Le Dalaļ-Lama et George Bush : une affaire de cœur

par Altheos
vendredi 29 août 2008

Alors que Sa Sainteté du Tibet termine son séjour français, sous le regard ému de l’épouse du chef de l’Etat et de ministres de la République, nul n’a songé, parmi les politiques ou les journalistes, à l’interroger sur l’état du monde, au-delà de la sempiternelle critique de la Chine. Quel dommage : l’homme cultive une approche pour le moins originale du président Bush et de la guerre en Irak. Retour en arrière.

Un jour à marquer d’une pierre blanche pour la cause de l’autonomie tibétaine, un jour maudit pour la Chine : ce 17 octobre 2007, à Washington, l’élite de la classe politique américaine applaudit debout un homme venu recevoir, en grande pompe, une prestigieuse décoration : la médaille d’or du Congrès. George Bush, présent pour remettre la breloque, n’est pas peu fier de son double coup : irriter les autorités chinoises et s’attirer la sympathie des organisations des droits de l’homme, d’ordinaire critiques à l’encontre de la Maison-Blanche.

La relation entre le chef politico-religieux tibétain et les Etats-Unis est ancienne et complexe : durant la guerre froide, soutenir le mouvement autonomiste incarné par le Dalaï-Lama était un moyen parmi d’autres pour s’opposer à la Chine communiste. En 1959, à la suite de son exil contraint en Inde, le leader spirituel allait naturellement bénéficier de l’aide américaine, y compris à travers la protection de la CIA, et susciter l’engouement des mouvements anti-communistes durant près d’un demi-siècle. La figure du l’opposant tibétain fut longtemps associé à celle d’un "agent honorable" des Etats-Unis, toujours disposé à dépeindre à l’Occident, en échange de son soutien diplomatique et matériel, une image cruelle de " l’occupant" chinois.



Buddha Barman

Dès lors, le geste de Bush, l’automne dernier, n’a rien d’exceptionnel : il s’inscrit dans la continuité de la tension larvée existant entre les deux super-puissances, l’une en déclin, l’autre en devenir. Une relation américano-tibétaine solide perdure en conséquence, malgré les critiques internationales endurées par l’administration Bush. A cet égard, le Dalaï-Lama sait remarquablement cultiver sa différence : lors de son séjour en Amérique du Nord pour recevoir sa décoration, des journalistes lui demandèrent son sentiment sur la politique étrangère des Etats-Unis à propos des guerres menées en Afghanistan et en Irak. Que répondit le souriant prix Nobel de la paix et chantre de la non-violence ? "J’ai quelques réserves"… avant d’ajouter spontanément, "mais, quant au président Bush, je lui ai déclaré directement : En tant qu’individu, je vous adore !" Good boy ! Voilà un acte politique audacieux : déclarer sa flamme au chef d’Etat le plus haï de la planète après un jugement laconique pour ses mensonges et ses agissements. Même Tony Blair n’était pas allé aussi loin dans la démonstration affective et servile.

Ceux qui, à Nantes ou ailleurs, se sont émerveillés de la "sagesse" du leader tibétain se doutent-ils que leur gourou débonnaire n’a eu ni réelle critique ni sévère réprobation envers l’apôtre de la guerre préventive ? Evidemment pas : le karma de l’Irak échappe peut-être à leur horizon spirituel... Un autre prix Nobel de la paix, autrement plus cohérent, a su manifester avec véhémence son opposition radicale à la guerre, dès l’invasion de l’Irak : Nelson Mandela qui, il est vrai, était considéré dans sa jeunesse comme un terroriste. Pour l’équipe Bush, son avis ne doit pas trop compter. Tandis qu’en septembre 2003, interrogé par l’Associated Press, le moine relativiste du Tibet avait suggéré que la guerre en Irak pouvait être justifiée, la comparant à la Seconde Guerre mondiale, afin de "protéger le reste de la civilisation et la démocratie"... Près de cinq années plus tard, lors d’une lecture publique tenue à Philadelphie le 17 juillet dernier, le génie de la géopolitique surenchérit, avec une élévation d’esprit toute cosmique : "Les choses ne sont pas blanc ou noir. Quand nous jugeons une situation, nous devons observer tous les facteurs. Beaucoup de désastres, y compris la guerre en Irak, s’expliquent par l’absence de cette perception holistique. Vous ne pouvez regarder que dans une seule direction : dans le but de voir la réalité, il faut voir les choses en trois ou quatre ou sept dimensions"… Bon sang, mais c’est bien sûr ! La dévastation de l’Irak n’était pas une scandaleuse manœuvre militaire à des fins géostratégiques : c’est - tout simplement - un problème métaphysique.

Finalement, ce vendredi 22 août en France, deux hommes étaient sur la même longueur d’ondes, sans que cela ne soit trop évident : le Dalaï-Lama et Bernard Kouchner partagent, outre d’excellentes aptitudes en communication humanitaire, la même indulgence pour le bellicisme de Bush. Pendant ce temps, au loin, à Bagdad, Kaboul ou Guantanamo, un nouveau Bouddha, un autre Eveillé, attend peut-être son heure.


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