Les évangiles sont des textes pesher
par Emile Mourey
mercredi 31 décembre 2008
Cela signifie qu’ils ont été rédigés et qu’ils doivent être lus suivant deux sens : un sens littéral dit de surface et un sens caché, profond, qui relate la réalité historique. Cette forme littéraire est présente dans l’Ancien Testament ; l’exemple le plus poétique en est le Cantique des cantiques. On la retrouve dans les textes esséniens des manuscrits de la mer Morte. Alors, pourquoi refuse-t-on de me suivre lorsque j’essaie d’appliquer cette méthode de lecture au Nouveau Testament ?
Aux commentateurs qui me critiquent ou qui doutent, je propose, à titre d’exemples, de réfléchir sur deux personnages parmi les plus célèbres de la culture chrétienne mais aussi musulmane : Marie, mère de Jésus et Anne, mère de Marie. Autre exemple : le soi-disant mystère des rois mages auquel Arte vient de consacrer une émission.
Anne, mère de Marie ou simple prophétesse ?
Luc (Lc 2, 36-38) dit d’Anne qu’elle était âgée de 84 ans au moment où il fait naître Jésus en l’an 6 après notre ère, lors du recensement de Quirinius. Il n’a pas suivi Jacques qui, dans son protévangile de l’an - 4, faisait naître son Jésus en l’an - 7 (voyez mes précédents articles).
Je cite le passage de l’évangile de Luc : Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était fort avancée en âge, et elle avait vécu sept ans avec son mari depuis sa virginité. Restée veuve, et âgée de quatre vingt-quatre ans, elle ne quittait pas le temple, et elle servait Dieu nuit et jour dans le jeûne et dans la prière.
Anne serait donc née en l’an - 78. Or, selon Flavius Josèphe, c’est très précisément en l’an - 78 que le roi asmonéen détesté des Juifs, Alexandre Jannée, s’empara de la forteresse (essénienne) de Gamala. Il avait ramené de la ville (essénienne) de Bethsaïde huit cents (Esséniens) qu’il avait fait crucifier sur la place de Jérusalem. Leurs femmes et leurs enfants sanglotaient à leurs pieds. J’en déduis que Anne est le nom-code de la population galiléenne « résistante » qui est née ce jour-là, ou avant ce jour-là. Supposons que cette « résistance » ait libéré Gamala et la Galilée avec l’aide des Romains en l’an - 63, date de la prise de Jérusalem par Pompée. Alors, on comprendrait pourquoi Luc dit qu’Anne, depuis sa virginité, a vécu sept ans avec son mari (avec Pompée), de l’an - 63 à l’an - 56, date de l’accord de Lucques qui donna les territoires d’Orient à Crassus. Le fait qu’elle soit restée veuve indique que, depuis le départ de Pompée, elle avait gardé ses distances avec l’occupant (cf. mon Histoire du Christ, tome II, page 238).
Luc dit qu’Anne était issue de la tribu d’Aser (au nord du lac de Tibériade) ; c’est clair. Il s’agit bien d’une population galiléenne (pro-essénienne). En revanche, quand il dit qu’elle fréquentait le temple jour et nuit, cela ne signifie nullement qu’elle y résidait mais qu’elle y maintenait une présence de prêtres et de pélerins. Reste à savoir pourquoi il la présente comme une prophétesse, pourquoi il n’a pas suivi Jacques qui, dans son protévangile de l’an -4, en faisait la mère de Marie ?
Marie, mère de Jésus
La bonne méthode consiste à raisonner à partir du Protévangile de Jacques. Rédigé à la mort d’Hérode (en l’an - 4) comme le dit son auteur, il n’y a aucune raison de considérer ce texte comme apocryphe. Jacques dit que Marie était agée de 15 ans lorsqu’elle donna naissance à Jésus lors du recensement d’Auguste (ce recensement eut lieu en l’an - 7). Cela la ferait donc naître en - 22. Or cette date correspond au début de la construction du Temple d’Hérode (1).
Je cite : Il est écrit dans l’histoire des douze tribus que Joachim était un homme fort riche et qu’il donnait double offrande au Seigneur... Vint le grand jour du Seigneur et les fils d’Israël apportaient leurs dons. Or Ruben s’éleva contre Joachim et lui dit : il ne t’est pas permis de déposer ton offrande tant que tu n’as pas donné un enfant à Israël.
Question : pourquoi Joachim payait-il double offrande au temple ? Probablement parce qu’il se considérait comme l’héritier légitime des deux anciens royaumes de Juda et d’Israël. Joachim est en effet le nom du dernier roi des deux royaumes avant l’exil à Babylone.
Question : pourquoi fallut-il réunir un grand conseil des fils d’Israël pour « un grand jour » ? Probablement parce qu’il s’agissait de lancer le projet de construction du temple et de mettre à contribution les tribus pour qu’elles envoient à Jérusalem même la main d’oeuvre nécessaire.
Question : pourquoi a-t-on reproché à Joachim d’être le seul de ne pas avoir donné d’enfant à Israël ? Probablement parce que malgré son offrande coutumière, il ne s’était pas engagé à fournir son contingent de travailleurs comme les autres (pour les Esséniens, c’était le Conseil de Dieu qui importait et non un temple).
Question : pourquoi Joachim se décida tout de même à envoyer une offrande de 122 agneaux, veaux et chevreaux ? Probablement pour annoncer qu’il acceptait finalement d’envoyer à Jérusalem, pour y travailler, une colonie de 122 hommes (10+12+100) . A noter que l’effectif de la première communauté pré-chrétienne qui s’est installée par la suite à Jérusalem était d’environ 120 (Act 1, 15).
Anne donna le sein à l’enfant et lui donna le nom de Marie... Quand l’enfant eut deux ans, Joachim dit : « Menons-la au temple du Seigneur » . « Attendons trois ans » répondit Anne.
Question : pourquoi Joachim attendit-il deux et même trois ans avant d’envoyer son contingent d’ouvriers ? probablement parce que c’est le temps qu’il a fallu pour faire des candidats une véritable communauté essénienne. Il est écrit, en effet, dans les manuscrits de la mer Morte que les novices n’étaient admis dans la grande communauté qu’après un stage probatoire de trois ans.
Marie demeurait dans le temple du Seigneur telle une colombe et elle recevait sa nourriture de la main d’un ange.
Question : pourquoi Marie demeurait-elle dans le temple du Seigneur ? Parce qu’elle (ils) y travaillait (tout en priant). Pourquoi recevait-elle sa nourriture de la main d’un ange ? Parce que la nourriture lui (leur) était donnée.
Quand Marie eut douze ans, les prêtres tinrent conseil et dirent : « Que ferons-nous d’elle pour éviter qu’elle ne souille le sanctuaire du Seigneur ? »
Question : pourquoi les prêtres décidèrent-ils de l’éloigner en la confiant à Joseph ? Probablement parce que ces travailleurs esséniens faisaient aussi du prosélytisme, d’où tension notamment avec le pouvoir pro-romain d’Hérode, d’où risque d’effusion de sang dans le temple (Marie avait 12 ans, l’âge de la menstruation).
Question : pourquoi Marie fut choisie ensuite pour tisser le voile(s) pour le Temple ? Probablement parce que le gros-oeuvre était terminé et que ce travail pouvait se faire ailleurs qu’à Jérusalem.
Mais on n’échappe pas à la logique de l’Histoire. Entre les Juifs qui fréquentaient le temple et un Hérode pro-romain, la situation s’est tendue. Au recensement d’Auguste de l’an - 7, source de mécontentements, Jacques fait naître son Jésus vengeur. Premier grand soulèvement de la Galilée vers l’an -4. Répression romaine. Vague de crucifixions. Judas le Galiléen est chassé de Sephoris (Nazareth ?) et se replie sur Gamala. Sephoris (Nazareth ?), capitale de la Galilée, est occupée par les Romains.
Ensuite dans l’évangile de Luc, nouveau recensement en l’an + 6, source de nouveaux mécontentements. Naissance du Jésus de Luc. Deuxième grand soulèvement de la Galilée sous l’instigation de Judas de Gamala (nouvelle Nazareth ?). Echec de la révolte. Répression romaine. Vague de crucifixions.
Dans l’évangile de Jean qui suit le protévangile de Jacques, rien sur la naissance de Jésus. Rien sur sa vierge-mère. Mais on retrouve la Marie de Jacques dans la population, probablement essénienne, qui a dû s’exiler de Jérusalem suite à la répression d’Hérode (cf. mon article du 31 mars 2008 intitulé « La résurrection de Lazare dans l’évangile de Jean »). Il y a concordance entre les deux Maries : Probablement parce que ces travailleurs esséniens faisaient aussi du prosélytisme, d’où tension notamment avec le pouvoir pro-romain d’Hérode, cette colonie, Marie, a dû s’exiler ou a été chassée de Jérusalem.
Les rois mages
Il y eut grand tumulte à Bethléem. Des mages arrivèrent, disant : Où est le roi des Juifs qui vient de naître. Nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus adorer... et lorsqu’ils l’eurent vu, ils lui offrirent l’or, l’encens et la myrrhe (protévangile de Jacques, 21, 1, 3).
Arte se trompe en affirmant que l’histoire des rois mages trouve son origine dans l’évangile de Mathieu. Mathieu n’a fait que reprendre ce que Jacques avait déjà écrit dans son protévangile, en l’an -4. Voici l’hypothèse que j’ai développée dans mon Histoire du Christ, tome I, publié en 1996, en appliquant au texte une lecture « pesher ».
En l’an 842 avant notre ère, les archives assyriennes qualifient Jéhu de « descendant d’Amri ». Amri, roi d’Israël, était probablement d’origine et de culture assyrienne si l’on en juge par le palais assyrien mis au jour sur la montagne de Samarie, en Palestine. Cette filiation est discutable et n’apparaît pas dans les textes de l’Ancien Testament. Mais on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement entre Jéhu fils d’Amri et Jésus fils de Marie.
Ce rapprochement nous permet de mieux comprendre la pensée de Jacques, car à l’époque de Jéhu, les rois d’Israël payaient tribut aux puissants rois d’Assyrie. L’obélisque noir du roi Salmanasar III représente Jéhu, fils d’Amri, prosterné devant le roi assyrien et lui offrant de l’or, de l’argent et d’autres objets précieux.
Juste retour des choses, ce sont les mages chaldéens d’Assyrie qui, dans le protévangile de Jacques, s’agenouillent au pied de Jésus fils de Marie et lui offrent l’or, la myrrhe et l’encens.
On devine la grande ambition de Jacques pour Israël. De même que l’Assyrie avait étendu jadis son empire sur le royaume d’Israël, de même Jacques appelle la nouvelle Jérusalem à se retrouver dans un nouvel empire assyrien qu’elle dominerait.
Sa mise en scène qui montre les devins chaldéens venant en ambassade et en précurseurs est une invitation qui signifie ceci : “Enfants d’Assyrie, venez reconnaître en Jésus l’héritier légitime de la dynastie assyrienne ! Enfants d’Israël, partons libérer ce grand peuple assyrien aujourd’hui divisé et opprimé ; et avec lui, reconstituons l’ancien empire de Babylone et de MARI. Le grand conquérant qui conduira les armées d’Israël, ce sera un Jésus... issu du sang de Marie.
Le symbole sur lequel Jacques semble avoir bâti ce projet d’alliance entre les pays assyriens et Israël dans l’intention de reconstituer le fameux Croissant fertile est l’étoile d’Orient qui, très curieusement dans son histoire, vient se confondre au-dessus de Bethléem avec celle de David (Bethléem, cité de David).
Cette alliance ne s’est pas concrétisée. L’empire romain s’est imposé. Jupiter l’a momentanément emporté sur Marie et sur Anne. Mais cette littérature pesher a survécu dans les merveilleuses sculptures de nos églises romanes.
Joyaux du Nouveau Testament, les quatre évangiles sont la forme la plus élaborée de la littérature pesher qui nous soit parvenue, tellement élaborée que, malgré de louables efforts, nos contemporains ont été incapables de les comprendre, que cela soit en Perse ou en Gaule (2).
Et j’en arrive à ma conclusion d’anthropologue : l’homme moderne est-il plus intelligent que les Anciens ? Je crains bien que cela soit le contraire.
Renvoi 1 : Flavius Josèphe dit que la construction du temple débuta la 18ème année du règne d’Hérode. Si ce règne a commencé en - 40, cela correspond. Je cite : Hérode avait reçu les insignes de la royauté dans la 185ème olympiade sous le consulat de Calvinus et de Pollion , après la paix de Brindes, en octobre 40 (cf. http://www.dammarilys.com/selene/chapt/a3.html)
Renvoi 2 : en Perse, le président iranien présente ses voeux en déclarant : Nous croyons au retour de Jésus Christ avec un des fils du grand Messager de l’Islam et qu’il mènera le monde vers l’amour, la fraternité et la justice. En Gaule, Arte nous diffuse de longs monologues absolument surréalistes sur les textes évangéliques et aux Etats-Unis, nombre d’églises évangéliques se préparent à l’Apocalypse annoncé par Jean.