Pourquoi le créationnisme est protestant et musulman
par Alix Ducret
jeudi 3 avril 2008
Le créationnisme, qui semble être un des sujets de prédiction des médias ces dernières années - depuis l’élection de Georges Bush notamment - et qui réapparaît dans l’actualité avec un manuel un peu facilement associé à cette tendance, n’est certes pas vieux comme le monde, mais date au moins de l’acceptation des théories darwiniennes. Mais qu’est-ce que le créationnisme au fond. De fait, il remet totalement en doute les théories du scientifique, prônant une lecture littérale de la Bible. Le monde ne serait donc pas né d’un quelconque Big Bang, mais aurait été créé en sept jours et l’homme n’aurait subi aucune évolution. Bref, le créationnisme fait de la Genèse un récit historique. Et, si l’on trouve un parc d’attractions sur le thème de la Création, si les écoles françaises, belges, suisses ont reçu un atlas anti-évolutionniste d’un éditeur turc, ce n’est pas un hasard. La géographie du créationnisme l’explique tout naturellement.
Fortement présent dans les pays protestants, notamment aux Etats-Unis et en Australie, et dans le monde musulman, le créationnisme se nourrit véritablement d’un aspect commun à ces deux religions, le fondamentalisme des uns et des autres lui donnant un nouvel essor. Et, si l’on y regarde de plus près, ni les pays catholiques ni Israël ne connaissent de mouvement similaire. Et c’est clairement dans la lecture que protestants et musulmans font de la Bible qu’il faut voir une différence.
Depuis les origines du christianisme, les théologiens se sont efforcés de lire la Bible non pas littéralement, mais comme un ouvrage fait de symboles. D’ailleurs, c’est bien là le travail du théologien que d’essayer de cerner Dieu à travers les Ecritures. Une définition qui, de fait, exclut toute lecture littérale. Rien d’étonnant, donc, si Origène (IIe-IIIe siècles) se permet de moquer gentiment celui qui croirait que le monde a réellement été créé en sept jours, rien d’étonnant non plus si l’Eglise ne lança jamais une attaque en règle des théories évolutionnistes. Car, si l’homme a évolué, personne, pas même Darwin (1809-1882), n’a supposé que le monde n’avait pas de créateur... Voilà qui ne remettait nullement en cause la foi catholique, l’évolution de l’homme et du monde étant alors reconnue comme voulu par Dieu, comme la création complexe du Divin. De la même façon, les juifs ont toujours fait une lecture symbolique de la Bible et des Psaumes. Dieu a toujours usé - presque abusé - de symboles, de détours et il n’y a guère de raison qu’il ait agi différemment en inspirant le récit de la Genèse.
Mais, si ni les juifs ni les catholiques ne sont créationnistes, d’où vient que la troisième religion monothéiste et qu’une « branche » du christianisme le soient devenues ? On a dit que cela tenait à leur lecture de la Bible. Mais en quoi peut-elle être différente ?
Le protestantisme est une religion née d’une dissension au sein de l’Eglise catholique. Parmi les points d’achoppement, la volonté, par les protestants, de permettre une lecture libre de la Bible. Chacun pouvait alors trouver la source de sa foi dans une lecture non dirigée du livre sacré, ce qui, jusque-là était tout bonnement impossible, sa lecture et sa possession n’étant réservé qu’à une élite religieuse et intellectuelle. Le désir des protestants était donc que la parole de Dieu soit accessible à tous. C’est ce que l’on appelle le libre arbitre, chacun, selon eux, étant capable de puiser ses propres dogmes de foi dans la parole divine. Un sentiment que l’on pourrait qualifier de noble, de moins rétrograde, mais qui, finalement, n’aboutira qu’à une lecture littérale de la Bible. Il n’est pas donné à tout le monde d’être théologien !
Et c’est pour exactement la même raison que la grande majorité des musulmans sont créationnistes. Le monde musulman est divisé en deux groupes : les chiites, qui prônent une interprétation - par des chefs religieux bien sûr- du Coran et des textes sacrés, et les sunnites, 90 % du monde musulman, qui refusent catégoriquement cette possibilité. Aucun écrit ne saurait être remis en question, aucun texte ne peut donner lieu à une lecture autre que littérale. Or, pour les musulmans, l’Ancien Testament est un texte sacré - ils parlent d’ailleurs de « la religion du Livre » qui comprend les trois religions monothéistes. Pour eux, donc, la Genèse ne saurait être une image ou un symbole... Et, si les musulmans ne sont entrés dans la « querelle » créationnistes que récemment - aux Etats-Unis, elle a commencé en 1920 -, c’est essentiellement parce que les musulmans ne vivent plus uniquement dans des pays confessant leur foi, une foi et une croyance alors mise en opposition avec les enseignements des contrées les accueillant. C’est aussi, et cela vaut pour les protestants américains ou australiens, parce que les uns et les autres sont entrés dans un processus de fondamentalisation.
Mais, si les médias prennent un malin plaisir à évoquer ces créationnistes - par définition rétrogrades -, s’ils relèvent volontiers leur acharnement, parfois leur violence, il est certain que la communauté scientifique, notamment américaine, a sa part de responsabilité en refusant tout bonnement de discuter de la chose. Car, si la position des créationnistes, protestants ou musulmans, est inébranlable, certaines branches du créationnisme, telle l’ID, Intelligent Design (dessein intelligent), qui défendent la réalité d’une entité divine, sont mises au même rang que les autres, au nom de la science. Une science qui prétend qu’il n’y a pas de réponse, juste parce qu’elle ne l’a pas trouvée...