuent tant bien que mal. On reparle ces jours-ci de cette affaire parce que le procureur général auprès de la cour d'appel de Dijon (où a été délocalisée l'affaire) a annoncé le 18 juin 2025 la convocation prochaine de la grande-tante de Grégory, à savoir Jacqueline Jacob, pour un interrogatoire de « première comparution » en vue d'une « mise en examen pour association de malfaiteurs criminelle », selon le communiqué de la cour d'appel de Dijon.


 

Ce qu'on apprend, c'est que Jacqueline Jacob sera convoquée... dans les mois prochains (et pas dans les jours prochains), « pas avant quelques mois », selon le parquet, ce qui rend donc étonnant le communiqué de la cour d'appel par l'imprécision de la date de cette convocation.

L'avocat des parents de Grégory, François Saint-Pierre, a déclaré (à mon sens, un peu trop hâtivement) le 20 juin 2025 sur CNews : « Le juge d’instruction a pris cette initiative parce qu’il en était arrivé à une somme d’indices qui rendaient nécessaire l’audition de Madame Jacob et dans un cadre juridique approprié, à savoir un interrogatoire de première comparution aux fins éventuelles d’une mise en examen. Elle va s’expliquer. Le juge aura le choix de la mettre en examen ou de la placer sous le statut de témoin assisté. Nous n’assisterons pas à cette audition. Nous prendrons connaissance de l’issue de celle-ci ultérieurement, avec le procès-verbal. (…) On s’est toujours dit qu’il y avait les preuves scientifiques, comme l’ADN et la téléphonie. Maintenant, il y a l’identification vocale. Toutes ces nouvelles technologies pourraient apporter des réponses. Je n’ai jamais renoncé à l’idée qu’un jour quelqu’un qui a tant sur la conscience s’exprime et se délivre de ce fardeau abominable. Pourquoi Jacqueline Jacob ne le ferait-elle pas ? Pourquoi ne dirait-elle pas ce qu’il en est exactement et comment ce crime s’est-il passé ? (…) Est-ce que Madame Jacob va garder le silence ? Peut-être, je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que ses avocats vont contester la légalité même de cette mise en cause aux motifs qu’il y a prescription et que la qualification juridique n’est pas la bonne. ».

Cet avocat expliquait : « Lorsque [les parents] ont appris la nouvelle, ils ont été gagnés par une très forte émotion. Non pas qu’ils pensent que l’affaire va être résolue d’un jour à l’autre, mais parce que chaque avancée peut donner l’espoir d’une résolution. (…) Le droit au silence est un droit fondamental. Il y a des faits. Il y a des preuves. Après la mise en examen, le juge ordonnera la tenue d’un procès. Pour nous, ce sera la chance, peut-être, de faire naître la vérité entourant le drame. Ce sera le dernier chapitre de cette très longue tragédie. ».

Jacqueline Jacob, tante du père de Grégory, Jean-Marie Villemin, et de Bernard Laroche, a maintenant 80 ans. Elle avait été déjà placée en garde-à-vue le 14 juin 2017 puis mise en examen le 16 juin 2017 pour « enlèvement et séquestration suivie de mort », mais elle avait bénéficié le 16 mai 2018 d'un arrêt de la chambre d'instruction de Dijon qui avait annulé la mise en examen « au motif que cette décision relevait de la compétence de la chambre de l’instruction et non du seul magistrat en charge du supplément d’information ».

De son côté, dès le 19 juin 2025, Jacqueline Jacob a réaffirmé « sa totale innocence », selon un communiqué de ses trois avocats, ajoutant aussi qu'elle « souhaite que sa présomption d’innocence ainsi que sa vie privée soient respectées », d'autant plus que, pour ses avocats, le parquet de Dijon considère « qu’aucun élément n’est de nature à constituer des indices graves ou concordants dans l’implication » de cette grande-tante. Les avocats se sont d'ailleurs étonnés que la qualification de mise en examen envisagée ne figurait pas dans le code pénal entre 1983 et 1986, donc au moment de l'assassinat de Grégory : « Il ne peut y avoir ni infraction ni peine sans qu’un texte ne les prévoie. ».

Tout ce qu'on peut souhaiter, c'est que l'auteur ou les auteurs soient enfin connus, voire jugés, le cas échéant (quand c'est possible), mais aussi qu'aucune nouvelle erreur judiciaire ne soit faite dans une affaire judiciaire aussi chaotique que celle-ci. Grégory Villemin, né le 24 août 1980 à Saint-Dié, aurait 44 ans et demi aujourd'hui.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 juin 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Pourquoi reparle-t-on de l'affaire Grégory ?
40 ans de confusions dans l'affaire Grégory.
Le juge Jean-Michel Lambert.
La relance judiciaire de l’affaire Grégory.
Histoire encore à suivre.
Documents sur l’affaire Grégory.

 


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