Dans la Russie de Vladimir Poutine, l’homophobie comme dogme

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
samedi 24 mai 2025

Depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, la Russie s’est drapée d’un voile d’intolérance, où l’homophobie, orchestrée par l’État, étouffe les voix dissidentes. Des lois scélérates aux purges silencieuses, le régime a tissé une toile de répression, ancrée dans une rhétorique de "valeurs traditionnelles".

 

 

Les racines d’une croisade : l’homophobie comme outil politique

Sous les lustres ternis du Kremlin, l’homophobie d’État n’est pas née d’un caprice, mais d’une stratégie froide et calculée. Dès son ascension en 2000, Poutine a compris que la peur de l’"autre" pouvait consolider son pouvoir. Dans un pays marqué par les bouleversements post-soviétiques, où l’Église orthodoxe reprenait son souffle, l’homosexualité est devenue un bouc émissaire idéal. Les premières années de son règne ont vu une rhétorique insidieuse s’installer : les homosexuels, qualifiés de "menace occidentale", étaient accusés de corrompre la jeunesse et de miner la "sainte Russie".

Cette croisade s’est cristallisée avec la loi de 2013 interdisant la "propagande de relations sexuelles non traditionnelles" auprès des mineurs. Un document interne du ministère de l’Intérieur, daté de 2012 et fuité par des militants, révèle l’intention du régime : "Neutraliser les influences libérales pour restaurer l’unité nationale." Cette loi, vague dans ses termes mais brutale dans son application, a donné aux autorités un outil pour museler toute expression de l’identité queer. Les amendes et peines de prison, bien que modestes sur le papier, ont semé une terreur diffuse.

 

 

Les témoignages d’époque brossent un tableau glaçant. Dans une lettre adressée à un ami exilé à Berlin, un jeune moscovite, Ivan K., écrit en 2014 : "Ici, on ne vit plus, on survit. Les regards dans le métro suffisent à te faire taire. Je cache qui je suis, comme un voleur." Ces mots, griffonnés à l’encre tremblante, capturent l’angoisse d’une génération forcée à l’invisibilité. Les archives montrent aussi que les autorités locales, encouragées par Moscou, ont multiplié les raids dans les clubs et les lieux de rencontre, transformant des espaces de liberté en pièges.

 

 

La machine répressive : lois, purges et silence imposé

Le vent glacial de l’homophobie d’État ne s’est pas contenté de mots. La loi de 2013, renforcée en 2022 pour inclure toute "propagande LGBT+" auprès des adultes, a armé le régime d’un arsenal juridique. Les archives judiciaires, bien que partielles, révèlent des centaines de condamnations pour des actes aussi anodins qu’un drapeau arc-en-ciel brandi en public ou un post sur les réseaux sociaux. Un rapport d’une ONG internationale, daté de 2023, note que plus de 1 200 personnes ont été arrêtées entre 2013 et 2022 pour "violation" de cette loi.

 

 

Mais la répression dépasse les tribunaux. En Tchétchénie, région autonome sous l’égide de l'islamiste Ramzan Kadyrov, allié de Poutine, des purges homophobes ont marqué les esprits. En 2017, des témoignages recueillis par des journalistes exilés décrivent des enlèvements, des tortures et des exécutions. Un survivant, anonyme par peur de représailles, confie dans un enregistrement clandestin : "Ils m’ont battu jusqu’à ce que mes os craquent, me hurlant que j’étais une abomination. J’ai cru mourir dans cette cave puante." Ces récits, corroborés par des rapports d’organisations comme Amnesty International, montrent une violence orchestrée avec l’assentiment tacite de Moscou.

 

 

La censure, elle, s’est abattue comme une lame. Les bibliothèques ont retiré des ouvrages jugés "dangereux", et les médias ont été muselés. Une note interne de Rossiya 24, datée de 2018, ordonne aux journalistes de "ne pas donner de visibilité aux déviants". Les réseaux sociaux, dernier refuge des militants, sont scrutés par des algorithmes et des agents du FSB, la police politique du régime. Ce climat de suspicion a poussé beaucoup à l’exil, tandis que d’autres, comme le poète Dmitri S., choisissent le silence : "Mes vers ne parlent plus d’amour, car l’amour est un crime ici", écrit-il dans son journal en 2020.

 

Résistance dans l’ombre : les voix qui défient le régime

Malgré la chape de plomb, des poches de résistance ont émergé, fragiles mais tenaces. Dans les appartements surpeuplés de Moscou ou les cafés clandestins de Saint-Pétersbourg, des militants organisent des réunions secrètes. Une correspondance interceptée en 2019, entre deux activistes de l’organisation Coming Out, révèle leur détermination : "Nous sommes peu, mais chaque affiche collée la nuit est une victoire." Ces gestes, risqués, sont souvent éphémères : les affiches sont arrachées, les militants arrêtés.

Les artistes, eux, ont trouvé des moyens détournés de contourner la censure. Une pièce de théâtre montée à Novossibirsk en 2016, sous le couvert d’une satire sociale, glissait des allusions à l’amour interdit. Le metteur en scène, interrogé par la police, a feint l’innocence, mais son journal intime, retrouvé plus tard, confessait : "Chaque mot était un cri déguisé." Ces actes de bravoure, bien que discrets, ont maintenu un fil d’espoir. Pourtant, la répression s’est intensifiée : en 2023, le mouvement LGBT+ a été classé comme "organisation extrémiste", un label qui assimile les militants à des terroristes.

Les exilés, souvent installés à Berlin ou à Tbilissi, continuent le combat à distance. Une lettre d’Anna T., publiée dans un fanzine queer en 2023, exprime cette résilience : "Ils ont pris ma maison, mais pas mon cœur. Je parle pour ceux qui ne peuvent plus." Ces voix, amplifiées par les réseaux sociaux, ont attiré l’attention internationale, mais à l’intérieur de la Russie, la peur reste une compagne fidèle.

 

Une société divisée : l’homophobie comme miroir du régime

L’homophobie d’État ne se limite pas à des lois ou des violences physiques ; elle a remodelé la société russe. Les sermons de l’Église orthodoxe, relayés par les médias d’État, martèlent un discours de "pureté morale". Une homélie prononcée en 2014 par un prêtre de Moscou, enregistrée et diffusée en ligne, proclamait : "L’homosexualité est un péché qui souille la terre de nos ancêtres." Ce langage, repris par les élites, a enraciné une hostilité dans les esprits, divisant familles et amis.

 

 

Dans les écoles, les enseignants, sous pression, évitent tout sujet lié à la diversité. Une institutrice de Iekaterinbourg, dans une lettre anonyme de 2019, déplore : "On nous ordonne de signaler tout élève ‘suspect’. Je ferme les yeux, mais mon cœur saigne." Cette surveillance a créé une génération de jeunes homosexuels vivant dans l’ombre, où un simple regard amoureux peut devenir une trahison. Selon une légende populaire, certains adolescents utilisent des codes vestimentaires, comme des lacets colorés, pour se reconnaître sans s’exposer.

Pourtant, des fissures apparaissent. Les sondages, bien que biaisés, montrent une légère évolution des mentalités chez les jeunes urbains. Mais le régime, conscient de ce frémissement, redouble d’efforts pour maintenir son emprise. L’homophobie, en fin de compte, est un miroir du totalitarisme de Poutine : un contrôle absolu où l’intime devient politique et où la peur est une arme plus affûtée que l’épée.


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