La petite brioche en sucre

 

La faille mémorielle

 

Enfant, c'était notre sortie du dimanche après le sacrosaint repas dominical. Chacun se pliait au rituel tandis que les gamins se demandaient ce qui pouvait bien pousser les adultes à emprunter toujours le même circuit. Immuable promenade qui mettait en mouvement tous les sullylois en quête de digestion ou de conversation. Chacun avait son itinéraire et son sens de rotation mais nul ne songeait à modifier quoique ce soit et surtout pas le passage par la grotte qui du fond du parc, permettait à la statue de la Sainte-Vierge d'admirer le magnifique Château.

Pour les adolescents, le Tour de Parc devint un détour discret, un moment de découverte des premiers émois, des premiers baisers pour ceux dont l'initiative ne tombait pas à l'eau. Plus tard, c'est là que menèrent les pas des jeunes parents qui derrière la poussette, entendaient transmettre cette habitude à ceux qui prendraient la relève.

Les années passèrent, le Tour du Parc en dépit de l'éloignement demeure ce dernier attachement à un passé dont les témoins s'effacent au fur et à mesure. Ceux qui sont partis loin se sont perdus de vue, ont été oubliés par ceux qui sont restés fidèles à leur village. Ce sont maintenant des inconnus qui se croisent en des regards chargés d'interrogation…

Pourtant, tous ceux qui connaissent le secret ne dérogent pas au pacte magique qui unit les sullylois de naissance à cette grotte qui n'est pourtant qu'une copie de la grotte miraculeuse de Lourdes. En passant devant la bonne dame, ils déposent un morceau d'une petite brioche au sucre en souvenir de celle qui jadis était offerte le dimanche des Rameaux à l'église. Les pâtissiers du village offraient alors cette gourmandise à tous les fidèles venus plus nombreux qu'à l'accoutumée pour ce plaisir gustatif.

Le morceau de brioche déposé aux pieds de la statue, ils se dirigent ensuite vers le Château, en empruntant la grande allée. C'est là que pour ceux qui sont nés ici, et rien que pour eux semble-t-il, se passe un mystère que j'ai longtemps tenu à garder secret. J'espère que rien de fâcheux m'arrivera pour avoir dévoilé ce que devrait rester scellé dans nos cœurs.

Après avoir déposé la brioche, le promeneur qu'il fut seul ou bien accompagné par des amis poursuit sa promenade comme si de rien était. Pourtant lui seul sait qu'à un certain endroit de l'allée, il connaîtra une transformation intérieure que personne n'observera. Il continuera de marcher avec ses amis, il leur tiendra conversation comme auparavant.

Mais pour lui tout sera alors différent. À l'aplomb exact de l'endroit où jadis Maximilien de Béthune a enseveli son secret, il entrera dans un nœud temporel qui lui fera remonter mentalement le temps. Ce phénomène durera le temps de l'approche jusqu'au château, la demeure qui fut celle du Baron de Sully qui avait légué à la terre ce que la bêtise des humains était incapable de conserver.

D'aucun ont prétendu que ce secret était un trésor fabuleux. L’appât du gain, la vénalité chère aux cupides, la chasse au trésor pour beaucoup ont toujours mis en branle bien des désirs de richesse. Pourtant il est plus grande richesse encore que ce cheval en or incrusté de diamants qu'on prête au trésorier du roi.

Pendant quelques minutes, les initiés retrouveront non pas leur jeunesse mais tous ceux qui la peuplèrent. Image fugace certes de ces défunts endimanchés qui défilent dans l'allée mais image chargée de souvenirs qui remontent ainsi en mémoire de celui qui bénéficie de cette magnifique offrande. Il n'est plus belle richesse que celle des souvenirs qui reviennent en mémoire.

Quand le mirage s'évanouit, il demeure si vivace dans l'esprit du marcheur qu'il se promet de revenir bien vite, profiter de ce miracle de la mémoire. Il a, en ces brefs instants, revécu tant de bons moments à jamais liés à ce qu'on nomme la nostalgie. La petite brioche au sucre à une nouvelle fois fait son office telle la madeleine du gars Marcel.

À contre-temps.

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