Ben Laden, les ratés d’une traque, ou Tintin en Afghanistan

par Eric-nicolier
mercredi 29 novembre 2006

J’ai assisté hier soir à l’avant-première du film « Ben Laden, les ratés d’une traque » : un reportage d’un peu moins d’une heure qui devrait être diffusé dans les prochains mois sur une chaîne généraliste française.

Un document remarquable sur de nombreux points. Sur le fond rien à dire, bien au contraire. Une question fondamentale est posée : pourquoi n’a-t-on toujours pas arrêté Ben Laden ? Une question simple en apparence, mais sûrement pas simpliste. Les embryons de réponse développés dans le film par ses deux auteurs, Emanuel Razavi et Eric Lavarène, méritent notre intérêt. On peut même espérer que ce film soit le prétexte à l’approfondissement de cette question - par les auteurs eux-mêmes ou par d’autres - tant il est vrai aussi que ce type de format (une heure) ne permet pas tout à fait d’étancher notre soif de curiosité.

Et si finalement l’intérêt des Etats-Unis était que cette traque se prolonge le plus longtemps possible ? Mais je n’en dirai pas plus. Je vous invite plus simplement à guetter la diffusion de ce film à la télévision.

Plus haut j’évoquais le fond. La forme aussi répond aux attentes. Les auteurs sont parvenus à ménager un suspens tout au long du film sans pour autant tomber dans les travers de nombreux reportages diffusés de nos jours. Vous savez, ceux qui nous abreuvent d’effets et de musiques dignes d’un film noir, histoire de motiver une attention que les diffuseurs des chaînes de télévision supposent a priori volatile et inconstante.

Au-delà des questions posées par le film, le débat qui a suivi était de très bon niveau. La présence d’Asim Naïm (spécialiste de l’Afghanistan) et des producteurs (en particulier Jérome Deliry) n’y est sans doute pas étrangère.

Emmanuel Razavi n’a pas quarante ans. Il est jeune sans pour autant être un débutant. Bref, il s’engage dans cette période si passionnante de la vie où la passion reste vivace, tout en pouvant s’appuyer sur la raison que confère - heureusement - l’expérience.

L’une des qualités - à mon avis - d’Emmanuel est de savoir aborder des sujets graves et complexes, sur la base d’une documentation et d’une réflexion solides et approfondies, tout en ne reniant rien de son âme d’enfant. Que l’on s’entende bien sur ce caractère que je lui prête, qui n’a rien de péjoratif sous ma plume, au contraire. L’adulte qui sait conserver l’émerveillement de l’enfant face au monde, sa soif de curiosité et son envie de connaître, et ceci sans a priori, cet adulte a sans aucun doute compris l’essentiel de ce qu’est l’essence de la vie. Mais je m’égare, revenons à cette soirée.

Pour Emmanuel, le journaliste - en particulier le reporter de guerre - est surtout un raconteur d’histoire. Est-il plus beau métier que celui de raconteur d’histoire ?

A une question posée dans la salle sur la difficulté d’exercer ce métier, Emmanuel Razavi a expliqué que le problème aujourd’hui, au-delà des nécessaires moments de tension rencontrés ici ou là en reportage, c’est de trouver des interlocuteurs de confiance sur le terrain : interprètes, informateurs, etc. Et dans ce domaine, force est de constater qu’il ne sait jamais s’il doit faire confiance.

On veut bien le croire. Le métier de journaliste a beaucoup évolué depuis la fin de la Guerre froide. Tout se passait alors comme s’il y avait d’un côté les "bons" et de l’autre "les méchants". Dans un monde bipolaire, il est évidemment plus aisé de connaître l’autre que dans une époque multipolaire et troublée comme la nôtre. Que dire alors d’une région du monde comme l’Afghanistan et le Pakistan, ou les intérêts vitaux des grandes puissances s’entrechoquent avec ceux de ces pays qu’une large part du conflit dépasse totalement ?

Emmanuel Razavi s’est un peu comparé à Tintin dans les premières secondes qui ont suivi la projection. Qu’il conserve son âme de Tintin encore longtemps.

Une note moins légère toutefois. J’ai été surpris d’entendre une question sur le 11 septembre de la part d’un spectateur qui évoquait l’idée que "certaines zones d’ombres" planaient encore sur ces événements. Ces zones d’ombres étant pour lui l’absence de preuve sur le crash sur l’immeuble du Pentagone de l’un des avions détournés par les pirates de l’air d’Al-Qaida. On pouvait penser que les multiples mises au point, à la suite de la publication, et surtout de la médiatisation, diablement bien orchestrée à l’époque, du livre de Thierry Meyssan, L’effroyable imposture, avaient fait un sort à ce magma de bêtises (comment appeler autrement les idées exprimées dans ce livre). Eh bien non, plusieurs années après, le doute demeure dans quelques esprits. Une preuve supplémentaire, s’il était besoin, que la rumeur laisse toujours des traces, même parmi les plus intelligents de nos concitoyens. Les théories du complot ont encore de l’avenir.

Pour conclure, surveillez bien la diffusion de ce reportage sur vos programmes de télévision. Il serait malheureusement étonnant - mais sait-on jamais, avec un peu de chance - qu’il soit diffusé en première partie de soirée (en prime time comme l’on dit si horriblement de nos jours). Bref, à ne manquer sous aucun prétexte !


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