Le RN au bord de la sédition

par Jean-Luc Picard-Bachelerie
samedi 5 avril 2025

Marine Le Pen a été condamnée en première instance de quatre ans de prison dont deux ferme, ainsi qu’à une peine d’inéligibilité de cinq ans, à effet immédiat. Depuis, elle a fait appel et à droit à la présomption d’innocence. Toutefois, elle reste accusée avec ses co-accusés des même faits, tandis que les preuves et les témoignages demeurent. L’appel doit servir à apporter de nouveaux éléments de défense ou à démontrer que la condamnation initiale était erronée, et non à faire pression sur les juges.

L’extrême droite accuse les juges d’avoir instrumentalisé la justice à des fins politiquesi ; d’avoir suivi des réquisitions extravagantesii ; et d’avoir exécuté la démocratieiii. Elle l’accuse même d’avoir fait son travail jugeant que ça n’est pas aux juges de rendre justiceiv mais au peuple souverainv. L’extrême droite serait donc une fois de plus la victime expiatoire de la République alors qu’e réalité les juges l’ont déclarée fautive...

La droite, quant à elle, confond les débats politiques et les procédures pénales prétendant qu’elles devraient être tranchées dans les urnesvi. D’autres, plus sages et perfides, posent la question au RN de savoir à partir de quelle cote de popularité peut-on s’estimer au-dessus des loisvii. Ils soulignent aussi la possibilité de récidive lorsque l’aveu est absent malgré des preuves accablantesviii.

Quant à la gauche, Marine Tondelier se rappelant les déclarations de Marine Le Pen juge que "Quand on donne des leçons d’exemplarité à tout le monde, on doit commencer par se les appliquer à soi-même". Quant à Jérôme Guedj : "Une décision de justice doit être respectée. …] La justice doit être la même pour les élus comme ceux qui ne sont pas élus, pour les puissants comme pour les faibles". Parole déplorable, Jean-Luc Mélenchon pense que "La décision de destituer un élu devrait revenir au peuple" affirmant que "c’est à cela que servirait le référendum révocatoire ».

Pour ce qui est du gouvernement, la consigne a été de ne pas s’étendre sur le sujet, au nom de la séparation entre les pouvoirs exécutif et judiciaire. En off, François Bayrou craint « un risque de choc dans l’opinion ».

Il faut rappeler que l’égalité de droit est le fondement de l’État de droit et l’un des piliers de la démocratie. Cela signifie que les individus et institutions, y compris l'État lui-même, et a fortiori les élus sont soumis à la loi selon le principe de l’égalité. Lorsqu’un État n’est pas de droit, il est soumis à l’arbitraire, c’est-à-dire à la loi du plus fort. Or, en se victimisant tout en passant sous silence les motifs de sa condamnation, Marine Le Pen fait valoir ses 13 millions d’électeurs et sa place de favorite des sondages pour bénéficier d’une justice d’exception. Qu’elle en ait appelé autrefois à une inéligibilité à vie ne lui donne aucun scrupule d’en appeler à un passe-droit tout en prétendant pouvoir se présenter alors qu’elle serait jugée coupable par la justice. Cette conception de la justice attaque frontalement l’État de droit et la démocratie dont elle se réclame, usant toujours de la même propagande mensongère.

A l’heure de ce pitoyable déni, il est heureux de voir qu’outre ce procès, nous avons déjà eu, Cahuzac, Balkany, Sarkozy ou Fillon qui ont été condamnés (pour les affaires les plus médiatisées), tandis que JL Mélenchon est poursuivi pour détournement de fonds publics. Il est heureux de voir que la justice qui est une forme de souveraineté du peuple démontre qu’elle peut encore faire son travail contre les puissants.

Du reste, les alliés « étrangers » se sont précipités pour attaquer cette justice démocratique. Ainsi, nous avons vu Poutine emprisonnant ou exécutant ses opposants (au fait a-t-il goûté que MLP se soit comparée à Navalny ?), Orban muselant son opposition et réduisant tous les contre-pouvoirs, Trump qui multiplie les prises de décision illégales espérant qu’il en restera quelque chose, voler au secours de Marine Le Pen. Et puis aussi Méloni, Bolsonaro et toute l’internationale d’extrême droite. On a les soutiens qu’on mérite...

Et pourtant, si ce procès est digne d’un État de droit, il est aussi attaqué par d’autre bords prétendument non d’extrême droite. Quatre arguments sont mis en avant : le déni de la faute ; la crainte que la condamnation jugée sans fondement renforce l’extrême droite ; le fait que ce soit au peuple de juger ses représentant et pas aux juges ; le fait que nous ne sommes plus en démocratie parce que c’est un procès politique.

Le déni de la faute, s’il peut constituer un réflexe attendu d’un coupable voulant se faire passer pour une victime, est aussi le symptôme d’un récidiviste en puissance. En quoi la démocratie sortirait gagnante de laisser se présenter un candidat dont la malhonnêteté est démontrée ?

Craindre un renforcement de l’extrême droite, c’est oublier que beaucoup de ses nouveaux électeurs sont des écœurés de la corruption issue des partis de gouvernement, et de leurs promesses non tenues. Comment pourraient-ils avoir confiance dans un tel parti qui avait un discours fort contre la corruption des élites et qui pousse sa normalisation jusqu’à ressembler aux fraudeurs susnommés ? Oui, le RN est victime, mais victime de ses chefs !

Que dire de la confusion entre le référendum révocatoire et le procès pénal ? Un procès est encadré par des lois et par des institutions, tandis qu'un référendum révocatoire dépend de l'opinion publique, qui peut être influencée par les grands médias, eux-mêmes liés à des intérêts financiers ou à l'État. Or, cela présuppose qu'un candidat populaire pourrait être considéré comme au-dessus des lois, et donc dépendre de l’arbitraire de l’opinion publique soumise aux forces médiatiques dont une grande partie est devenue conservatrice, voire réactionnaire par le volonté de milliardaires d’extrême droite. Ce qui remet en cause l’État de droit. Il n’est pas inutile de rappeler ici que la vocation première d’un référendum révocatoire, est de révoquer un élu pour faute politique, qui a failli à son programme, à sa parole et non de remplacer les juges ?

Enfin, dire que la démocratie est attaquée lorsque des juges appliquent des lois votées par les représentants du peuple, c’est une fois de plus passer sous silence les faits condamnés, et amener le procès sur le champ politique. Accuser les juges d’avoir mener un procès politique relève de la post-vérité : c’est le RN qui amène ce procès sur le champ politique, car il y a bien des faits condamnables qui s’appellent détournement de fonds publics et emplois fictifs. La vérité est que durant le procès, aucun « assistant parlementaire » n'a pu fournir de « preuve », de « justificatif » d'un quelconque travail en rapport avec le mandat de leur député , ni l'existence d'un lien hiérarchique ou non entre le député et l'assistant parlementaire (certains ne le connaissaient même pas). Pour finir, le fait que le renvoi en appel ait été accéléré, montre bien qu’il n’y a pas complot contre le RN.

Lorsque certains personnages politiques relativisent l’État de droit, ou l’attaquent frontalement, ils attaquent la démocratie, et les droits humains. Or, toucher à l’égalité des droits, c’est entrer dans un régime de l’arbitraire et d’inégalité devant la loi. La qualification d’un tel régime se situe entre illibéralisme et fascisme. Dès lors, ce n’est plus de la démocratie.

Quant à Marine Le Pen, porte-t-elle une parole séditieuse quand elle dit vouloir prendre tous les moyens pour se défendre, quand on sait que la 2e menace terroriste après l’islamisme est celle de l’extrême droite ? Les anciens du FN revenant en force, il est clair désormais que l’étape de la dédiabolisation est terminée.

 

i"Le tribunal a vraiment fait état de sa volonté politique, pas sa volonté judiciaire ni juridique, mais politique" (ex-trésorier du Rassemblement national Wallerand de Saint-Just)

ii"Ce jugement, qui copie pratiquement les réquisitions extravagantes du parquet, est pour moi inacceptable (…) Je fais donc appel" (Bruno Gollnisch)

iii"Aujourd’hui, ce n’est pas seulement Marine Le Pen qui est injustement condamnée : c’est la démocratie française qui est exécutée" (Jordan Bardella)

iv"Ce n’est pas aux juges de décider pour qui doit voter le peuple. Quels que soient nos désaccords, Marine Le Pen est légitime pour se présenter devant le suffrage" (Eric Zemmour)

v"La France est-elle encore une démocratie ? Le destin démocratique de notre nation confisqué par une cabale judiciaire indigne (…) ce n’est pas un simple dysfonctionnement, c’est un système de captation du pouvoir qui écarte systématiquement tout candidat trop à droite en mesure de gagner" (Eric Ciotti)

vi"Il n’est pas sain que dans une démocratie, une élue soit interdite de se présenter à une élection et je trouve que les débats politiques doivent être tranchés dans les urnes" […] "Cette décision va nécessairement avoir un poids très lourd sur le fonctionnement de notre démocratie. Ce n’est sans doute pas le chemin qu’il aurait fallu prendre" (Laurent Wauquiez)

vii"La justice s’est prononcée et a ce titre nous devons la respecter (…). La question que je pose maintenant au Rassemblement national, et peut-être à d’autres qui sont sur cette ligne là, c’est à partir de combien dans les sondages on estime qu’on est au-dessus des lois ?" (Prisca Thévenot)

viii "Lorsqu’un élu prévenu est condamné pour détournement de fonds publics, l’inéligibilité est de droit. C’est la loi. Lorsqu’il existe un risque de récidive (ce qui est le cas lorsque le prévenu nie avoir commis l’infraction), l’exécution provisoire est prononcée. C’est la loi. À quel moment peut-on penser qu’un juge ne va pas appliquer la loi ?" (Sacha Houlié)


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