Une campagne publicitaire outrancièrement partisane du « Monde »

par Paul Villach
vendredi 25 janvier 2008

Le journal Le Monde vient d’avoir la riche idée de rendre accessibles les grands philosophes en parrainant une réédition de leurs œuvres : « (Ils) n’ont jamais été autant d’actualité », clament des placards publicitaires à l’intérieur du quotidien. On ne va pas s’en plaindre. En revanche, ce sont les placards eux-mêmes qui sidèrent.


Une provocation ouverte

Mais c’est fait exprès, se moquera-t-on, il s’agit de capter l’attention ! Pour sûr, c’est réussi ! Il est difficile de résister au leurre de la provocation ouverte.

Pour vanter un premier volume de Platon, le journal vient de publier les 24 et 25 janvier 2008 deux pages obéissant à la même composition : dans la moitié inférieure de la page, un volume de Platon devant une rangée de livres ; dans la moitié supérieure, une photo et une légende jetées dans un négligé-apprêté à l’oblique plus que disposées l’une sur l’autre.

- L’une des deux photos représente le président Sarkozy souriant, saisi en instantané - ou prétendu tel - dans la marche forcée et décidée qu’on lui connaît, veste ouverte, emporté par le balancier de ses bras. La légende inscrite au bas d’un agenda est de Leibniz : « L’homme doit agir le plus possible car il doit exister le plus possible ».

- L’autre photo est celle du premier rang d’un meeting socialiste où sont assis aussi souriants, l’un à côté de l’autre - dans un autre instantané ou prétendu tel -, DSK, F. Hollande, S. Royal et L. Fabius qui, seul, fait la grimace. La légende sur un même agenda est extraite, cette fois, de Pascal : « Si les hommes savaient ce qu’ils disent les uns des autres, il n’y aurait pas quatre amis dans le monde ». L’allusion est transparente.

Ainsi dans un contraste saisissant, les deux forces principales de la vie politique française sont campées : d’un côté un président dont est salué le goût de l’action et de l’existence, de l’autre les leaders socialistes et leurs déchirements.

Une partialité outrancière

On pourrait n’y trouver rien à redire et sourire à l’humour qui conduit ainsi à illustrer par des images d’aujourd’hui des aphorismes pertinents de vieux philosophes dont l’inculture ambiante croit, parce qu’elle les ignore, que leur réflexion n’intéresse plus notre époque. Mais l’outrance de la partialité fait qu’on passe outre et qu’elle déclenche un réflexe d’indignation.

- Il est évident d’abord que le président Sarkozy est présenté de façon hagiographique. La photo choisie le montre détendu, en marche forcée à la tête d’un cortège qu’il entraîne : elle se présente comme le symbole flatteur de l’homme d’action. L’aphorisme de Leibniz n’est qu’un commentaire élogieux qui explique et justifie la conduite du président conquérant : exister, c’est agir et inversement !

- Il est non moins patent que la brochette des quatre leaders socialistes est caricaturée méchamment. La photo en livre d’abord une image négative par seul contraste avec celle du président. Ils sont assis, avec tout ce que comporte de symbole de conservatisme et d’épuisement d’idées cette posture d’inaction. Leur sourire devient celui de la fate autosatisfaction. L. Fabius, lui, offre la mine hagarde de celui qui est un peu perdu.

Le plus grave tient à la signification que l’aphorisme de Pascal donne à la photo. Tout le monde sait que ces quatre personnalités ne se sont pas ménagées pour le leadership du Parti socialiste. Le commentaire choisi, ici, ne vise pas l’éloge, comme celui réservé au président, mais le dénigrement : en d’autres termes, elle oriente le sens de la métonymie qui les montre réunis côte à côte, en renvoyant à leur hypocrisie par le souvenir qu’on garde de leurs déchirements et de leurs divisions.

Un contraste inhibiteur

Ce contraste violent entre les deux forces politiques tend même à inhiber toute réflexion, ce qui n’est pas très philosophique. Est ainsi oblitérée la célébration simpliste de l’action par Leibniz. Il est difficile, en effet, d’y souscrire, tant cette définition de l’existence, mise hors contexte, est contestable. L’image du président pourrait être retournée : cette marche déhanchée qui tire derrière elle une troupe de suiveurs, ne peut-elle pas symboliser, plutôt que l’action, l’agitation ?

L’existence n’est-elle pas aussi tout entière dans la nécessité de s’asseoir et de marquer une pause pour réfléchir avant d’agir. Descartes n’a-t-il pas estimé justement que « penser » est la preuve de l’existence de l’être humain. Quant à Pascal, n’a-t-il pas ajouté que «  Pensée fait la grandeur de l’homme » ?
Mais on concédera, volontiers, qu’un autre penseur, Zinedine Zidane, dans une publicité pour le constructeur automobile Ford, s’inscrivait en faux contre ces vieux chnoques, en 2001 : « L’important n’est pas ce que l’on dit, mais ce que l’on fait »... et ce que l’on gagne, aurait-il pu ajouter.

Dans ce cas, Le Monde a le mérite d’afficher la couleur en acceptant de faire la promotion des philosophes d’une manière aussi partisane. On savait que le président de son "Comité de surveillance" était gagné aux idées du président et à celles de ses amis industriels. Mais, sauf erreur, le journal n’avait pas jusqu’ici proclamé aussi ouvertement le même attachement et une telle aversion correspondante. C’est à ces occasions que l’on peut mesurer qu’"un journal dit d’information" est en fait "un journal d’opinion" qui se cache. Que Le Monde renonce à ces coquetteries et n’hésite plus à faire état de ses préférences est un progrès qu’il faut saluer.

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