Les polythéistes-animistes-(néo)païens sont-ils Animalistes ?
par Mervis Nocteau
vendredi 9 mai 2025
L'animalisme : cette mouvance éthique et politique marginale, soucieuse du bien-être animal si durement acquis, de par l'industrialisation de l'élevage et de l'abattage occidentaux – mais le respect animalier n'est gagné nulle part, et les cruautés particulières envers les animaux sont répandues partout. L'animalisme valorise la notion de sentience, partagée par tout le vivant – humain compris – ce qui est déjà un premier point de raccordement (néo)païen-animiste-polythéiste. Mais il y a plus.
Boileau : « Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement » (mise au point)
Tout d'abord, il faut reconnaître notre embarras pour les nommer, ces polythéistes-animistes-(néo)païens. C'est qu'ils se conçoivent mal : ce sont des multitudes ! Or ces multitudes ont en commun, tout autour de la Terre : 1. un respect des Ancêtres, 2. de la considération pour les Esprits Environnants et 3. une propension à reconnaître des Grands Esprits – jusqu'au « Grand Esprit », mais toujours accompagné de Grands Esprits, d'Esprits Environnants et d'Ancêtres.
C'était vrai dans les Anciennes Coutumes européennes, comme partout ailleurs autour de la Terre ; mais le vocable de païennes affubla les Anciennes Coutumes européennes (depuis la Rome chrétienne, manière de dire paysannes, paganae) tandis que, mil ans plus tard, lors des navigations coloniales, les naturalistes des peuples ou ethnographes, parlèrent d'animistes.
Les Cultures diffèrent, mais le respect des Ancêtres, la considération pour les Esprits Environnants, et une propension à reconnaître des Grands Esprits – jusqu'au « Grand Esprit » demeure. On en trouve toujours l'empreinte monothéiste, au prisme des hiérarchies d'Anges et de Démons, avec au sommet le Dieu exclusif, mais son absolutisme subvertit la donne.
D'un Grand Esprit au Dieu exclusif, il y a une contorsion, qui nous fait quitter l'ample domaine polythéiste dont nous parlions – « païen/animiste » – au monumental domaine monothéiste, au contraste duquel on inventa la notion de polythéisme, après qu'il ait fracturé le passé européen païen d'avec les découvertes extra-européennes ultérieures animistes, alors qu'il s'agissait de Cultures comparables, qui ne se contentent pas d'être -théistes, et qui procèdent – non d'un absolutisme – mais d'un émergentisme spirituel. C'est-à-dire que, quand Grand Esprit il y a, il est une propriété émergente de l'Être [0].
Éléments de philosophie théologique
En philosophie classique, on parle aussi de dialectique réalisme/idéalisme, matérialisme-physicalisme/spiritualisme, et surtout immanentisme/transcendantalisme... au sujet de la dialectique émergentisme/absolutisme spirituels, concordante avec cette dialectique polythéisme-animisme-(néo)paganisme/monothéisme.
Néanmoins, le domaine animiste – préférons ce terme aux autres [1] – de même que le monothéiste, empreinte à l'idéalisme comme au réalisme, au matérialisme-physicalisme comme au spiritualisme, à l'immanentisme comme au transcendantalisme : ces catégories mentales sont classiques, c'est-à-dire d'époque dominée par le monothéisme, en philosophie ; elles ne sauraient opérer comme il faudrait, et ce sont plutôt des préjugés mentaux, donc des carcans spirituels.
Voilà pourquoi un animiste [1] conséquent, devrait mentalement se réformer, et préférer les notions d'émergentisme et d'absolutisme spirituels : les monothéistes rêvent que le divin est « ab-solu », c'est-à-dire détaché, séparé, coupé des choses... ce qui provoque animiquement (psychiquement, si vous préférez) dans une perspective animiste, une forclusion (une psychose si vous préférez, généralement légère). Dans une perspective animiste, l'âme monothéiste est écartelée entre « la Création » et « le Créateur », de sorte qu'il doive toujours inventer des degrés entre eux, des ponts, des liaisons.
Symptomatiquement, la kabbale juive : un ésotérisme magistral, qui néanmoins dés-absolutise le divin en le diffractant. La Shekinah (présence divine) prend aussi une dimension sacrale. De même, l'incarnation christique était une façon de dire, que le Dieu exclusif pouvait être parmi nous (Emmanuel) sans parler de la diffusion du Saint-Esprit. Les musulmans sont probablement les plus exclusivistes, mais ils ont des hiérarchies d'anges et de djinns (les démons ressortant plus de la catégorie des « djinns ayant mal tourné » – passons) : ils opèrent dans le vide entre « la Création » et « le Créateur ».
Le monothéisme et l'âme : un lien trouble
Ajoutons que la notion d'âme, dans le monothéisme, désigne quelque chose comme l'individualité-même. Doctrine du salut de l'âme (sotériologie), l'âme peut y être confondue avec l'esprit, et pour ainsi dire le mental (en dehors du mysticisme marginalisé). Voilà pourquoi le judaïsme estime que le succès dans la vie vient du Dieu exclusif, sans intérêt particulier pour la mort – son Shéol est morne comme l'Hadès ou le Helheim – avant la résurrection (qui est, en somme, un paradis) ; c'est aussi pourquoi les chrétiens, semblent si angéliques dans la démarche, et simultanément si démoniaques (« qui fait l'ange fait la bête ») avec leurs vices et leurs vertus ; et enfin, pourquoi les musulmans tuent leurs apostats : seule compte la pensée (en dehors du mysticisme marginalisé).
Il faut se rendre à l'évidence : René Guénon, en exagérant l'intellectualité, ressortait du monothéisme ; il réprouvait l'idée qu'un polythéisme pur, puisse être traditionnel ; mais son confrère Frithjof Schuon, en insistant sur le féminin – au prisme de la figure de la Vierge Marie – a rebondi sur le catholicisme, à l'introduire même dans l'islamisme, sous forme de Maryamiyya ou Voie de Marie (la kabbale avait la Shekinah). L'intellectualisme guénonien dédaigne une telle Âme ; car, n'en doutons pas, l'Anima Mundi – l'Âme du Monde – ne suffit pas à résumer cette Âme et il y a une sagesse dans le foisonnement, dont la Vierge Marie ne fut jamais qu'une contorsion et un réceptacle monothéistes.
Car la sagesse était récusée par le juif messianique et universaliste, Shaul de Tarson (Saül de Tarse, saint Paul) : « Oui, la sagesse de cet univers est folie auprès d’Elohîms. Oui, il est écrit : "Il attrape les sages à leurs artifices." » (1 Corinthiens 3:19) or le féminin a besoin de ses artifices propres, dispose d'une sagesse propre, que déteste le monothéisme et qu'il n'a pu admettre qu'en le virginalisant par Marie – ce qui est, on s'en doute bien, sa forme pas folle de sagesse bien à lui ; c'est-à-dire son retour du refoulé.
Bref, ses contorsions pour faire croire en sa forclusion psychotique (généralement légère, mais réelle, au regard animiste) abolit l'Âme autant que possible (et je vous laisse imaginer ce qu'il en reste, dans le protestantisme qui délaissa Marie...). Pas étonnant, après cela, que Dan Brown en un seul roman popularise à ce point-là, ce qu'il est convenu de nommer désormais le Féminin Sacré en faisant de Marie-Madeleine la femme de Jésus.
Mais ce Féminin Sacré est affreusement triste, car cela reste dans un cadre monothéiste culturel, au même titre que les New Agers qui font du Dieu exclusif une Conscience Quantique Cosmique, avec ses Anges et Démons Extraterrestres, simili-scientologiques sectaires par channeling post-raëlien d'aura indigo : démence physicaliste science-fictionnelle qui, par surprise, reboucle avec le judaïsme ; car, en tant qu'il n'a pas d'intérêt pour la mort, mais bien pour l'existence et sa résurrection seuls, le judaïsme fonctionne conséquentiellement, comme un paradoxal cosmicisme lovecraftien (paradoxal en tant qu'il présentait une transcendance, contrairement au cosmicisme). Ça augure le misérabilisme chrétien comme le décrétisme [2] islamique.
Les animistes – polythéistes-(néo)païens – sont-ils Animalistes ?
Ces bases théologiques ayant été posées, nous pouvons maintenant nous demander, si les animistes sont Animalistes. Car ils réintroduisent l'Âme au monde, sans s'en tenir à l'Âme du Monde seule... à commencer par cette idée, que leur âme n'est pas « juste » l'esprit : leur âme et leur animation. Tout comme le divin, elle est – disions-nous du divin – émergentiste. Et elle émerge avec l'Âme en général, les âmes diverses, y compris des Ancêtres, des Esprits Environnants et des Grands Esprits jusqu'au Grand Esprit – non seulement avec l'individu. C'est toute une écologie animique, toute une animation, qu'on retrouve dans l'animal, dont la dénomination est de même racine.
À partir de là, évidemment, on voit certes que ça n'est pas de la politique animaliste, mais on comprend bien que ça développe une éthique animaliste, qui peut déboucher en politique animaliste – en l'occurrence, dans nos régimes – un vote aux Européennes, pour le parti animaliste, ou bien, plus nationalement, un vote à un parti bienveillant avec les animaux, généralement écologiste. Ou, mieux, des actions en faveur des animaux, associatives notamment, mais aussi au quotidien, une bienveillance qui – comme dirait Gandhi – distingue notre degré de civilisation, par rapport aux personnes moins sensibles à l'âme/aux âmes/aux animations/aux sentiences.
Emblématiquement, c'est Vercingetorix relâchant ses chevaux durant le siège d'Alesia : alors qu'ils auraient pu alimenter ses hommes, en attendant l'armée de secours, et les renforcer dans la bataille contre les Romains, la religiosité domina, et ils furent « sacrifiés pour les hommes » – certes aussi, en partie (mais en partie seulement) à fin stratégique de découragement des Romains, à leur faire croire qu'on était sereins à l'intérieur. Mais, au plan théurgique (de magie divine) ce « sacrifice pour les hommes » fonctionna, puisqu'on s'en souvient encore et que l'écho perdura dans les siècles [3]. Il faut voir comme on en apprend toujours plus et mieux, sur le degré de civilisation des Celtes, dont ressortaient les Gaulois.
Mais, contrairement à l'image urbaine et décadente que l'on s'est fait de la Rome antique – pour tout un tas de raisons plus ou moins nationalistes, de même que surestimer la Rome est continentaliste sur fond impérialiste – les Romains furent animistes (voir aussi) depuis leurs origines latiales, dont la religiosité fut hellénisée. Des premiers Latins jusqu'à l'Empire pré-chrétien, les Romains furent animistes, c'est incontestable ; pour l'anecdote, le nom de leurs officiants du culte, les flamines, provient de la notion de sacrifice, tout comme brahmane, puisque notre civilisation pré-chrétienne s'origine dans une Nuit des Temps « indo-européenne » yamna ayant eux-mêmes fait précipité sur les peuples eurasiatiques de notre agonique péninsule (de la Norvège au Portugal et de l'Irlande à la Grèce)...
Voyez, par ailleurs, le shintoïsme japonais, relancé à l'ère Meiji, avec ses innombrable 神 (kami) qui nous attendrissent dans – au hasard – un animé tel que Princesse Mononoké. Ou encore, les देवाः (devas) de l'hindouisme indien, détonnants dans Baahubali (un film digne de nos récents péplums, sinon que son univers spirituel est toujours d'actualité sud-asiatique).
D'hier à aujourd'hui
Bref, il y a une « reconnaissance des sentiences » jusque dans l'usage de la cruauté. Tout un dressage humain, peut-être particulièrement sensible à Rome (du moins, selon nos enseignements), qui dominait toute cette péninsule puisque Slaves, Germains, Scythes, Thraces, Daces, Illyriens, Celtes, Ibères et Lusitaniens vivaient de l'esclavage... une condition assez commune, en fait comparable au servage féodal, dans son genre particulier.
Ce n'est pas la christianisation qui mettrait fin à l'esclavage, contrairement à la vulgate, mais, en fait, les moindres brassages humains dans la Rome affaiblie, occasionnant l'esclavagisation d'hommes autrefois libres et connaisseurs des lieux : cela devenait ingérable.
On peut affaiblir quelqu'un de déporté, en l'isolant ; c'était ce qui se faisait dans l'Antiquité. Dans la Féodalité ralentie, ce fut moins faisable, donc moins performant : il fallait changer de modèle sociétal ; rien à voir avec le Diable ni le « Bon » Dieu exclusif.
De toutes façons, ce que Nietzsche nomma, entre autre, dans sa Généalogie de la morale, « les raffinements de la cruauté », est généralisable à l'ensemble des peuples plus ou moins primitifs de toute la Terre. Les Subsahariens, les Amérindiens, etc. dans leurs clans, royaumes et empires africains et américains précolombiens, etc. pratiquaient l'esclavage. C'était la condition normale de l'humanité se hiérarchisant, après la longue ère de petits groupes de chasseurs-cueilleurs néolithiques. La souffrance était non seulement inévitable, mais moralement utile – c'est-à-dire utile à la survie collective ; c'est à cela que sert la morale, en biologie post-darwinienne : à dresser (discipliner).
Durant ces âges où l'humanité était fractale, et où les groupes tendaient à se nommer eux-mêmes « les Hommes » (sous-entendu : « les autres groupes n'en sont pas ») ou bien « les Loups, les Terribles » (comme c'était le cas encore dans l'Antiquité, en message dissuasif pour les autres groupes) on tuait et sacrifiait des animaux, rarement des hommes, avec révérence sacrale.
Rien à voir avec l'industrialisation de l'élevage et de l'abattage actuelle, encore que les industries islamiques prétendent être plus éthiques, avec un halal qu'on est jamais bien sûr qu'elles pratiquent avec honnêteté. Avant le monothéisme, façon de parler, c'était l'Aïd toujours et partout. Mais « c'était encore l'Aïd toujours et partout » (sans sacralité) du temps de nos arrière-grands-parents à peine.
Aussi les animistes contemporains – polythéistes-(néo)païens – ne sont-ils pas nécessairement Animalistes. Cela dit, les conditions de nos mondes industriels sont si différentes du passé, que l'animalisme est la norme, même quand il ne se traduit pas par un vote ou un engagement associatif. Or il n'y a rien de bien éthiquement choisi en conscience, dans cette norme : les gens se donnent de beaux rôles idéologiques, qu'ils n'en sont pas moins saisis par la fatalité postmoderne. Rien de glorieux. Autres temps, autres mœurs. C'est tout.
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[0] Une propriété émergente de l'Être, pouvant certes procéder du Non-Être, du Néant, de l'Infini, du Principe, etc. peu importe votre archéonomie métaphysique.
[1] Animiste : retenons cette appellation de principe, pour les « (néo)païens/polythéistes », plus naturaliste donc neutre, scientifique, en sa démarche, même pour les pré-chrétiens d'Europe.
[2] Décrétisme : le Dieu exclusif inflige des décrets ontologiques auxquels on ne peut que se soumettre, musulman ; loin du pré-islamique mektoub, c'était écrit qui est un fatalisme antique, donc animiste ; mektoub n'est pas inch Allah, par le décret divin.
[3] Auquel titre, il est inquiétant de remarquer que, durant les confinements/covids, le pays fut secoué par des agressions de chevaux que les gendarmes ne parvenaient pas à arrêter, et dont on prétendit plus tard qu'il ne s'agissait pas que d'agressions (il est vrai que des éleveurs auront pu en profiter par effet d'aubaine, auprès des assurances...).
Mais c'est tragique, comme cela put nuire à la vitalité française, si l'on admet l'héritage spirituel et son importance socioculturelle pour le moral (même Vercingetorix assiégé à Alesia préféra libérer les chevaux plutôt que les faire manger par ses hommes, ce qui lui eût pourtant assuré la victoire puisqu'il aurait pu attendre ses alliés, qui auraient déferlé alors que ses propres guerriers auraient été ravigorés).
Pour en revenir aux agressions de chevaux durant les confinements/covids, on croirait spirituellement à une action magico-religieuse contre les Français contemporains. Féminicide anti-divin.
De même, l'artiste qui suspendit un cheval coupé en deux, à la même époque.