Minceur du rapport « Monsanto 810 » et doutes sur le sérieux de la fast-politik

par Bernard Dugué
lundi 14 janvier 2008

Le gouvernement vient d’inventer la fast-politik qui est à l’art de gouverner sereinement ce que la fast-food est à la gastronomie. Le point commun, c’est la vitesse. Mais aussi la minceur d’un rapport d’experts aussi épais que la feuille de salade. L’ironie veut que José Bové ait commencé son orbe médiatique en pourfendant la fast-food, pour obtenir des années plus tard une décision prise par la fast-politik.

Le verdict est tombé, le gouvernement français déclenche la procédure de sauvegarde auprès des instances européennes pour interdire la culture du maïs transgénique. Les intéressés ont 15 jours pour faire appel. Inutile d’entrer dans les détails de la procédure qui relève d’un droit européen assez complexe et qui du reste, a déjà été utilisée par d’autres pays. Dans toute question juridique, il y a les textes et la procédure, les rapports, la confrontation entre les parties. Le point déterminant reste le rapport, son contenu. Ironie de l’histoire, on sait le sort de rapports bien fournis, utiles, ayant nécessité un labeur considérable, aux conclusions pertinentes, qui ont été enterrés par la classe politique pour ne pas fâcher quelques situations acquises. Ces rapports n’ont pas été lus. L’affaire Monsanto constitue un précédent, celui d’un rapport, vide comme on le verra, qui a été lu de manière tendancieuse par son président Jean-François Legrand, repris ensuite par des responsables politiques qui ont suivi à la lettre et dans la précipitation ses déclarations et qui, sans réflexion, ont enclenché cette clause de sauvegarde. Pressés comme une accro des soldes fébrile d’acheter l’objet avant qu’il ne disparaisse. Les médias nationaux ont comme d’habitude fait preuve de légèreté, reprenant des conclusions hâtives, donnant la parole aux perdants de l’affaire, sans souligner ce fait assez rarissime. 14 membres de cette autorité provisoire sur les OGM, dont 12 des 15 membres du comité scientifique, se sont désolidarisés de l’interprétation du président Legrand. Certains n’hésitant pas à évoquer une escroquerie intellectuelle.

Ce rapport, on peut le télécharger sur ce site qui l’a reproduit intégralement. Les juristes de profession seront sans doute étonnés, voire atterrés de la maigreur et du contenu rédactionnel de cette étude qui semble-t-il, a été bâclée, comme s’il fallait aller au pas de course pour satisfaire une attente de résultats immédiats. Consécutifs à la mise en place du Grenelle de l’environnement et ce, pour satisfaire une opinion publique en attente de résultats, une opinion à qui on avait présenté la rupture comme l’avènement d’une société dans laquelle les politiques prennent les mesures et les décisions avec poigne et volontarisme, par opposition avec d’anciens temps où rien ne bougeait et où on laissait les problèmes s’aggraver. Le fait est que ni la paresse politique, ni la frénésie volontariste, ne sont adaptées et dans cette affaire Monsanto nous en avons la preuve éclatante.

Ce rapport, parlons-en un peu. Premier point, la dissémination à grande échelle du pollen. Ce serait un fait scientifique nouveau. Pourtant à lire un manuel de botanique, la dispersion des pollens fait partie de la nature et on ne voit pas ce qu’il y a de nouveau, à moins qu’il ait été énoncé que le pollen transgénique, comme le nuage de Tchernobyl, obéissait à des lois spécifiques et ne franchissait pas une zone limitée entourant le champ de maïs. Second point, l’apparition de résistances sur les ravageurs cibles, phénomène somme toute classique. S’il fallait interdire un produit dès lors que des résistances naturelles se produisent, alors il faudrait bannir l’usage des insecticides et des antibiotiques. Toujours est-il qu’il n’y a rien de nouveau sur les cibles principales. Tout au plus l’apparition chez des insectes classés en cibles secondaires de souches résistantes.

Le troisième point est le plus important. Il concerne l’impact sur la faune non cible, autrement dit les espèces qui n’ont rien à faire dans cette « histoire » et qui sont fauchées parce que le toxique secrété par le maïs leur occasionne quelque préjudice biologique. Cette situation est des plus classiques, elle concerne l’usage de tous les produits du genre insecticide ou pesticide. Pour exemple médiatisé, le régent et le gaucho qui ont décimé les abeilles, insectes bien évidemment désignés comme non cibles. L’un des principes de l’agriculture rationnelle est de lutter contre les facteurs prédateurs, herbes ou insectes. D’où l’emploi de substances qui vont être absorbées par les prédateurs et les effets secondaires dus à l’ingestion de ces substances par des animaux non cibles. Le principe est le même que dans la pharmacologie. Un médicament va atteindre sa cible cellulaire, soigner un mal, mais comme il se diffuse dans l’organisme, il touchera des cellules non cibles. Exemple simple, l’aspirine comme antalgique et qui modifie le mécanisme de coagulation du sang. Que dit le rapport ? Que la toxine bt, sécrétée par le maïs transgénique, a un impact sur le ver de terre, mais que, je cite : « Une analyse globale sur l’entomofaune non cible (Marvier et al 2007) démontre un effet des cultures de maïs bt sur quelques familles d’invertébrés, ses effets étant toutefois moindre que ceux liés aux traitements insecticides. Enfin, aucune preuve n’est apportée sur la toxicité directe dans l’étude de Marvier. » Autrement dit, la toxine du maïs a des effets sur quelques espèces animales mais globalement s’avère moins toxique sur la globalité d’une faune non cible qu’un insecticide classique. Or, c’est ce phénomène spécifique sur les vers de terre qui a été extrait d’un contexte et qui a été mis en avant par la presse à l’initiative du président Legrand dont le siège, espérons-le, est éjectable.

Pour info, la toxine bt, sécrétée par le maïs 810, est une toxine naturelle produite par une bactérie et son usage est classique, ses effets connus et d’ailleurs, en tant que produit non issu des usines chimiques, cette toxine est autorisé dans l’agriculture dite biologique ! Pour ce qui est de la santé humaine, le fait nouveau (si on veut, rapporté au début des cultures) datant de 2004, émane de l’AFSSA : c’est que les teneurs en mycotoxines dues au insectes ravageurs sont de beaucoup réduites par rapport au taux généré par les insecticides classiques qui ne permettent pas une diminution aussi drastique dans la genèse de ces toxines décrites comme dangereuses pour les animaux et les hommes. C’est donc un avantage pour le maïs transgénique.

Le reste des termes du rapport sont sans lien direct avec un possible danger lié à l’usage de l’OGM 810. Le volet sur la caractérisation biochimique de la toxine bt produite par le maïs modifié et qui aurait des propriétés post-traductionnelles différentes n’est qu’une billevesée scientifique. Quand bien même ce serait vrai, cela n’aurait aucune utilité pour décider de l’interdiction car c’est sur du concret, sur des impacts sur la faune, sur des mesures directes de la persistance dans les sols, qu’on mesure les effets ; et non pas à partir de supputations sur le repliement de la protéine. Encore un argument fallacieux utilisé dans ce rapport. A noter que ce point est considéré comme n’ayant pas fait l’objet d’un consensus. Passons à la suite. L’impact sur les abeilles. Il n’a pas été étudié (point également non consensuel). Si on devait interdire toutes les cultures dont l’impact sur l’abeille n’a pas été évalué, les champs seraient déserts ! La suite concerne des études assez techniques de toxicologie. Elles n’ont pas été effectuées. Le rapport devrait alors préconiser la mise en place de ces études au lieu d’interdire la culture. Le volet économique est maigre ; quelques données éparses sur des incidences des OGM sur les coûts de production. On se demande ce que cela vient faire dans un rapport censé établir le danger de ces plantes transgéniques. Quant à la biovigilance, elle est même préconisée par les producteurs d’OGM et elle existe déjà. Merci au comité d’avoir rappelé son importance. Il est mentionné une étude sur la coexistence entre les différentes agricultures. On voit bien le problème mais supprimer les OGM pour résoudre cette question reviendrait à supprimer la circulation dans les villes pour ceux que le bruit agace.

A lire les conclusions du rapport***, la balance est équilibrée entre une agriculture avec insecticides et une agriculture avec semences modifiées. Le rapport conclut à des « faits nouveaux » certes, mais sans constituer une menace grave. Quant aux « interrogations », la réponse pourrait tout aussi bien tourner à l’avantage du maïs transgénique alors que les termes ont été détournés à l’avantage de ceux qui, semble-t-il, mauvaise foi ou sincère inquiétude ?, ont manipulé l’opinion, ou bien sont en attente de légitimation politique après avoir mis en place le Grenelle de l’environnement. C’est ce qu’on appelle de la fast-politik, qui ne fait avancer ni les citoyens, ni les médias, ni les politiques, ni les experts, ni la science. Tout ce qu’on peut espérer, c’est que cette pratique ne se généralisera pas à d’autres situations posant problème.

Un rappel. Dans le même temps, un véritable scandale écologique et sanitaire (le clordécone dans les Antilles) a été étouffé par ce même ministre Borloo qui aura eu la peau de la culture du Monsanto 810. Et dernière info en date, le coup de gueule de Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale, affirmant que cette affaire OGM constitue un « procès en hérésie », avec au final un « jugement fragile et hâtif », rendu au nom d’un principe de précaution, la plus grande des urgences étant de calmer les « peurs irraisonnées » de l’opinion. Avec au final la revendication d’un débat parlementaire sur ce sujet des plus sensibles. Mais n’est-ce pas ce que souhaite notre président, remettre le Parlement au centre de la vie politique ? Tiendra-t-il parole ?

***

Du fait de ces éléments, le comité de préfiguration est d’avis que :

- les faits nouveaux suivants sont apparus depuis 1998 :

× Caractérisation de la dissémination à longue distance ;

× Identification de résistance chez certains ravageurs cibles secondaires ;

× Eléments nouveaux sur les effets sur la faune et la flore non cibles ;

× Réduction de la production de mycotoxines.

- En outre, les aspects suivants doivent être approfondis ou étudiés :

× Caractérisation moléculaire et biochimique ;

× Méthodologie des études toxicologiques et écotoxicologiques ;

× Dispositif de surveillance épidémiologique ;

× Dispositif de surveillance biologique ;

× Analyse économique au niveau des exploitations et des filières et prise en charge des externalités.

- Ces faits et questions représentent des interrogations quant aux conséquences environnementales, sanitaires et économiques possibles de la culture et de la commercialisation du MON 810.


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