Le conflit israélo-iranien et le paradoxe nucléaire

par politzer
vendredi 20 juin 2025

 

une lecture avec Richard Wolff

Le conflit israélo-iranien, marqué par des tensions autour du programme nucléaire iranien, soulève une contradiction frappante : pourquoi craindre une hypothétique bombe iranienne si la possession d’armes nucléaires, comme celles d’Israël, est censée dissuader toute agression ? Cette question, met en lumière des incohérences stratégiques et des motivations géopolitiques plus larges. En intégrant la perspective de Richard Wolff, économiste marxiste qui analyse le déclin de l’empire américain, nous pouvons éclairer ce paradoxe dans le contexte d’une lutte pour l’hégémonie mondiale et régionale.

 

1. Le prétexte de la menace iranienne : une supposition commode

La menace d’un Iran doté de l’arme nucléaire repose sur une supposition. Les rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de 2023 et 2024 indiquent que l’Iran enrichit de l’uranium à des niveaux élevés (jusqu’à 60 %, proche des 90 % nécessaires pour une arme), mais aucune preuve définitive d’un programme militarisé n’a été établie. Cette ambiguïté sert de prétexte commode pour justifier sanctions, pressions diplomatiques et menaces militaires contre Téhéran.

Pendant ce temps, l’arsenal nucléaire d’Israël, estimé à 80 à 200 ogives (selon le Stockholm International Peace Research Institute, SIPRI, 2024), est rarement mentionné. Cette asymétrie dans le discours international reflète un double standard, que Wolff critiquerait comme une manifestation de l’hypocrisie des puissances impérialistes. Pour lui, les États-Unis et leurs alliés, dont Israël, utilisent la menace iranienne pour maintenir leur domination au Moyen-Orient, tout en ignorant les capacités nucléaires de leurs partenaires.

2. La contradiction de la dissuasion nucléaire

Une contradiction centrale : si la possession de l’arme nucléaire dissuade les agressions, comme le prétendent les puissances nucléaires (y compris Israël), pourquoi chercher à empêcher l’Iran d’en acquérir une, surtout si cette menace reste hypothétique ? Examinons ce paradoxe à travers la pensée de Wolff et les dynamiques régionales.

a) La dissuasion : une logique à géométrie variable

Pour Israël : L’arsenal nucléaire israélien, bien que non officiellement reconnu, est perçu comme une garantie de survie face à des voisins historiquement hostiles. Il repose sur la doctrine de la « dissuasion par la punition », où toute attaque contre Israël entraînerait une réponse dévastatrice. Cette logique a contribué à stabiliser les relations avec des États comme l’Égypte ou la Jordanie depuis les années 1970.

Pour l’Iran : Si l’Iran obtenait l’arme nucléaire, il pourrait adopter une posture de dissuasion similaire, rendant une attaque contre lui risquée. Cependant, Israël et les États-Unis perçoivent l’Iran comme un acteur irrationnel, en raison de son soutien à des groupes comme le Hezbollah ou le Hamas et de ses discours anti-israéliens.

 Cette perception (un peu raciste tout de même !), qu’elle soit justifiée ou non, alimente la crainte qu’un Iran nucléaire ne respecte pas les règles implicites de la dissuasion.

Wolff verrait dans cette différence de traitement une illustration des intérêts impérialistes. Pour lui, les États-Unis et Israël ne craignent pas tant une bombe iranienne en elle-même, mais plutôt la perte de leur contrôle sur la région. Un Iran nucléaire renforcerait l’influence de Téhéran, défiant l’hégémonie américaine et israélienne au Moyen-Orient, une région cruciale pour les ressources pétrolières et les routes commerciales.

b) Pourquoi attaquer une menace hypothétique ?

Si la dissuasion fonctionne, à quoi bon attaquer l’Iran pour éliminer une menace hypothétique ? Plusieurs facteurs, que Wolff relierait au déclin de l’empire américain, expliquent cette posture :

Stratégie préventive : Israël adopte une doctrine de frappe préventive, comme en témoignent les bombardements des réacteurs nucléaires irakien (1981) et syrien (2007). L’idée est d’éliminer tout risque avant qu’il ne se concrétise, même si la menace est incertaine. Wolff interpréterait cela comme un signe de « désespoir » d’un empire (américain et, par extension, israélien) en perte de contrôle, cherchant à maintenir sa domination par la force.

Équilibre régional : Un Iran nucléaire modifierait l’équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient, renforçant Téhéran face à ses rivaux (Israël, Arabie saoudite) et pouvant inciter d’autres pays (Turquie, Égypte) à chercher leurs propres arsenaux nucléaires. Wolff y verrait une menace pour l’ordre impérialiste occidental, qui dépend de la suprématie militaire de ses alliés.

Instrumentalisation politique : En Israël, la menace iranienne est utilisée pour mobiliser le soutien interne et détourner l’attention des crises domestiques (Netanyahu visé par des enquêtes judiciaires). En Iran, le programme nucléaire sert de symbole de résistance face aux pressions occidentales. Wolff analyserait ces dynamiques comme des manifestations de la crise du capitalisme, où les élites exploitent les tensions géopolitiques pour consolider leur pouvoir.

3. Le regard de Richard Wolff : un conflit dans le déclin impérial

Dans le cadre de sa thèse sur la fin de l’empire américain, Wolff considère les conflits au Moyen-Orient, y compris celui entre Israël et l’Iran, comme des symptômes d’un ordre mondial en mutation. Voici comment il pourrait interpréter le paradoxe soulevé :

Hégémonie américaine en déclin : Wolff soutient que les États-Unis, confrontés à la montée des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et à une perte d’influence économique (le PIB du G7 ne représentant plus que 28 % du PIB mondial contre 35 % pour les BRICS), utilisent des conflits régionaux pour maintenir leur domination. Le soutien inconditionnel à Israël et la diabolisation de l’Iran s’inscrivent dans cette stratégie. La focalisation sur la menace nucléaire iranienne, selon Wolff, est moins une question de sécurité qu’un moyen de justifier l’interventionnisme américain et de contrer l’influence croissante de la Chine et de la Russie, alliées de l’Iran.

Double standard et impérialisme : Wolff critiquerait le silence sur l’arsenal nucléaire israélien comme une hypocrisie typique des puissances impérialistes. Pour lui, les États-Unis tolèrent les armes nucléaires de leurs alliés (Israël, Inde) tout en sanctionnant celles de leurs adversaires (Iran, Corée du Nord), révélant un ordre mondial basé sur le pouvoir plutôt que sur la justice. Cette incohérence serait pour Wolff une preuve que le discours sur la « dissuasion » est sélectif et sert des intérêts géopolitiques.

Crise du capitalisme : Wolff verrait dans le conflit israélo-iranien une manifestation des contradictions du capitalisme tardif. Les tensions nucléaires, amplifiées par des rivalités économiques (contrôle des ressources pétrolières, routes commerciales), reflètent un système mondial en crise, où les puissances déclinantes (États-Unis, Israël) s’accrochent à leur suprématie face à des acteurs émergents (Iran, BRICS). La menace iranienne, réelle ou supposée, sert à légitimer des dépenses militaires massives ( beaucoup d’argent pour les actionnaires de l’armement) et à détourner l’attention des crises internes, comme les inégalités aux États-Unis ou en Israël.

4. Une logique paradoxale dans un monde multipolaire

Question ? « la possession de la bombe dissuade ou non ? » touche à une incohérence stratégique que Wolff relierait au désarroi d’un empire en déclin. Si la dissuasion nucléaire est universellement efficace, un Iran nucléaire pourrait stabiliser la région par un équilibre de la terreur, comme lors de la Guerre froide. Mais plusieurs facteurs, exacerbés par la perte d’hégémonie américaine, compliquent cette logique :

Méfiance mutuelle : Les relations israélo-iraniennes sont marquées par une hostilité profonde, amplifiée par des déclarations belliqueuses. Contrairement à la Guerre froide, il n’existe pas de canaux de communication fiables pour désamorcer les crises.

Acteurs non étatiques : L’Iran soutient des groupes comme le Hezbollah, qui ne suivent pas les logiques de dissuasion étatique. Israël craint que des technologies nucléaires ne soient transférées à ces acteurs, rendant la dissuasion inopérante.

Ordre mondial biaisé : Le double standard sur les arsenaux nucléaires, reflète un système international où les alliés des États-Unis bénéficient d’une impunité. Wolff y verrait une tentative désespérée de préserver un ordre impérialiste face à l’émergence d’un monde multipolaire.

5. Conclusion : un prétexte au service de l’hégémonie

Le paradoxe « pourquoi craindre une bombe iranienne si la dissuasion fonctionne ? » révèle des motivations qui dépassent la simple question nucléaire. Pour Richard Wolff, le conflit israélo-iranien s’inscrit dans le déclin de l’empire américain, où les États-Unis et leurs alliés, comme Israël, utilisent la menace iranienne pour maintenir leur hégémonie face à un monde multipolaire en émergence. La focalisation sur une menace hypothétique, tout en ignorant l’arsenal israélien, reflète un ordre mondial basé sur le pouvoir et l’hypocrisie, que Wolff dénonce comme caractéristique d’un capitalisme en crise.

Plutôt que de résoudre ce paradoxe par la confrontation, une approche comme un Moyen-Orient dénucléarisé, bien que rejetée par Israël, pourrait désamorcer les tensions. En attendant, le conflit reste un terrain de contradictions stratégiques, où la bombe nucléaire est autant un outil de dissuasion qu’un prétexte pour l’exercice du pouvoir.

 

PS Kamenei contre l'utilisation de l'arme nucléaire

La fatwa de Khamenei : origine et fondement coranique
Origine : La fatwa de Khamenei remonterait au milieu des années 1990, bien que sa première annonce publique date d’octobre 2003, suivie d’une déclaration officielle lors d’une réunion de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à Vienne en août 2005. Elle interdit la production, le stockage et l’emploi d’armes nucléaires, qualifiées de « haram » (interdites) en islam. Cette position a été réitérée à plusieurs reprises, notamment dans un message de 2010 à la Conférence internationale sur le désarmement nucléaire, où Khamenei a déclaré : « Nous considérons que, outre les armes nucléaires, d’autres types d’armes de destruction massive, comme les armes chimiques et biologiques, constituent une menace sérieuse pour l’humanité ».
Fondement coranique : Khamenei et d’autres juristes chiites, comme Abu l-Qasim Alidust, s’appuient sur des versets coraniques pour justifier l’interdiction. Le verset 205 de la sourate 2 (Al-Baqara) est souvent cité : « Et quand il s’éloigne, il s’efforce de semer la corruption sur la terre, et de détruire les cultures et les générations. Et Allah n’aime pas la corruption. » Ce verset est interprété comme condamnant les armes de destruction massive, qui tuent indiscriminément et détruisent l’environnement et les générations futures. D’autres versets, comme les versets 190 et 205 de la sourate 2 et les versets 8 et 32 de la sourate 5, sont également invoqués pour interdire les attaques contre les civils, y compris les femmes, les enfants et les personnes âgées. Des hadiths, notamment ceux interdisant d’empoisonner l’eau ennemie, renforcent cette position.
Confirmation par d’autres autorités : Plusieurs marjas (autorités religieuses chiites) comme Makarim Shirazi, Nuri Hamadani, Ja’far Subhani et Jawadi Amuli ont soutenu la fatwa de Khamenei, la qualifiant de « divine et éternelle ». Certains, comme Ahmad Muballighi, estiment qu’elle s’inscrit dans une tradition chiite vieille de dix siècles interdisant les armes de destruction massive.
 

 


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