Pour un commentaire citoyen

par Dancharr
mardi 10 juin 2008

Le plaisir du déplaisir, ce peut être le rire. Mais qui n’aime pas n’a pas beaucoup de raisons d’en donner l’occasion à qui le fait souffrir. Le commentateur outragé en est un. On peut comprendre que l’individu en limite de crise de nerfs, retenant un crachat, pour ne pas salir l’écran, peine à s’exprimer tant la suffocation est proche. Il n’a que le secours d’une pauvre apostrophe pour libérer sa hargne. Les exemples sont nombreux. J’en collectionne précieusement quelques-uns, peut-être la dernière pensée avant l’explosion de l’anévrisme, la colère étant mauvaise conseillère et facteur d’hypertension artérielle paroxystique, parole de cardiologue.

Pour les survivants, ceux qui ne prennent pas le temps de réfléchir et d’expliquer leur pourquoi, Imhotep dans sa belle élégie, fiévreuse de passion pour Cyrano, vient de nous rappeler le vers qu’il fallait : « Ah, non !, c’est un peu court, jeune homme ! »... Une thèse se combat par une antithèse et c’est se mépriser soi-même que de ne pas se croire capable d’aligner quelques phrases en y mettant si possible un humour vachard qui réconciliera tout le monde dans un éclat de rire.

Malgré toute la gravité du sujet, le sérieux de l’auteur, rien ne mérite mieux, miaule Titine, ma chatte philosophe.

J’ai un exemple à proposer. Il ne vaut pas cher, mais peut servir. J’avais imaginé le dernier discours du président Bush. Méchant, simplet, pas complètement idiot, le petit texte dégageait un antiaméricanisme primaire dont je n’étais pas fier. J’attendais avec impatience la réaction des proaméricains primaires - mes frères dans l’erreur - leurs sarcasmes avec justificatifs à l’appui. Leur silence me vexa. J’avais oublié que mon journal politiquement incorrect avait une fréquentation confidentielle et que cette élite était trop bien élevée, trop complaisante ou indifférente ou trop dégoûtée pour perdre son temps à me rétorquer sa mauvaise humeur.

Pour réveiller leurs âmes endormies, combler ma solitude, j’imaginais un détracteur pas content et qui me disait vertement son indignation vertueuse avec une argumentation solide. La censure maison opposa un veto absolu. Olivier, un sage, confirma, révélant son néo-conservatisme latent. La fréquentation assidue des commentaires d’AgoraVox me convainquit que les commentateurs qui bornent leurs critiques négatives au degré zéro absolu de l’écriture pouvaient faire un effort qui les grandirait. Ma lettre trouvait une légitimité exemplative qui justifiait sa publicité. Une si bonne raison leva l’obstacle. Mon double schizophrène retrouva le sourire. Le fou furieux - que je comprends sans espérer la réciproque - put livrer son réquisitoire. J’espère qu’il ne convaincra personne. Pour ma défense, j’ai bien aimé être l’arroseur arrosé.

Monsieur,

Un malheureux hasard m’a conduit sur votre journal prétendument politiquement incorrect. Le titre m’avait alléché. Enfin un regard acidulé, oxygéné, rafraîchissant sur l’actualité, la politique. Ma curiosité, mon espoir ont été vite déçus. Vos sujets, leur traitement peuvent faire ricaner quelques esprits non avertis ou mal tournés. Le style se veut primesautier. Il décline en réalité une prosopopée laborieuse qui sent la sueur. Sa fluidité est gluante, fatigante. Votre esprit, se croit acéré. Il est, le malheureux, embarrassé par des idées d’un autre temps. Vous recyclez avec jubilation de vieilles lunes. Vos thèmes favoris sont éculés. Ils ont trouvé des pamphlétaires autrement talentueux qui ont dit avec panache tout le peu qu’ils méritent.

Ainsi votre anticléricalisme date furieusement. Il se croit à la mode car vous êtes allé chercher vos idées dans les opuscules d’un philosophe à la mode de Caen. Elles ne valent pas tripette.

Votre autre cheval de bataille, un canasson bon pour le couteau est l’anti-américanisme. Primaire, on le sent viscéral, issu de viscères en pas très bon état. Avez-vous pensé à passer une coloscopie ?

Votre dernière livraison sur le discours d’adieu du président dépasse la bienséance. Elle m’oblige. Dans un autre temps, j’aurais jeté mon gant à votre triste figure et nous aurions réglé notre querelle jusqu’au premier sang. Je doute fort que vous soyez du genre à fréquenter les champs d’honneur. Je réglerai donc nos comptes à la pointe de ma plume.

Je ne vous permets pas, Monsieur, d’insulter le dernier des croisés. Celui, le seul, qui a su relever le défi de valeurs qui, manifestement, ne sont pas les vôtres. Associer, comme vous le faites avec indignité, ce qu’il a fait à ce que font les autres, ces misérables qu’il combat avec courage, panache, m’est insupportable. Ne pas voir qu’il est l’hériter moderne de Richard Cœur de Lion et de Saint Louis, témoigne d’un aveuglement coupable. Les moyens, Monsieur, quand la cause est noble, peuvent ne rien valoir, mais par une grâce d’État sont sanctifiés. Torquemada a subi les mêmes injures, a souffert du même dilemme, mais son bras de justice n’a pas tremblé. Le bûcher le torturait autant que le supplicié. Sa souffrance était même pire, multipliée par la cohorte de tous ces misérables à la conduite infâme. Je suis de ceux qui œuvrent à sa canonisation.

Votre petit conte s’ajoute à d’autres notes que j’ai parcourues avec le même dégoût. La guerre, ce besoin américain est une analyse dénuée de toute objectivité de la politique étrangère d’une puissance tutélaire bienfaisante qui, depuis l’origine, s’est acharnée à la défense du bien contre les forces du mal. Votre mise ne parallèle du bon Afghan, guerrier, poète, pauvre, libre et de l’Américain ne pensant qu’à grossir, à jouer, à gagner, à dépenser est une sottise ? Changez de lunettes, soignez votre cataracte. Votre ami est un barbare égaré dans notre temps, brutal avec les femmes, cruel, cultivateur, mais d’opium. Le mien est aimable, joyeux, travailleur, généreux. Il prépare l’avenir tandis que l’autre se cramponne au passé. Vous réussissez à polluer même des rubriques anodines que vous étiquetez ironie, taquinerie, mais que, moi, j’appelle méchanceté. Ainsi votre soi-disant invention d’une première phrase censée être signifiante est un jeu qui se pratique depuis toujours. Nous le faisions, nous, avec esprit et humour. Vous vous étiez exercé, au temps où vous étiez payé à ne rien faire, aux dépens de vos collègues dont vous épingliez avec cruauté les petits travers. Je suis sûr qu’à votre pot d’adieu, le jour de votre départ pour une retraite mal méritée, vous avez pris l’euphorie ambiante par la joie de vous fêter. Ils étaient seulement contents d’être débarrassés d’une langue de vipère.

Un conseil pour terminer : prenez le temps de réfléchir avant de dégainer, choisissez mieux vos cibles. Étudiez-les, apprenez l’art et la manière en fréquentant les bons auteurs : Céline, Lieutaud, Saint Simon, Cau, Denis, le choix est vaste. La mauvaise foi se doit d’être élégante, le sarcasme spirituel, l’ironie légère. Évoquez sans appuyer, suggérez sans piétiner.

Cultivant les vertus canoniques, je penserai à vous, mon pauvre et prétentieux ami qui faites pleurer sans rire, dans mes prières.

Au dépit de vous lire.

Ignace du Pinbénye

Ex-petit chanteur de la chorale « Maréchal nous voilà ».


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