Zidane et la troisième ère galactique

par Axel_Borg
samedi 16 mars 2019

L’Histoire retiendra que la troisième ère galactique des présidences de Florentino Perez aura commencé non pas au printemps 2019 mais aux derniers jours de l’hiver, le 11 mars 2019. Avec non pas Antonio Conte, Mauricio Pochettino ou José Mourinho pour faire renaître le phénix de ses cendres fumantes … Mais Zinédine Zidane, le Messie …

A défaut d’avoir pu redresser le Real Madrid, on pourra toujours reconnaître à Santiago Solari le sens de la formule quand la presse lui parlait de ses probables successeurs : Le Real Madrid a toujours eu plus de prétendants que Julia Roberts.

Le problème pour l’Argentin, c’est que le club merengue était plus proche de la reine-sorcière de Blanche-Neige que de Pretty Woman … Secret de polichinelle, ses jours étaient comptés depuis le camouflet européen reçu face à l’Ajax.

Certes, le club castillan a connu mille et une humiliations …

Mais la semaine allant du mercredi 26 février au mardi 5 mars fut démentielle et força Perez à descendre de sa tour d’ivoire avec la Kalachnikov : défaite 3-0 dans son antre madrilène en finale de la Coupe du Roi contre le Barça, défaite 1-0 à domicile en Liga toujours contre le rival catalan, défaite 4-1 encore et toujours dans son fief de Bernabeu contre l’Ajax Amsterdam. Et cerise empoisonnée sur le gâteau, face aux deux clubs de cœur de feu Johan Cruyff. Les deux clasicos perdus sonnaient le tocsin de Solari, la perte du titre européen contre l’Ajax sonne le glas pour l’Argentin. David qui bat Goliath, la ligne rouge est franchie pour Perez : l’image du triple champion d’Europe en titre est atteinte, et Bernabeu devient un Golgotha avec trois défaites de rang, loin du Fort Knox inviolable des années Mourinho, Ancelotti et Zidane. Le match aller gagné à Amsterdam avait tout de la victoire à la Pyrrhus : 2-1 mais un club en proie au doute, dominé par le talent exceptionnel des de Jong et autres de Ligt.

Plus que jamais, les images de liesse sur la Plaza de la Cibeles semblent loin … La fontaine est tarie, l’eau du Tonneau des Danaïdes doit rejaillir, comme entre 2000 et 2005 (première ère galactique avec les recrutements de Figo, Zidane, Ronaldo, Beckham, Owen et Robinho) puis entre 2009 et 2014 (deuxième ère galactique avec les arrivées de Kakà, Cristiano Ronaldo, Benzema, Xabi Alonso, Ozil, Khedira, Ricardo Carvalho, Di Maria, Varane, Modric, Bale et Kroos). Après plusieurs saisons à faire l’épicier, Florentino Perez va devoir sortir le chéquier pour éteindre l’incendie.

Car sans un guide au charisme incontestable, le grand club madrilène aurait été perdu. Car ce Real Madrid 20198-2019, c’est Fahrenheit 451, les pompiers pyromanes. Perez commence par mettre involontairement le feu à la Roja espagnole le 13 juin 2018, deux jours avant le lancement de la Coupe du Monde. La Fédération espagnole licencie logiquement Julen Lopetegui, remplacé au pied levé par Fernando Hierro. L’effet boomerang est terrible. L’épée de Damoclès tombera vite sur l’ex sélectionneur de la Furia Roja et coach du FC Porto. A la Toussaint, Lopetegui a déjà fait ses valises. Perez reprend ses tendances Kleenex de la période 2000-2006. Santiago Solari est appelé à la rescousse mais la scoumoune ne quittera plus ce Real Madrid habitué à trois ans de baraka. L’ADN du club a changé, passant de loups affamés à des pachas satisfaits et repus, de Pantagruels à l’appétit colossal à des califes se vautrant sur leur sofa. Tel le sparadrap du capitaine Haddock, le club merengue est incapable de se défaire de son inefficacité devant le but, de Karim Benzema à Vinicius Junior en passant par Luka Modric, Gareth Bale, Isco ou encore Marco Asensio. Un seul être vous manque, est tout est dépeuplé …

Car après le départ de ZZ le 31 mai 2018, conscient du risque de toboggan du déclin, d’érosion du discours et d’usure du pouvoir, le triple champion d’Europe en titre perd sa star Cristiano Ronaldo. Lassé de cannibaliser le Vieux Continent sous le maillot blanc mais surtout furieux du manque de reconnaissance de Florentino Perez, le crack portugais part à la recherche d’un ultime défi. Direction le Piémont et la Juventus Turin, pendant que l’entraîneur français prend une année sabbatique.

Chacun pense qu’il attend 2020 et le départ éventuel de Didier Deschamps de son poste de sélectionneur de l’équipe de France. On comprend vite que malgré le titre mondial obtenu par les Bleus en Russie, Deschamps reste viscéralement attaché à son poste. La F.F.F. et le public ayant les yeux de Chimène pour l’ancien capitaine des Bleus, il n’est pas utopique de penser que Deschamps ira défendre son titre au Qatar en décembre 2022.

Zidane se met donc à l’écoute du marché, et son nom surgit logiquement un peu partout … Manchester United tombe de Charybde en Scylla et vire Mourinho en décembre ? On s’attendait à retrouver ZZ à Old Trafford à l’été 2019 pour relever le défi du club mancunien, toujours hanté par l’ombre de Sir Alex Ferguson. On aurait alors retrouvé Zidane en Premier League, véritable Eldorado des entraîneurs étrangers avec Guardiola, Klopp, Emery, Pochettino, Sarri et avant eux Mourinho, Ranieri, Pellegrini, Villas Boas, Scolari, Van Gaal, Wenger, Mancini, Benitez, Houllier …

Le cycle Allegri touche à sa fin à la Juventus ? On imaginait Zidane revenir dans le Piémont au chevet d’une Vecchia Signora incapable de dominer l’Europe depuis 1996 et la première ère Lippi. La perspective de retrouver son quintuple Ballon d’Or CR7 aurait pu donner un zeste d’adrénaline supplémentaire.

Chelski s’apprête aussi à congédier Maurizio Sarri. Mais l’interdiction de recruter qui touche le club londonien et Roman Abramovitch aura eu raison des desseins de l’oligarque russe de faire venir le Ballon d’Or 1998 à Stamford Bridge. La seule perspective d’Abramovitch est de conserver à tout prix Eden Hazard …

Zinédine Yazid Zidane aurait pu aller à Manchester, à Turin ou à Londres. Il a cédé aux sirènes de Florentino Perez, qui met ainsi fin au concours Lépine des idées sur le nom du futur entraîneur de la Maison Blanche. Revenir dans un club après une première expérience réussie n’est jamais chose aisée : Fabio Capello (AC Milan 1997-1998 après 1986-1987 et 1991-1996, Real Madrid 2006-2007 après 1996-1997), Jupp Heynckes (Bayern Munich 2017-2018 après 1987-1991 et 2010-2013), Marcello Lippi (Juventus Turin 2001-2003 après 1994-1999) ou encore Louis Van Gaal (FC Barcelone 2002-2003 après 1997-2000) en connaissant un rayon de bibliothèque sur le sujet.

L’ancien adjoint de Carlo Ancelotti lors de la Decima conquise en 2014 à Lisbonne s’est émancipé de son mentor, qu’il a égalé (ainsi que Bob Paisley coach du grand Liverpool sacré en 1977, 1978 et 1981) au panthéon, avec trois conquêtes du Graal en 2016 à Milan contre le voisin de l’Atletico, en 2017 à Cardiff puis en 2018 à Kiev, pour en fin mixant apothéose et chant du cygne contre Liverpool. Difficile de remotiver l’Invincible Armada après une telle razzia, d’où le départ logique de ZZ …

Contraint d’opérer une révolution copernicienne avec une main de fer dans un gant de velours, Zidane devra désormais prouver qu’il peut gagner sans un Cristiano Ronaldo stratosphérique martyrisant et dynamitant les forteresses rivales du Bayern, de la Juventus, du PSG ou des clubs de la Perfide Albion. Personne n’avait su trouver l’antidote face au poison de Madère, qui avait atteint la quadrature du cercle, le climax de sa carrière entre 2014 et 2018 en pérennisant les prestations de très grande classe (triplé contre Wolfsburg en quart de finale retour en 2016, doublé contre le Bayern en quart de finale aller en 2017, triplé contre l’Atletico en demi-finale aller en 2017, doublé contre la Juventus en finale en 2017, doublé contre le PSG en huitième de finale aller en 2017, triplé contre la Juventus en quart de finale en 2018). Rattrapant Leo Messi avec cinq Ballons d’Or alors que la Pulga menait 4-1 fin 2012, le crack lusitanien a tutoyé la perfection statistique pendant cinq ans de 2013 à 2018, s’attirant tous les superlatifs. En état de grâce de façon récurrente, CR7 est clairement transcendé par la Ligue des Champions, possédant ce petit supplément d’âme qui fait toute la différence. Plébiscité Ballon d’Or en 2008, 2014, 2016 et 2017 par l’aréopage des jurés, CR7 n’a fait qu’une fois polémique, en 2013.

A la fin de son séjour espagnol (2009-2018), seul Di Stefano restait devant CR7 dans la mémoire collective du Real Madrid. Tous les autres, de Puskas à Zidane en passant par l’autre Ronaldo, Figo, Raul, Hugo Sanchez ou Redondo, tous étaient loin derrière le feu follet de Madère, intouchable dans sa capacité à marquer.

Auteur d’une prestation d’anthologie pour son premier match à élimination directe au Juventus Stadium, CR7 a encore prouvé son efficacité monumentale en huitième de finale retour de cette Ligue des Champions 2019, inscrivant un triplé dégoulinant de classe pure face à l’Atletico Madrid de Diego Simeone … Chaussant une fois de plus ses bottes de sept lieues, le Portugais a justifié son transfert à la Juventus (100 millions d’euros d’indemnité et 31 millions d’euros de salaire annuel) en une seule soirée …

La très darwinienne C1 est le juge de paix de la qualité d’une équipe, pour voir ce qu’elle dans les tripes, hors fulgurances de l’uomo squadra maison et exploits majuscules. Sans un génie tel que CR7 et un chef d’orchestre tel que Zidane, le von Karajan des années 2010, on a vu ... Malgré l’expérience du taulier et aboyeur local Sergio Ramos et la classe pure du nouveau Ballon d’Or Luka Modric, le totem castillan a été éparpillé façon puzzle par les jeunes Lanciers de l’Ajax. Voir le Real dégringoler ainsi l’escalier montre à quel point il est tombé bas en si peu de temps. Personne n’aurait misé un kopeck sur l’absence du grand club castillan des quarts de finale.

Le président Perez ayant porté l’estocade à Solari après avoir planté une banderille létale à Lopetegui fin octobre, revoilà donc Zidane dans le très byzantin club castillan … La boîte de Pandore a libéré tous ses démons.

Florentino Perez a commis le même péché d’orgueil que le PSG en 2016. Penser que Zlatan Ibrahimovic n’aurait aucun impact sur le quadruple champion de France était une douce chimère. De même, croire que les départs conjoints de coach Zidane et de l’OVNI CR7 serait neutre pour le Real Madrid était comme voir une oasis au lieu d’un mirage.

Le Père Noël passera en juin au Real Madrid après que le père Fouettard soit passé début mars. Ayant tristement fêté son 117e anniversaire le 6 mars dernier en se réveillant avec la gueule de bois, la Maison Blanche se doit de réagir en appuyant sur le bouton rouge ouvrant le sésame de la caverne d’Ali Baba. Le PSG avait fait de même en 2017 avec plus de 400 millions d’euros engloutis dans les transferts records de Neymar (FC Barcelone) et de Kylian Mbappé (Monaco), les deux figures de proue du projet QSI. L’hypocentre du séisme était au Qatar, à Doha, et son épicentre à Paris, avec des répliques jusqu’à Monaco, Barcelone et même Dortmund, les Blaugrana s’offrant ensuite avec la manne providentielle de la vente forcée de leur joyau brésilien.

Les chaises musicales ont donc débuté, Madrid veut offrir de nouveaux gladiateurs à son Colisée qui se consume d’impatience. Les nouveaux Galactiques sont attendus, et l’on sait déjà que Gareth Bale fera ses valises. C’est sans doute le seul joueur dont le cas n’est pas négociable par ZZ auprès de Florentino Perez. Les cas de Thibaut Courtois, achetés en 2018, ainsi que de Karim Benzema, dont la relation avec Zizou est bonne, sont a priori réglés positivement. Le gardien belge et l’ancien buteur lyonnais devraient rester à bord, tout comme les Espagnols Isco et Marco Asensio.

Luka Modric convoité par l’Inter, Sergio Ramos et Marcelo en délicatesse et pressentis chez les Bianconeri, plusieurs cadres semblaient plus proches d’un aller simple pour la Lombardie ou le Piémont que d’une prolongation de leur bail merengue. A suivre, tout comme le feuilleton James Rodrigue, le Colombien étant pour rappel prêté au Bayern Munich, à qui le Real semble avoir emprunté le triste surnom de FC Hollywood pour la présente saison 2018/2019.

Pour le plus grand bonheur de Florentino Perez, le PSG s’est encore pris les pieds dans le tapis. Blessé et frustré, Neymar pourrait avoir des envies d’ailleurs, tout comme la comète Kylian Mbappé, plébiscité futur meilleur joueur du monde. Tous deux nourris au nectar et à l’ambroisie par les fées du destin, les deux virtuoses du PSG démentent officiellement toute volonté de quitter le navire. Fluctuat nec Mergitur, dit la devise de la ville de Paris, l’ancienne Lutèce, reprise par Georges Brassens dans les Copains d’Abord (1964). Il flotte sans jamais sombrer. Une contrepèterie facile nous conduirait à moquer le club francilien en indiquant qu’il sombre sans jamais flotter. Le Titanic de QSI a subi trop de contacts avec les icebergs pour espérer atteindre un jour le Capitole. La Roche Tarpéienne semble le destin final plus probable d’un club qui confond vitesse et précipitation.

Mais la Ville Lumière n’est bien sûr pas la seule où Zinédine Zidane pourrait avoir envie de faire du shopping … D’autres excellents joueurs en froid avec leurs dirigeants ou lassés de leur club actuel pourraient venir rejoindre le club madrilène, désireux de regarder le Barça dans le blanc des yeux dès que possible, puis de toiser le reste du Vieux Continent : Mauro Icardi (Inter Milan), Eden Hazard (Chelsea), Marco Reus (Borussia Dortmund), Harry Kane (Tottenham), Pierre-Emerick Aubameyang (Arsenal) ou Paulo Dybala (Juventus Turin). L’impact encore méconnu du Brexit pourrait pousser d’autre top players hors de la Perfide Albion : Mohamed Salah (Liverpool), Paul Pogba (Manchester United), Kun Aguero (Manchester City), Roberto Firmino (Liverpool), Romelu Lukaku (Manchester United), Kevin de Bruyne (Manchester City), Sadio Mané (Liverpool) ou encore Christian Eriksen (Tottenham) …

L’hégémonique Real Madrid 1.0 de Zidane avait été un millésime exceptionnel dressant la guillotine sur son passage et faisant passer tous ses rivaux sous ses fourches caudines, reste à voir ce que donnera le Real Madrid 2.0 : feu de paille faisant pschitt ou bulldozer à la férule implacable, seul l’avenir le dira, où l’on attendra le club merengue à la conquête d’un quatorzième titre européen en 2020 du côté du Bosphore, à Istanbul ... Pour un nouveau soleil d’Austerlitz, loin du Waterloo morne plaine que fut l’hiver 2019 …

La priorité numéro un de l’ancien alchimiste de l’équipe de France est de mettre fin à cette ambiance de western-spaghetti où tout le vestiaire merengue se regarde en chiens de faïence. Et s’il reste des crocodiles en trop dans le marigot castillan, à lui de trancher en coupant des têtes : Toni Kroos, Gareth Bale, Sergio Ramos ou Marcelo par exemple ... La deuxième est de boucler la saison dans les quatre premiers de la Liga pour ne pas subir le camouflet d’une qualification pour la petite Ligue Europa. Le précipice n’est pas non plus tout proche car la Maison Blanche possède dix points d’avance sur la cinquième place occupée par Alaves.

La troisième, et la plus importante, sera de reconstruire le bel édifice lézardé avec une enveloppe de recrutement à faire pâlir les nouveaux riches de Manchester City, Paris et Chelsea, afin de tirer la quintessence d’une équipe destinée à remplir les armoires à trophée du Real Madrid dans son quartier de Chamartin ...


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