Le printemps ça vous gagne

par C’est Nabum
samedi 16 mars 2024

 

Le retraité qui va au boulot…

 

Il advint que comme chaque année à pareille époque, un sémillant retraité est pris d'une frénésie d'activité qui le pousse à se lever fort tôt avant que d'aller battre la campagne. La chose du reste n'est guère exceptionnelle tant notre ami a toujours plusieurs fers au feu que ce soit au sens propre comme au sens figuré. Entre les vignes et les repas, l'école des vins et les confréries gourmandes, il ne chôme jamais. Aussi, lorsqu'il déclara à la cantonade qu'il allait au boulot, nous en restâmes tous cois.

Homme soucieux de ses droits tout autant que de ses devoirs, chantre de la solidarité intergénérationnelle, militant acharné des acquis sociaux, pourquoi diantre soudain, renonçait-il à son droit à la retraite chaudement défendu pour aller piétiner à son âge dans les allées de France Travail ? La question interloquait tout autant qu'elle posait des interrogations éthiques auprès de ses camarades et bons amis.

Les bras m'en tombaient. Lui l'épicurien indécrottable, l'hédoniste à plein temps, le gourmand et le gourmet, le chantre du bon vivre, s'en retournait à la boîte à chagrin pour reprendre le collier en aliénant son emploi du temps aux contraintes de la rentabilité et de la productivité. Il y avait de quoi s'arracher les cheveux et douter désormais de tout dans cette société prête à vendre son âme pour de l'argent. Fort heureusement, notre homme ne s'encombrait pas de ce petit organe imaginaire…

Mais quelle mouche avait donc piqué celui qui jouissait si parfaitement de sa retraite qu'il n'avait de cesse de s'activer quotidiennement en des taches bénévoles, caritatives, pédagogiques et solidaires ? Serait-ce soudain le triomphe du mercantilisme et du libéralisme qui aurait saisi sur le tard son plus grand pourfendeur ? Une enquête s'imposait pour qui voulait tirer cette affligeante affaire au clair.

C'est donc à la manière des détectives privés qu'une escouade de camarades s'organisa pour suivre à la trace celui qui justement ne cesse d'aller en tous sens à longueur de journées bien remplies. Le terme est peut-être mal choisi tant notre lascar a une tendance assumée à vider plus de chopines que de remplir des obligations laborieuses.

Nous découvrîmes rapidement le pot aux roses quoiqu'en la circonstance il ne s'agissait nullement de roses ni même de fleurs au fusil. Notre ami courrait les bois à la recherche d'une essence en particulier. Dès qu'il trouvait un arbre à sa convenance, il faisait son trou, manière peu orthodoxe pour faire sa place dans le monde professionnel.

L'inquiétude gagnait les observateurs de ce fait d'autant plus qu'au bout de ce trou, il glissait une bouteille, vide de surcroît. Nous étions tous en pleine expectative tandis qu'aucun de nous n'était assez connaisseur des arbres pour identifier ceux qui avaient sa préférence. Nous eussions alors cessé de mener nos investigations et aurions gagné l'occasion de paraître moins bêtes.

Toujours est-il que nous organisâmes alors un tour de guet afin de surveiller ces fameux arbres et leurs bouteilles. La sève de l'existence d'un détective réside sans nul doute dans ses longues heures à poireauter. Aux pieds de nos arbres, nous n'étions guère heureux, trouvant le temps fort long sans qu'il ne se passe rien de notable.

Il est vrai que cachés à distance nous ne voyons goutte sur ce qui se tramait dans la fameuse bouteille accrochée à un arbre et reliée par un tuyau au trou incisé dans son tronc. Ce n'est qu'au terme d'une attente de près de vingt-quatre heures que nous revîmes notre camarade, l'air guilleret et satisfait, venir quérir des bouteilles pleines de sève de bouleau. Ainsi donc nous nous étions fourvoyés sur ces intentions par la faute d'une orthographe défaillante.

Quant à son précieux liquide, notre ami nous en fit tous profiter espérant qu'une bonne cure de cette sève bienfaitrice allait nous remettre les idées en place. Je doute que ses vertus sanitaires puissent agir sur notre déraison.


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