Les Français sont des veaux, quel régal !

par Dancharr
mercredi 10 septembre 2008

La sentence du général a été mal reçue. On y a vu une condamnation méprisante du caractère gaulois : hâbleur, ingrat, velléitaire, prétentieux, mesquin, vachard, etc. Le procès est devenu celui du procureur et la querelle nourrit les aigreurs des uns contre l’autre. Il est temps que cela cesse car je suis en mesure de donner le bon sens de la phrase.
« Les Français sont des veaux » est une acrobatie sylleptique : « veau » est à prendre dans son sens propre et figuré et le sujet est aussi complément. Le général aimait la France et les Français comme il l’a prouvé, mais il aimait aussi les animaux et, de tous, il préférait les veaux. Le secret est resté bien gardé, mais la prescription permet de lever le voile. Aucun détail n’a jamais filtré sur la passion animalière du couple présidentiel. On sait, par une indiscrétion, que des poulets les accompagnaient lors de l’attentat du Petit Clamart. Ils étaient sortis heureusement indemnes du coffre de la DS. La réception à l’Élysée de Brigitte Bardot, habillée à la hussarde aurait pu vendre la mèche. On a préféré y voir d’autres raisons, plus triviales.
Le veau, et c’est mon scoop, était l’animal préféré. Aucune raison ne m’a été donnée sur ce choix. On peut les croire nombreuses. Le veau est, en effet, un animal attachant. Il y a dans le regard de ce bovin en herbe une douceur, une candeur, une inconscience, une confiance, une espérance qui ne peut que saisir l’âme et fait entrevoir la pureté originelle. Il faut un esprit supérieur pour voir cet invisible au plus grand nombre. Pour ceux-là, l’aimable mammifère est un sot qui ne pense qu’à s’empiffrer et dont l’air bonasse cache une stupidité qui lui fera mériter de finir en blanquette. Il savait bien que les Français n’avaient pas la tendreté du veau. Il les connaissait trop pour leur reconnaître quelques qualités, mais c’était aussi un rêveur et il aurait rêvé que les Français soient des veaux pour pouvoir, un jour, devenir, lui, le gardien de taureaux courageux, forts, invincibles, orgueilleux. Plutôt que de changer, ils préférèrent le renvoyer et continuer d’être ce qu’ils sont, depuis toujours.
La métaphore reste plaisante, nous plaît et nous n’en démordrons pas car un tel parrainage fait foi. Il nous permet d’entrer dans le vif du menu et de nous régaler.
Le veau appartient à la grande tradition de la gastronomie française. Ses expressions habituelles sont réservées à la cuisine bourgeoise et le XIXe siècle a été son âge d’or. Si Bocuse et tous les grands cuisiniers du XXe y consacrent d’excellentes pages dans leur œuvre romanesque, c’est cependant chez Dumas père, l’Alexandre des lettres que l’on trouve le plus de variations sur le thème dans son Grand Dictionnaire de cuisine.
Pour commencer, nous parlerons d’un classique qui a inspiré le maître, alors dans la force de l’âge : le tendron de veau. C’est un morceau de choix et nous détaillerons sa recette du tendron de veau à la poulette au blanc. Elle sera, selon la coutume, accommodée au goût du jour avec des adaptations aux circonstances, à l’air du temps, aux mœurs de l’époque, au respect des convenances et de la morale du jour.
Le plat n’est pas à la portée de tous. Son évocation est déjà palpitante pour les cœurs les mieux trempés. L’eau vient à la bouche, les souvenirs affluent, la tension monte, la tachycardie s’installe. Les vieux gourmands doivent s’éloigner, s’aliter, retrouver leur calme, croquer une trinitrine, s’inviter chez Derrick. Votre palais est blasé, Messieurs, vous avez dévoré trop de tripes à des modes avariées, ingurgité trop de douzaines de limaçons de Bourgogne perclus de beurre et d’ail. Vous vous êtes goinfrés de trop de poules au pot d’auberges malfamées où vos trognes assoiffées tenaient table ouverte pour remplir des panses déjà débordantes.
Le tendron de veau est une délicatessen qui n’est plus pour vous. Regardez, mais n’approchez pas, contentez-vous de vos cochonnailles habituelles.
La procédure répond à un cérémonial bien réglé. Aucune étape ne doit être bâclée, la réussite est à ce prix, la récompense est à la mesure de l’effort.
Le premier temps de la préparation est, comme souvent, la plus fastidieuse et met patience et concentration à l’épreuve.
Il faut séparer le tendron à traiter de sa mère. Ce n’est plus un veau de lait. Il a rejoint l’herbage. Il y broute librement, joyeusement tout en découvrant la prairie et ses mille séductions. Ne nous laissons pas distraire, le temps presse, cela grandit vite à cet âge. Il s’y fait des amis, s’en distingue, s’affirme, affiche des airs d’indépendance. Il n’empêche que, si le temps se gâte, qu’un vent d’inquiétude agite le troupeau, que des inconnus envahissent l’horizon, il a tôt fait de retrouver sa mère et de disparaître derrière son vaste giron. Le maître de la dame, à l’occasion, pousse quelques mugissements qui résonnent comme un rugissement aux oreilles de ses tantes, effrayant les uns, rassurant les unes. Il faut de l’adresse, du courage, de la patience et un brin d’astuce pour s’installer dans le paysage et ne pas détoner. Un joli bouquet garni, bien appétissant offert à la maman peut lui faire croire que l’intérêt est pour elle. L’amorce permet l’approche sans effrayer le tendron. L’habitude est vite prise et, devenu familier les lieux, il est facile d’entreprendre la manœuvre finale. Elle vise à convaincre la tendre donzelle de sa beauté, lui faire prendre conscience de son identité, de sa supériorité sur le filet même mignon. Lui amener des amies peut être utile, par exemple, quelques poulettes délurées, bien indépendantes qui caquettent, se pavanent, affolent coqs et coquelets et semblent y trouver grand plaisir. Leur commerce devient vite contagieux. L’instinct d’imitation entre en branle et l’affaire est dans le sac. La détermination se renforce des avertissements des parents qui n’en reviennent pas de voir la rejetonne rejeter aussi vite ses plaisirs enfantins et vouloir goûter à des interdits pourtant clairement certifiés par des labels sécuritaires estampillés par les plus hautes autorités morales et religieuses. Rien n’y fait, le tendron veut passer à la casserole et finir sur un canapé tout blanc. Il n’y a qu’à laisser faire et se mettre à table.
L’exécution de ce plat n’est pas à la portée du néophyte. Pour être réussi, une solide expérience en cuisine est recommandée avec de la rigueur, des ingrédients de première qualité, beaucoup de souplesse dans la manipulation.
La sauce est fragile. Elle peut tourner à l’aigre. Une fois prêt, c’est un plat à déguster rapidement. Il ne supporte pas le réchauffage.
La prochaine fois, je vous détaillerai un autre grand classique. Il a ses nostalgiques : la fameuse blanquette de veau. Je la préfère à l’escalope même italianisée. Surfaite, sa préparation tapageuse et trop expéditive complaît peu à un estomac raffiné, élevé à la religion du mijotage, du confit, à l’alchimie des mélanges glougloutant au coin du feu éternel d’une gourmandise jamais rassasiée.
Avertissement : la défense du veau français inaugure un cycle consacré « Les Français sont… ». Les prochaines livraisons essaieront d’intéresser les végétaliens et tous ceux et celles insensibles aux plaisirs de la table. Sont déjà prêts à envoyer à l’imprimatur : « Les Français sont des boîtes aux lettres » (attribué au facteur Cheval) ; « Les Français sont des bachi-bouzouks » (phrase du capitaine Haddock censurée pour injure raciste en dernière lecture de Coke en stock) ; « Les Français sont ce qu’ils ne voudraient pas être » (par un lacanien bourdieusant anonyme), etc. 

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