Se refaire la cerise

par C’est Nabum
samedi 2 septembre 2023

 

Santé à ceux qui trinquent !

 

Rien à voir avec la coupe rose et le jus de fruit, l'expression nous vient, nous affirme-t-on des poilus qui retrouvaient parfois visage humain après une permission ou une convalescence. On peut douter qu'ils puissent retourner vers l'enfer la mine joyeuse et le teint frais. Acceptons cependant cette hypothèse pour convenir qu'il est ici question de santé physique.

Curieusement cependant, loin des horreurs d'un conflit, la formule a vite viré à l'aigre pour ceux qui furent un jour confrontés aux queues de cerises. Pour celui qui se trouvait soudain dans la dèche, la panade, les gros soucis d'argent et qui espérait se refaire la cerise par des moyens plus ou moins louches, réguliers et honnêtes.

C'est sans doute le rouge au front et sans se faire tirer l'oreille que l’impécunieux se lançait gaillardement dans une opération douteuse aux frontières de la régularité. Il devait sans doute s'accrocher aux branches pour ne pas tomber d'un échafaudage financier aussi véreux qu'instable. La chute curieusement ne risquait pas de l'envoyer dans les pommes mais plutôt aux fraises, ce qui prouve le peu de logique de la langue quand elle emprunte des chemins métaphoriques.

Se refaire la cerise alors que la seule idée en tête est de récolter un peu plus d'oseille ou de blé devrait mettre la puce à l'oreille du désargenté. Ce n'est pas dans un arbre fut-il fruitier que l'on récolte cela. De là à se trouver marron, il n'y a qu'un pas, un saut dans le vide qui ne permet pas de retomber sur ses pieds.

La cerise soudain devient fardeau pour une existence qui n'est pas du gâteau. Être fauché et vouloir monter aux arbres c'est sans nul doute une manière de cumuler les handicaps, de se trouver plus sûrement au fond du trou qu'au sommet de la gloire. Le risque est grand alors de faire sauter la banque et de devoir se retourner vers le cerisier pour établir des chèques en bois, pour sauver un temps seulement, la face.

On revient alors aux origines de la formule puisque le fraudeur peut se retrouver à la Santé et boire la coupe jusqu'à la lie. Ce n'est certes pas ce que pensait alors nos poilus mais il est juste de reconnaître qu'ils n'avaient rien de comparable avec un individu totalement déplumé, ratiboisé, se retrouvant à sec ou à poil selon les mots de chacun. L'incarcéré pour dettes n'aura plus qu'à espérer se faire la cerise en jouant les filles de l'air plutôt que de compter sur la mansuétude du barreau.

Notons au passage que ce ratiboisé évoquerait plutôt l'abatage de nos fameux cerisiers et qu'il est judicieux de préciser qu'en orléanais justement, ceux-ci sont souvent remplacés par des noisetiers qui eux, n'ont pas besoin de main d'œuvre pour la récolte. Une balayeuse suffit à ramasser les noisettes qui comme on sait finiront à la Caisse d'Épargne.

Se refaire la cerise serait donc passé de mode et désormais il faudrait espérer se revigorer les noisettes. Le risque est grand que ceux qui vous entendent espérer pareille éventualité ne pensent pas que vous ayez des soucis d'argent. Mais là encore, ces questions de bourse me dépassent d'autant que je n'ai jamais eu la queue en panache.

Je me rends compte que j'ai la guigne et qu'il me faut préciser pour nombre d'entre vous que j'évoque ici une petite cerise rouge foncé ou noire, à chair ferme et sucrée, symbole de malchance, car je ne sais absolument pas comment conclure ce récit qui pourtant à une queue et un noyau. Point de cerise sur le gâteau ni de chute savoureuse, je n'ai plus qu'à ramener ma fraise d'une autre manière.

Je préfère donc fermer ce récit en vous promettant bientôt un conte courant évoquant notre ami l'écureuil sans pour autant que nous m'envoyez aux fraises. Pour revenir à notre sujet initial, je confie à un proverbe géorgien le mot de la fin : « Quand tu as sucé la cerise, ne regrette pas le noyau ! »

À contre-sens.


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