Erasmus est un échec (Troisième partie)

par Krokodilo
mardi 27 janvier 2009

Nous avons montré précédemment comment et pourquoi Erasmus était un relatif insuccès en France. Mais, par souci d’objectivité, nous avons voulu recueillir des témoignages d’anciens d’Erasmus. Compte tenu du budget très limité octroyé par moi-même pour cette enquête, nous avons choisi un groupe de colocataires, anciens Erasmus à Rome pour quelques mois. Trois témoignages pour un seul déplacement, c’est un truc de vieux journaliste de terrain.

Honneur aux dames, nous avons d’abord eu les confidences de Sophie, réservée, mais prolixe :

— Tu le croiras ou pas, mais les Italiens mangent leurs glaces réchauffées ! Ils appellent ça des semifreddo ! C’est dingue, non ? Ceci dit, on fait tout un plat de la découverte des autres, de l’apprentissage de la différence, eh ben moi, je peux vous garantir que les mecs, qu’ils soient Français, Italiens ou Dieu sait quoi, ils sont tous pareils... deux bras, deux jambes, et pour ce qui est caché, ils sont toujours prêts à le montrer aux Françaises .. Hi, hi, hi, y sont pas timides, quelle tchatche. Tu voiiis, c’est ça qui est géniââl, on part de chez soi la tête pleine de clichés sur la différence, et pour finir, finalement tous pareils ! Ma copine Lydia, elle pourrait vous en raconter...

Et justement, Lydia ne se le fit pas dire deux fois :

— Moi, c’est bien simple, j’essaye toujours les produits locaux ! Et je ne parle pas de la bouffe ! Vivre entre nous, les Erasmus, très peu pour moi. Je veux bien rigoler, cohabiter pour faire baisser le loyer, mais pas question que je me tape six mois à l’étranger pour baiser en anglais ! Des colocs Erasmus, mais du cul exotique, c’est ma devise !

— Elle est pas croyable, Lydia, n’est-ce pas ? - fit remarquer Sophie. - Vous connaissez l’étymologie du mot culture selon elle ? Eh bien, c’est cul et voiture !

— Ouais, mais attention, - précisa Lydia, - pas n’importe quel cul et pas n’importe quelle voiture ! En Allemagne, une BM, en Italie une Ferrari, et sans customisation, ça sent trop son beauf ou sa banlieue. Je compte aussi me faire mettre – euh, je veux dire me faire promener dans une Aston Martin de collection si je trouve à Londres un distingué Lord collectionneur. Je songe aussi à un french kiss dans une cabine téléphonique genre « Docteur Who », vous croyez qu’ils en ont encore des comme ça ? Parce qu’avec l’intégration européenne et les normes alimentaires, c’est de plus en plus difficile de baiser authentique... Encore un peu, et l’Union européenne va décider de la taille de mon string !

— De toute façon, t’en mets pas toujours ! - plaisanta sa copine.

Après ces remarques un peu triviales sur un aspect des voyages certes important pour la jeunesse, mais un peu éloigné de la philosophie Erasmus, nous sentions que le témoignage d’Hervé nous rapprocherait davantage de l’essentiel :


— Je trouve que la police italienne n’a pas l’esprit Erasmus, je vais vous dire pourquoi. J’étais sur ma moto, à peine 40 km/h au-dessus de la vitesse autorisée, quand j’ai été arrêté par deux gendarmes.

— Vous avez brûlé le feu rouge, - me dit le premier.

— Ah bon, vous me rassurez, je croyais que c’était à cause de la vitesse ! - plaisantai-je pour désamorcer la situation.

— Rouge ! Red ! Red ! Not green ! - expliquèrent-ils en anglais devant le malentendu manifeste. A moins qu’il ne soit plus simple sur le plan linguistique de parler de rouge que d’excès de vitesse ?

— Red ! And speed ! Too much vroom !
Ah zut, la vitesse aussi... - me dis-je, pas de bol. Comment dit-on orange en italien, non, en anglais ? Zut, j’aurais dû bosser davantage.

— Erasmus ! Erasmus ! Erasmus ! - répétai-je durant quelques minutes, pour les amadouer.
Les policiers se regardèrent et je craignis un moment qu’ils ne me prennent pour un fou.

— Yes, you Erasmus, but on papers, not, you Marcel. False papers ?

— Non, no, not false papers ! Me Hervé Marcel, of Erasmus ! Me thinking to Erasme.
Mon Dieu, comment expliquer en basic english qu’imitant notre glorieux ancêtre, je méditais sur des questions philosophiques tout en me déplaçant à moto, comme jadis Erasme rédigea mentalement sur son destrier « L’Eloge de la folie » ? Je songeai à montrer ma tête du doigt pour signifier que je réfléchissais, mais au dernier moment, je redoutai ce geste ambigu ne signifie aussi en Italie que le gars est un peu zinzin ; en outre, ils risquaient d’y voir une insulte.

— Vroum ! - résumai-je, un peu inutilement.

— Yes ! - approuvèrent-ils, avant de me coller une amende, une double.
Bref, je suis au regret de dire que la police italienne n’a pas la culture Erasmus.

— Erasme qui réfléchit en traversant l’Europe à cheval, ça me fait bien rigoler ! Commenta Lydia, moi, les Européens que je chevauche, ils sont montés comme des ânes !
(rire général)

En somme, le témoignage de Hervé, quoique assez positif, montre malgré tout que l’esprit Erasmus n’a pas encore touché tous les corps de métier. L’Europe a encore du chemin à faire.

Laissons le dernier mot à Etienne, qui, bien qu’un peu déçu par Erasmus, a néanmoins postulé dès son retour pour un nouveau séjour. Mais sa demande a semble-t-il été fraîchement reçue par le secrétariat de la faculté :

— Vous savez ce qu’elle m’a dit ? Pourtant, j’arrivais décontracté, poli, je me présente comme ancien d’Erasmus, un peu déçu, et j’ajoute : « Je voudrais faire un autre séjour Erasmus, mais dans une fac où les filles sont plus ouvertes aux autres cultures, aux Français en particulier, c’est possible ? ». Ben, si vous aviez vu le regard noir que la secrétaire de la fac m’a lancé, vous sauriez que l’esprit Erasmus n’a pas encore soufflé partout dans les universités françaises…

— Faites pas attention, - s’écria Sophie. - C’est un aigri, à force de voir défiler les mecs de Lydia… il en perdait son anglais !


Lire l'article complet, et les commentaires