Démocratie oligarchique Vs Démocratie citoyenne

par Jules Seyes
mardi 8 juillet 2025

Au cours de dernières semaines, plusieurs propos ont été tenus qui montrent un approfondissement des débats. L’occasion de bâtir sur cette maturité nouvelle du débat pour certains segments de la population.

Partons donc de cette question de Maître Di Vizio[i] qui se demande si nous sommes vraiment faits pour la démocratie. Ce propos marqué par la faiblesse de la réaction populaire et du monde dit politique face aux attaques menées contre nos libertés fondamentales doit pourtant être analysé avec finesse.

Le poids des mots compte et dans le propos de Maître Di Vizio, deux mots comptent et tracent les axes d’analyse : Nous et démocratie.

Commençons donc par le nous, qui couvre-t-il ? L’état d’esprit du propos est semble-t-il assez clair : Nous en rapport avec la démocratie, signifie le peuple français appelé à voter dans le cadre des élections et du bon fonctionnement de ce régime politique. N’ayant aucun don de télépathie, nous validerons donc cet aspect sans approfondir s’il exprime complètement la pensée de maître Di Vizio. Par contre, nous pouvons approfondir le peuple français de 2025 par opposition au peuple français de d’autres époques. Le nous présuppose une unité et se réfère facilement à une de ces images favorables que la France aime présenter au monde :

 

Le peuple des révolutions :

Vous savez, ce peuple français qui fit 1789, la prise de la Bastille avant de récidiver en 1830 puis en 1848, avant de finir écrasé par Cavaignac, de nouveau en 1852 puis avec la commune en 1871 - Même si dans ce cas, se pose la légitime question : parle-t-on toujours du même peuple ?

Ce peuple que l’on dit révolutionnaire, peint sur le tableau de Delacroix la liberté guidant le peuple et qu’Hugo illustrera si magnifiquement dans Les Misérables. Ce peuple en lutte autour de la barricade, cet immortel Gavroche, mort le sourire aux lèvres en chantant son impertinente rengaine. Il récolte les cartouches pour prolonger la défense de la barricade, et succombe avec gloire sous le canon de la répression.

Vision magnifique, incarnation de la France telle qu’elle se rêve. Seulement, dans ce monde invoqué par la puissance artistique, On se demande comment la chambre royaliste de 1870 put être élue.

 

Le peuple de Thiers

En réalité, des profondeurs du corps électoral sont toujours sorties des majorités pour approuver : Le plébiscite au lendemain du 18 brumaire, celui de Louis Napoléon Bonaparte, ces foules venues acclamer Pétain dans toutes les villes de France.

En ce sens, le nous de maître Di Vizio supporte la contradiction tant la théorie des deux France reste prégnante. À côté de cette France de combat, il existe une seconde France, légitimiste dans son soutien aux gouvernants et aux puissances de la fortune. Certes, les souverainistes apprécieraient de les réconcilier et d’unir un seul peuple Français patriote et indivisible. Le pouvoir aussi, mais dans son cas, il s’agit de nier l’opposition présentée comme non française ou en lutte contre l’indivisibilité de la République[ii]. Nous ne parlons déjà pas du même peuple et huit années de Macronie démontrent la pertinence du concept de profonde division du peuple français.

Pourtant, la situation a changé et les lignes se sont profondément modifiées.

La France de Thiers était une France rurale, dont l’expression politique était contrôlée par l’église et les notables. Une France largement demeurée dans le régime agraire d’avant les révolutions industrielle, menacée par l’industrialisation et l’exode rural. Une France indignée par un monde ouvrier et urbain fantasmé comme une fin de l’ordre moral et de la civilisation.

En face, la France des faubourgs parisiens, des canuts, le monde ouvrier de la révolution industrielle que le XIXè siècle tiendra a distance en construisant les gares (Avec leurs cheminots) loin des centres villes.

L’exode rural modifiera la situation, mais à l’inverse à la fin des trente glorieuses, les usines migrent des banlieues rouges vers les villes et villages de province où la main d’œuvre est moins chère.

Dans les villes, les bourgeois bohèmes et les populations immigrées remplacent les ouvriers chassés vers les zones périurbaines. En ce sens, les deux France d’autrefois ont disparues et ont été remplacées par deux peuples différents, mais finalement toujours en opposition :

La France périphérique, comme la nomme Christophe Guilluy[iii] a payé cher la mondialisation : Les usines délocalisées ont propagé le chômage, les bas salaires et les services ne les ont pas remplacés. Cette France tend selon monsieur Guilluy à s’organiser en contre-culture. De facto, les promesses non tenues de la mondialisation, de l’Union Européenne, et les difficultés d’intégration, confèrent de la profondeur à ses combats et revendications.

En opposition, une France des centre-villes, dont la population a bénéficié de la massification de l’enseignement. Elle coexiste avec un Lumpen prolétariat souvent d’origine immigré dont l’arrivée a été massive au cours des années antérieures avec un lourd effet dépressif sur les salaires.

Ce cadre posé, le chassé-croisé acté, on en revient à une France mécontente, prête à monter sur les barricades. Celle des gilets jaunes, sur lesquelles le pouvoir tire à balles de LBD (ça change de la munition du Chassepot, mais on aurait attendu davantage d’apaisement du dialogue social après un siècle d’histoire.).

En face, une France conservatrice prête à voter pour le camp du pouvoir, qui s’oriente idéologiquement sur les lignes directrices des médias aux ordres du gouvernement et des grandes fortunes qui les ont achetés. Elle adopte ainsi le narratif gouvernemental sur la COBID, l’Ukraine, sans jamais nuancer. Nous retrouvons la configuration de 1870, surtout si, par amour de la métaphore, on s’amuse à remplacer les prussiens par l’union européenne. Comparaison n’est pas raison, mais est-ce lui faire injure que de constater l’allégeance d’Emanuel Macron envers l’union Européenne et les démocrates américains ? Cette sempiternelle union des possédants francais avec les pouvoirs xénocratiques pour diminuer les salaires du peuple dont l’appel à la dignité est marginalisé et réprouvé par le discours dominant.

Évidemment, ce nouveau Thiérisme ne repose pas sur les mêmes bases sociales. Autrefois, il s’agissait d’un vote de populations sous éduquées, attachées au maintien de leurs traditions considérées comme garantes de leur survie. L’industrialisation les a balayés. Au contraire, ce bloc recrute maintenant dans des populations diplômées. Seulement, ces populations font de leur allégeance à un discours dit raisonnable la preuve de leur intelligence. En cela, ils reprennent l’habitus scolaire où il convient de recracher le cours du maître pour le faire briller sans interrogation critique. La délégitimation leur sert de bonne excuse pour éviter d’examiner les arguments.

Et cette paresse intellectuelle est peut-être le liant le plus pertinent de la population macroniste actuelle. La richesse apportée par les révolutions industrielles à conduit à deux modifications essentielles dans la structure de la population :

Ces blocs sont sûrement appelés à durer, sauf à changer les structures globales de notre organisation sociale. Le nous contiendra donc toujours, une part de population structurellement conservatrice d’autant plus qu’une partie significative proviendra des revenus de transferts gérés par le gouvernement.

En ce sens, l’affirmation de Maître Di Vizio, NOUS ne sommes pas prêts pour la démocratie est probablement assez juste : une partie significative de la population préféra structurellement être en accord avec le gouvernement et ses sponsors au lieu de se lancer dans la contradiction avec le discours officiel.

 

Quelle démocratie.

Est-ce à dire que ces gens ne sont pas démocrates ? Là encore, l’histoire est souvent narquoise, la République fut mise en place en 1871 sous l’impulsion d’Adolphe Thiers. Avait-il en tête la démocratie dont parlait Monsieur Di Vizio ?

Non, bien évidement. La démocratie de Thiers était un régime où le peuple majestueusement souverain déposait ses pouvoirs à intervalles réguliers dans les mains de ses représentants qui seront comme le disait le président Beaufort dans le film le Président : Un investissement amortissable en quatre ans. Une sorte d’oligarchie couverte par une mauvaise plaisanterie d’onction populaire.

Seulement, elle supposait que le peuple voulu bien se laisser mener et parfois, comme le souligne Henri Guillemin, le peuple osait mal voter. La dureté des réactions détaillées par cet historien démontre que pour la bourgeoisie, le contrat démocratique était léonin ou n’était pas.

1914, 1940, naissent de ces oppositions politiques internes. L’accident industriel a mis un temps la bourgeoisie au pas et réintroduisit la majesté du suffrage populaire dans les mécanismes politiques francais. Depuis notre classe dirigeante s’est occupée de corriger le tir et 2005 fut leur dernière erreur. 2027, la chance de supprimer les dernières trace de suffrage universel au lieu de l’étendre !

Désormais, les dés sont jetés et la lutte est officielle : La démocratie oligarchique, contre la démocratie populaire, avec ses référendums et un véritable pouvoir citoyen.

La ligne de division passe exactement entre les deux peuples de france. L’un prétend à la maturité et s’affirme désireux de la démocratie comme l’envisage Maître Di Vizio, l’autre ne la souhaite pas. Il applaudira toutes les mesures macronienne contre le premier comme il a autrefois applaudi l’écrasement de la commune par Thiers[iv].

 

[i]https://www.youtube.com/watch?v=gs9yTY7rhGc

[ii] Des « deux France » aux « deux Peuples » : généalogie du fantasme de la guerre civile française | Le Grand Continent

[iii] La France périphérique — Wikipédia

[iv]Comme quoi, j’aurais au moins une fois dans ma vie été d’accord avec Christophe Barbier.
(2) Vidéo | Facebook


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