« La Meute » : Le système LFI n’est pas un dysfonctionnement, mais un état d’esprit
par ThibaultD
samedi 24 mai 2025
La gauche radicale est en train de trembler : la parution du livre La Meute - Enquête sur la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon chez Flammarion met à jour un ADN que tout le monde soupçonnait : la stratégie du chaos perpétuel à La France Insoumise (LFI) n’est que le reflet des personnalités troubles du leader maximo et de son entourage.
Les journalistes Charlotte Belaïch et Olivier Pérou ne s’attendaient peut-être pas à une volée de bois vert de la sorte. Avec la sortie de leur livre La Meute - Enquête sur la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon chez Flammarion, les cadres de La France Insoumise (LFI) sont montés au front pour défendre l’honneur et la réputation de leur leader naturel : Jean-Luc Mélenchon, accusé dans l’ouvrage de manœuvres d’intimidation et autres menaces, de violence verbale, de management toxique, de purges au sein de l'appareil... Aussitôt, les lieutenants fidèles – et futurs héritiers du fonds de commerce – ont sorti l’artillerie lourde. Mathilde Panot y voit des « ragots et des « mensonges puisque beaucoup de faits rapportés dans ce livre sont faux », Manuel Bompard déplore quant à lui « un collage de fausses informations » qu’il prend avec un peu de légèreté. Le plus jeune de la bande, Hadrien Clouet, compare les journalistes à des « mercenaires de l’indigence ». À en juger par ces multiples contrefeux, les deux enquêteurs ont bel et bien dû appuyer là où ça fait mal.
Violences, harcèlement, injures & drogue
L’histoire de LFI est loin d’être un long fleuve tranquille. Depuis sa création en 2016 – en vue de l’élection présidentielle de 2017 lors de laquelle Mélenchon assoit sa suprématie sur la gauche de l’échiquier politique avec plus de 7 millions de voix –, LFI n’a cessé de faire la Une des journaux pour de mauvaises raisons. Pour les dérapages verbaux de son leader, pour le comportement de certains de ses cadres – nous y reviendrons –, pour ses purges d’un autre temps dont Alexis Corbières, Raquel Garrido, Danielle Simonnet, François Ruffin ou encore Clémentine Autain ont fait les frais. En somme, celles et ceux qui auraient pu faire de l’ombre au chef ont été évincés. Comme au temps du stalinisme.
En neuf ans, La France Insoumise a servi de tremplin pour son chef, mais a aussi attiré des personnalités troubles, convaincues de pouvoir surfer sur la vague ou d’avoir, un jour, un rôle de premier plan. Parmi ces bons soldats, certains – et certaines – traînent derrière eux quelques casseroles compliquées à faire oublier.
En ces temps de #metoo encore vivaces, autant commencer par Adrien Quatennens, tribun redoutable à l’Assemblée dont les coups médiatiques se sont transformés en coups tout court : en 2022, un article du Canard Enchaîné vient torpiller la carrière prometteuse du député du Nord. En cause : une main courante de sa future ex-femme pour des faits de « violences conjugales sur conjoint ». Condamné à quatre mois de prison avec sursis, Quatennens ne résistera pas à la pression médiatique et LFI le met sur la touche. Malgré ça, Mélenchon lui apporte son soutien en affirmant qu’il « reviendra dans la course un jour ou l’autre », saluant même « sa dignité et son courage ». On croit rêver.
Dans un autre genre, le cas d’Anne-Sophie Pelletier se pose là. Petit rappel des faits : en 2021 (alors qu’elle est eurodéputée à Bruxelles), Mediapart révèle qu’elle est accusée par une dizaine de collaborateurs de « harcèlement » et de « maltraitance ». Au courant depuis 2019, la direction de LFI ne la met pourtant pas sur la touche – Jean-Luc Mélenchon n’a certainement pas de leçon à donner dans ce domaine –, et Anne-Sophie Pelletier continue son œuvre comme si de rien n’était. Mais le malaise est là. En 2023 finalement, la délégation de LFI à Bruxelles jette l’éponge et l’exclue du groupe : pas moins de 13 assistants parlementaires sont sortis du bois et ont fait état de « conditions de travail dégradées et d’un comportement harcelant, déplacé et agressif ». Sa carrière à LFI s’arrête là. Restée à son siège au Parlement de Strasbourg, Anne-Sophie Pelletier tape désormais sur son ancien mentor : « Le management de LFI, ce n’est pas l’humain d’abord, mais les copains d’abord. Jean-Luc Mélenchon ne fait qu’instrumentaliser les "pauvres gens" qu’il prétend défendre. » Ce n’est pas la loyauté qui l’étouffe, loin s’en faut. Ni les convictions d’ailleurs, elle qui s’est lancée dans des manœuvres de plaidoyer via une pseudo-ONG crée de toutes pièces sans existence juridique.
La plupart des cadres et des petites mains du parti peuvent rougir. Que ce soit le médiatique Éric Coquerel – accusé à plusieurs reprises de harcèlement sexuel et de violences à l’égard d’un policier – ou encore Taha Bouhafs – journaliste activiste et candidat LFI aux législatives de 2017 – condamné pour injure raciste et lui aussi accusé de harcèlement et de violences sexuelles. Dernier exemple en date, qui fait tache : le contrôle de police sur le député de Loire-Atlantique Andy Kerbrat, pris en flagrant délit d’achat de drogue de synthèse en octobre 2024. La décence aurait voulu qu’il se retire du jeu politique, par devoir d’exemplarité. Que nenni : à gauche, tout le monde l’a érigé en victime et l’a donc soutenu.
La République, ce n’est pas eux
C’est un fait, l’appareil de La France Insoumise n’a cessé de s’entourer de personnalités troubles, d’hommes et de femmes aux pratiques plus que discutables. « Borderline », diront certains. Une réalité qui a poussé des cadres à quitter le navire depuis 2018. Comme Georges Kuzmanovic qui déplore « l’extrême concentration du pouvoir aux mains d’un petit groupe de nouveaux apparatchiks et bureaucrates, aux convictions mollement sociales-démocrates et à la complaisance des segments gauchistes de LFI à l’égard des thèses indigénistes ».
Dans leur ouvrage, Charlotte Belaïch et Olivier Pérou qualifient Jean-Luc Mélenchon de « gourou », d’homme « violent » ; LFI de « parti qui a tout d’une secte ». Leur livre offre un regard acéré sur ce qu’est devenu ce parti de gauche, fossoyeur du Parti socialiste, en donnant la parole à pas moins de deux cent témoins, dont « des militants qui sont partis déçus, abîmés par le mouvement, par dizaines ». Jean-Luc Mélenchon admet lui ne pas vouloir lire le livre, tandis que ses troupes défendent le chef à tout prix, y compris celui de la mauvaise foi. Chez les anciens Insoumis, comme Anne-Sophie Pelletier, on trouve pourtant bien peu de personnes prêtes à défendre le patron du mouvement. La rancoeur des proscrits ? Une telle unanimité pose question. Pour eux, La France Insoumise s’est lentement transformée en un « mouvement où il y a de la peur, il y a de la terreur » qui traque et harcèle ses « ennemis de l’intérieur ». Alors non, La France Insoumise et Jean-Luc Mélenchon ne sont pas la République, pour reprendre la célèbre formule du leader lors de la perquisition mouvementée de ses locaux en octobre 2018. Ils sont même tout l’inverse.