La légende Éric Tabarly et sa fille

par Sylvain Rakotoarison
mardi 13 juin 2023

« C'est pas l'homme qui prend la mer
C'est la mer qui prend l'homme, ta-ta-tin »
(Renaud, "Dès que le vent soufflera", 1983).


 



J'ai une petite pensée pour le navigateur Éric Tabarly, capitaine de vaisseau à l'armée, qui est mort emporté par la mer il y a vingt-cinq ans, le 13 juin 1998 (dans la nuit du 12 au 13) en mer d'Irlande. Son corps a été retrouvé à près d'une centaine de kilomètres de sa chute le 17 juillet 1998. Il avait 66 ans (né le 24 juillet 1931 à Nantes) et semblait pourtant insubmersible.

Effectivement, les "métiers", ou plutôt, les passions de navigateur, d'alpiniste ou de vulcanologue, entre autres activités dangereuses, connaissent beaucoup de disparition dans la mer ou dans la montagne (ou sur les volcans), des lieux toujours hostiles, qui nécessitent une compétence technique excellente et une forme physique exceptionnelle, mais, malheureusement, souvent, cela ne suffit pas à éviter la tragédie parce que la passion peut aussi vouloir faire sortir des limites du possible ou le hasard faire croiser une malchance fatale.

La liste est hélas longue des navigateurs disparus en mer, à commencer par Alain Colas, disparu le 16 novembre 1978 à 35 ans sur la Route du Rhum, Loïc Caradec, disparu le 13 novembre 1986 à 38 ans aussi sur la Route du Rhum, Daniel Gilard, disparu le 23 octobre 1987 à 38 ans dans l'Atlantique entre La Baule et Dakar, Paul Vatine, disparu le 21 octobre 1999 à 42 ans dans l'Atlantique au large des Açores, ou encore Andrew Simpson, noyé le 9 mai 2013 à 36 ans dans la baie de San Francisco, etc.

On pourrait ajouter l'animateur de télévision Philippe de Dieuleveult, disparu le 6 août 1985 à 34 ans dans les chutes d'Inga au Zaïre (même si cette disparition pourrait avoir d'autres causes que purement sportives), et le surfeur Arnaud de Rosnay (frère de Joël de Rosnay), disparu le 24 novembre 1984 à 38 ans en voulant traverser le détroit de Formose, en mer de Chine, à planche à voile. Quant à Florence Arthaud, elle est morte le 9 mars 2015 à 57 ans en Argentine, lors d'un transfert en hélicoptère qui s'est écrasé à l'occasion du tournage d'un stupide jeu de téléréalité.

Mais dans les années 1970 et 1980, et plus généralement toutes ces années avant sa mort depuis qu'il a remporté la Transat anglaise en solitaire sur son Pen Duick II le 19 juin 1964 à l'âge de 32 ans (Alain Colas, Philippe Poupon, Loïck Peyron, Francis Joyon et Michel Desjoyeaux, entre autres Français, l'ont également gagnée plus tard), Éric Tabarly, très présent dans les médias, semblait effectivement insubmersible, invincible, comme s'il ne faisait que de la communication et n'allait jamais en mer, ou, au contraire, comme s'il était tellement fort qu'il avait totalement maîtrisé la mer. Comme s'il était à la fois courageux et prudent et que cela suffisait à empêcher tout accident.



Pendant une trentaine d'années, vainqueur de nombreuses courses, auteur d'une quinzaine de livres souvent best-sellers, formateur de nombreux marins français à la course au large pour "l'école française" (notamment Alain Colas, Daniel Gilard, Éric Loizeau, Olivier de Kersauson, Philippe Poupon, Marc Pajot, Yves Parlier, Michel Desjoyeaux, Jean Le Cam, etc.), membre de l'Académie de marine à partir de 1990, Éric Tabarly s'est aussi distingué par la recherche d'un voilier performant, en participant activement à l'innovation technologique sur l'hydrodynamique (il a même conçu le prototype d'un hydroptère en 1976 ; pour Pen Duick VI conçu en 1973, la quille est en uranium appauvri, etc.). Il a confié à "Libération" le 13 octobre 1997 : « Je ne suis ni misanthrope, ni misogyne, ni marginal, et (…) je m'intéresse à la vie de notre planète. Mais le bateau est vraiment le seul domaine qui me captive, qui alimente mes idées novatrices. » (cité par Wikipédia).

Selon l'adage les chats ne font pas des chiens (en l'occurrence, elle est spécialiste en éthologie des chevaux), Marie Tabarly, fille d'Éric et Jacqueline Tabarly (elle avait 13 ans quand il a disparu), est également skippeuse et a fait ses "premières armes" en mer sous la protection d'Olivier de Kersauson, un ami de la famille. La voile est comme une évidence pour Marie Tabarly : « Je suis retournée dans cet univers où j’ai été éduquée. J'aimais la convivialité, la bonne ambiance, et puis la beauté de ces bateaux. Je suis aussi retournée dans un monde de compétition où le niveau d’exigence était élevé, on a fait performer le bateau en travaillant beaucoup ! ».



Elle a fait son premier tour du monde à partir du 3 juillet 2018 à bord de Pen Duick VI, le voilier de 22 mètres de long commandé par Éric Tabarly (construit en 1973) qui a fait gagner son père une seconde fois à la Transat anglaise le 28 juin 1976 (cette édition 1976 de la Transat anglaise a connu trois drames, deux concurrents ont disparu en pleine mer, le Canadien Mike Flanagan et le Britannique Mike MacMullen, ce dernier venait de perdre deux jours avant le départ de la course son épouse électrocutée en l'aidant aux préparatifs).

Marie Tabarly a eu cette idée d'inviter pour quelques semaines, selon les escales durant son tour du monde, diverses personnalités, des artistes, des sportifs, etc., pour les rencontrer et échanger avec eux : « Il y a mon envie mais essentiellement mon besoin, m'épanouir, rencontrer des gens et être utile. Ça fait très longtemps que je me demandais comment ce bateau pouvait être utile, comment moi je pouvais être utile et comment est-ce que ce nom peut être utile. » a-t-elle déclaré le 2 juillet 2018 juste avant de partir.

Éric Tabarly échangeait avec beaucoup de monde à la maison, et Marie voudrait perpétuer l'idée de manière originale : « J'ai eu la chance d'avoir une vie pas forcément facile, mais hyper riche, je ne peux pas la garder que pour ma gueule, ça n'a pas de sens ! ». Et elle adore ce voilier : « Pen Duick VI est très beau, performant, hyper agréable, très marin même si, avec son petit cul, il roule au portant. ». Elle est rentrée en 2021, année où elle a participé pour la première fois à la Transat Jacques-Vabre avec Louis Duc du 7 au 29 novembre 2021 (« Il est Normand, je suis Bretonne, on se met sur la gueule et c’est moi qui gagne ! » s'est-elle vantée le 6 novembre 2021). C'était son rêve d'y concourir car son père avait gagné cette course le 31 octobre 1997 avec Yves Parlier.

À bord de Pen Duick VI, Marie Tabarly fera un nouveau tour du monde à la tête d'un équipage de douze personnes en participant à l'Ocean Globe Race, pour son cinquantième anniversaire, départ en septembre 2023 et arrivée vers avril 2024 (la course impose l'absence de GPS et de moyen de communication moderne, et un équipage avec 70% de bénévoles) : « Le bateau est un catalyseur, il permet aux gens de se déconnecter tout en se reconnectant aux autres et aux valeurs fondamentales (…). On va passer par des pays qui ont une histoire riches, par des routes maritimes, des expériences et moments incroyables qui vont amener à la réflexion. Je suis impatiente de découvrir les travaux des bénévoles du bord ! ».

Le 5 février 2023, elle faisait part de son "statut" de femme navigatrice : « Tellement obsédée par le problème d’être la "fille de", je ne voyais même pas le problème d’être une femme dans la voile. (…) À 38 ans, je suis capitaine d’un maxi de 22 mètres, et d’un équipage de 25 personnes. Actuellement dans l’arc antillais pour aller courir la Caribbean 600, au moment du contrôle de la douane, 2 fois sur 3 je dois convaincre l’agent des douanes que je suis bien la capitaine, et la propriétaire. Idem en métropole, que ce soit dans les salons parisiens ou ailleurs. (…) Pour les médias nous devons sourire, être belles, lumineuses, ouvertes, rayonnantes, de vraies bulles de champagne. Pourtant on ne demande jamais ce genre d’attitude à Francis Joyon, ou Yves Le Blevec, qui eux, ont le droit d’avoir de "vraie gueule de marin burinée par le vent". Pourtant nous sommes tous marins, avec donc un ADN commun et souvent un foutu caractère. Mais c’est aussi ce qui fait que nous allons courir sur l’eau, que nous avons la force de revenir à terre monter des projets, pourquoi pas même de créer une famille, et repartir. ».

Par ailleurs, les proches d'Éric Tabarly voudraient le classement aux Monuments historiques de toute la gamme des Pen Duick, comme l'a expliqué Arnaud Pennarun, le président de l'Association Pen Duick : « Le fait de classer les bateaux interdit les propriétaires de les revendre à l’étranger et leur impose des normes sur les types de réparation ou d’entretien à faire. Tout ça est surveillé par les Monuments historiques. On souhaite que les bateaux restent dans leur état actuel. ». Un manière de perpétuer la mémoire...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 juin 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Éric Tabarly.
Coupe de France de football 2023 : victoire de Toulouse ...et d'Emmanuel Macron !
France-Argentine : l'important, c'est de participer !
France-Maroc : mince, on a gagné !?
Qatar 2022 : vive la France, vive le football (et le reste, tant pis) !
Après la COP27, la coupe au Qatar : le double scandale...
Vincent Lindon contre la coupe au Qatar.
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Pas de burkini dans les piscines à Grenoble.
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