Les Filles de Mao

par Pierre JC Allard
mercredi 11 juin 2008

J’ai écrit sur bien des sujets, au cours de ma longue vie. Des propositions raisonnables qui ont été accueillies comme telles. Pas toujours avec enthousiasme, pas toujours avec justice, mais toujours avec le respect dû à des propositions qui ne sont pas tout à fait saugrenues. Je me suis ainsi privé, hélas, de beaucoup de plaisir, en ne m’attaquant jamais à certaines vaches sacrées...

Mais le lion, devenu vieux, s’écrie : « Adieu prudence ! » et je vais donc m’attaquer aujourd’hui à l’un de ces problèmes cornus qui confrontent l’humanité depuis des millénaires. Avant que n’arrive mon Pedro Ximenes de 11 heures, je vais donc régler le problème du racisme.

Je ne m’attaquerai ici qu’à la manifestation la plus menaçante du racisme. Pour les myriades d’autres aspects du même phénomène, je m’en remets à l’imagination créatrice du lecteur. Le racisme le plus grave auquel on fait face aujourd’hui, c’est ce mélange de crainte révérencielle basée sur de mauvais souvenirs - et de vague rejet de nos préférences culinaires respectives - qui semble condamner pour l’éternité Hans et Caucasiens à se méfier les uns des autres et à ne se toucher qu’avec des baguettes. Grave problème, car ils sont nombreux et nous aussi... La terre est bien petite. Si nous étions futés, nous, eux et tous les autres en prendrions chacun notre côté... Mais, même en supposant qu’on rentre chacun chez soi, entre voisins on doit se sourire. Il est temps d’apporter la solution finale au problème du racisme.

On fait disparaître le racisme en faisant disparaître les races. On peut le faire à la 1984, en leur donnant un autre nom. C’est ce que l’on essaie aujourd’hui, en ne parlant que de groupes ethniques, mais je suis sceptique, car je n’ai pas vu les vieux laisser tomber leurs canes quand ils sont devenus des aînés. On peut aussi s’en remettre au jugement de Dieu, laissant les plus forts éliminer les plus faibles. Solution historique éprouvée, mais qui mène souvent à des gestes regrettables et qui peut créer beaucoup de désarroi. Même ceux qu’inquiète le "péril jaune" ne sont pas tous d’accord avec la solution qu’avait préconisée Kipling.

Il y a une meilleure approche : la technique « Alexandre ». Bien assis sur le trône de Darius et ayant fait la paix avec la belle-mère, Alexandre a décidé de régler une fois pour toutes les questions de cohabitation en mariant ses généraux à des princesses perses, puis ses soldats à tout ce qui portait jupe dans le royaume Achéménide. Cette deuxième phase a été à l‘origine de quelques ambiguïtés qui ont perduré, mais ceci est une autre histoire.

Ces noces se sont avérées bien profitables. Les petits hybrides qui sont sortis des alcôves d’Alexandre ont contrôlé le marché du pouvoir au Proche-Orient pendant des siècles. Alexandre, d’ailleurs, n’avait pas été le premier. Les Romains avaient déjà dragué les Sabines avec des résultats tout aussi encourageants ; une inspiration pour Poussin et David, et un signal clair aux romantiques de tous les temps qu’il faut parfois insister.

Prenons acte du succès de cette approche. Au lieu d’encourager une rivalité qui conduira à une « guerre des guerres » avec les Chinois, il vaudrait peut-être mieux faire l’amour aux Chinoises et créer une nouvelle race hybride qui pourrait avoir un brillant avenir. Naturellement, on peut s’en remettre à l’initiative personnelle pour faire l’amour et non la guerre, mais si on veut vraiment avoir un impact, il faudrait s’organiser un peu.


D’abord, pour faire des enfants, se trouver une terre d’accueil. Nous l’avons. Les locataires libèrent peu à peu. Nous avons l’Europe, incluant les pays de l’Est, en voie de dépeuplement accéléré, où la dénatalité laisse entrevoir une baisse de population d’ici à deux générations de l’ordre de 15 %. Ceux qui disent qu’il y aura de la place pour tout le monde en Europe se trompent sans doute, mais on fait déjà tous les jours la preuve qu’il y a de la place pour n’importe qui. Pendant ce temps, la surpopulation de la Chine oblige à des mesures sévères de limitation des naissances qui sont jugées inhumaines par la population.

Il semble raisonnable de penser que, si nous décidions de folâtrer à l’interethnique, c’est nous qui hébergerions la progéniture. On le ferait avec avantage. Avec plaisir aussi, d’ailleurs, car des milliers de couple occidentaux se meurent d’adopter un bébé chinois. La conjoncture est particulièrement favorable. L’Eglise catholique, généralement plus perspicace, a laissé tomber la Sainte Enfance au moment précis où le marché allait devenir vraiment porteur, mais pourquoi ne pas s’en faire nous-mêmes quelques-uns ?

Comment réaliser le projet ? La logistique est simple. C’est celle des Filles du Roy en Nouvelle-France : on invite les dames. Il n’y a rien de menaçant à amener des femmes en Occident, n’est-ce pas ? Et il est de notoriété publique que les familles chinoises préfèrent les garçons. On peut donc reprendre avec des Chinoises l’expérience qui avait été menée avec grand profit par le secteur privé pour faciliter l’exode de jeunes Russes vers l’Occident après la chute de l’URSS. Maintenant, cependant, il faudrait le faire avec sérieux. On travaille au public. Pas de proxénètes, pas de mafieux, pas de courtiers, pas d’avocats spécialisés en immigration. Juste des fonctionnaires. On se parle d’État à État entre la Chine et l’UE.

D’abord, une expérience pilote. Grosse population, gros échantillon. La Chine sélectionne un ou deux millions de jeunes filles de 16 ans et les inscrit en pensionnat, dans quelque ville de Chine. Toutes des volontaires, bien sûr ; le volontariat est facile en Chine. De toute façon, on demandera aussi l’accord des familles, qui seront motivées par une petite prime et le droit de faire un autre enfant. Qui sait, peut-être un garçon... Les postulantes continuent leurs études, mais y ajoutent l’apprentissage des us et coutumes de l’Europe et d’une langue occidentale, l’anglais par défaut, comme d’habitude, mais toute autre, si la demande est là. Pour la demande, c’est l’Europe qui tient sa part du contrat.

L’Europe identifie un nombre identique de jeunes célibataires disposés à convoler à ces conditions et s’assure qu’ils sont en parfaite santé, ouverts d’esprit, « libres et de bonnes mœurs ». Où les trouver ? Il suffit d’en parler... Passez, sur l’écran, à chaque pause eskimo, un slogan du genre "Une touche de jaune, c’est du soleil dans votre vie..." Quand on a un Roméo pour chaque Juliette, on applique les nouvelles procédures maintenant standard pour se courtiser : correspondance, internet, échanges de photos... On pourra appeler toute cette expérience « Meet-ing » anglicisme accepté, mais avec consonance chinoise et permettant de profiter sans doute de l’expertise technique de la firme française dont l’appellation n’est pas si différente.

On va changer le monde, mais c’est aussi le buzz du siècle. Pendant deux ans, ces jeunes se font la cour à distance, en tout-virtuel et tout vertueux. Des milliers de péripéties à suivre sur des douzaines de fils Youtube… La renaissance de l’amour courtois en mode voyeuriste, car tout ça peut devenir télé-réalité et être exporté aux Etats-Unis ; ils seront jaloux, mais on aura une exclusivité en béton. Imaginez si, après six mois de fréquentations épistolaires intenses, Fleur-de-Lotus laisse Otto pour Léandro et abandonne les cours d’allemand pour ceux d’italien ? Vous voyez l’impact sur la consommation des pâtes... Les royalties du show devraient couvrir les frais de l’opération, mais, si on n’y arrive pas, l’UE prendra la facture. Dans le doute, c’est l’Occident qui paye, comme Kyoto... N’est-ce pas la Chine qui investit la ressource humaine ?

En deux ans, les couples se sont formés et la jeune Chinoise, ayant atteint 18 ans, est prête pour son grand voyage. Cérémonies sur la Tienanmen ; on les marie par cohortes de 100 000 et les ambassadeurs européens officient. Pas de Tibétains, pas contestataires. Juste des heureux. Du vrai "prime time”. Ensuite, les jeunes mariées, devenues citoyennes européennes par leur mariage, n’ont plus qu’à prendre l’avion vers l’Europe. Elles y seront accueillies par un organisme communautaire ad hoc qui suivra l’expérience.

L’UE - assistée d’une mission d’observation chinoise permanente - suivra chaque dossier avec diligence. On veut du rendement. Pour celles qui ne sont pas prégnantes dans les 90 jours de leur arrivée, le contrat prévoit l’insémination artificielle. Préférablement par le mari, mais au besoin par des volontaires triés sur le volet. Juste s’assurer qu’ils ne sont pas d’origine chinoise : on ne s’est pas donné tout ce mal pour rien ! Pendant la grossesse, subvention généreuse de l’État. Après la naissance, encore des subventions généreuses et un suivi psychopédagogique constant.

Ajouter sans mesquinerie une même subvention pour chaque enfant supplémentaire. La même subvention, non dégressive, s’ils font un deuxième, un troisième un quatrième enfant, peut-être même une prime. Ce sont les frais de premier établissement qui sont coûteux et le coût unitaire des petits hybrides baissera beaucoup s’ils sont produits par grappes. Il sera avantageux d’entretenir une production stable de bébés au sein des couples ainsi constitués.

Tous ces enfants sont considérés comme les pupilles de l’État. Ils sont protégés contre toute forme de racisme. D’abord par un apprentissage préceptoral en maternelle se prolongeant quelques années au primaire. On les garde ensemble le temps qu’ils développent un esprit de corps solide, s’inspirant des vieilles traditions chinoises, mais aussi ses expériences similaires réalisées en Occident. Afin qu’ils ne soient pas victimes d’ostracisme, on en profite pour leur enseigner le kung-fu et la savate à la française. Quand ils intégreront la société, ils se feront respecter. On sera surpris de ce que ces jeunes pourront faire quand ils arriveront à maturité...

Si l’expérience pilote est un succès, on pourra réaliser le projet à grande échelle. Même s’ils n’étaient que quelques millions, toutefois, ils pourraient avoir un impact significatif sur l’avenir de l’Europe. Dans deux ou trois générations, on aura remplacé un monde qui allait être composé de Chinois et de Non-Chinois, peut-être antagonistes, par un monde composé de Chinois et de Semi-Sinisés. On pourra dire que l’Occident a fait la moitié du chemin.

Ceux qui veulent voir le bon côté des choses diront que les gènes égoïstes occidentaux se sont trouvé une façon astucieuse de se faire entretenir par les gènes chinois - dont la tradition besogneuse n’est plus à démontrer - et qu’on a assuré du même coup la survie de la civilisation occidentale, puisque tous ces Semi-Sinisés sont formés chez nous, à notre culture et à nos valeurs. Ceux qui grinchent tout le temps diront qu’on a sacrifié nos mitochondries, mais c’est une remarque qui frôle le racisme : je suis prêt à ce que les femmes d’Occident fassent ce sacrifice. Les mitochondries n’ayant pas la gueule sympathique des bébés phoques, ça ne devrait pas créer beaucoup d’émoi.

Argument final, enfin, vous et moi seront morts quand le projet produira tous ses fruits, mais on se sera préparé une longue éternité comme ancêtres, avec des arrière-petits-enfants qui trouveront tout naturel de faire brûler de l’encens devant nos photos... Ni Hôw

Pierre JC Allard


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