De toute façon tu ne peux pas comprendre, tu habites à Vincennes

par mel
vendredi 27 avril 2007

« De toute façon tu ne peux pas comprendre, tu habites à Vincennes , mais attention hein, ne le prends pas mal ce n’est pas méchant ». Voilà ce que je me suis entendu répondre par une amie lorsque j’ai essayé de débattre avec elle du danger que représentait pour moi le candidat à l’élection présidentielle de notre pays, M. Nicolas Sarkozy.

Sur le coup effectivement, malgré le « ne le prends pas mal » je ne l’ai pas très bien pris. Pourquoi je ne pourrais pas comprendre ? Qu’est-ce qui me rend différente de ma tante au point que je ne puisse pas comprendre ce qui se passe dans notre pays ? J’ai eu bien sûr droit au couplet justifiant qu’elle travaille à la mairie de Champigny/Marne, qu’elle voit passer tous les jours les Noirs et les Arabes qui profitent des allocs, une autre amie renchérissant qu’elle prend les RER D tous les jours et moi non.

Bon, ok, je n’habite pas en banlieue, ok, je ne suis pas confrontée tous les jours aux problèmes des gens qui y vivent et qui subissent les diverses épreuves quotidiennes, mais oui à 100% je reconnais que la vie en banlieue n’est pas facile, beaucoup plus dure que pour moi, bien sûr, je ne dirai jamais le contraire.

Et pourtant, petite remontée dans le temps, j’ai commencé à travailler en 2003 à 21 ans, avec un bac + 2, en librairie. Payée le SMIC de l’époque soit 853 euros net, un loyer de 430 euros pour un 20m2, 167 euros d’aides au logement et bien sûr les factures à payer. A l’époque je jonglais tous les mois avec mes 500 euros de découvert autorisé (que j’atteignais tous les mois, parfois avec la peur au ventre de me retrouver en interdit bancaire) pour pouvoir m’en sortir (mes parents me donnant 100 euros par ci par là quand c’était vraiment dur dur). Donc, bon, j’ai quand même l’impression de pouvoir comprendre un minimum ce que c’est de vivre avec vraiment pas grand-chose.

Mais continuons, quatre ans plus tard, j’ai désormais 25 ans, je touche 1 200 euros net par mois, mes parents continuent à me donner de l’argent car ce n’est toujours pas assez pour s’en sortir, ma seule victoire sur ces quatre années a été de ne plus me retrouver à découvert tous les mois, et de vivre effectivement à Vincennes mais il faut préciser que c’est par chance, parce que j’ai rencontré quelqu’un dont les parents ont de l’argent et qu’ils lui ont acheté un appart. Moi toute seule avec mon salaire (et même avec mon ami, lui touchant 1000 euros par mois), je sais justement que je n’aurais pas les moyens de vivre dans cette ville, je vivrais en banlieue justement (avant de rencontrer mon ami je vivais en colocation dans le 78 à Houilles).

Alors je pose la question car j’en ai sincèrement assez qu’on empêche ceux qui galèrent aussi de s’exprimer juste parce qu’ils ne sont pas confrontés aux problèmes de la banlieue dans leur quotidien. Et alors ? La France entière se résume-t-elle à ses banlieues et à ceux qui y vivent ? N’y a-t- il pas d’autres injustices en France que ceux qui font peur aux mamies et qui profitent du système social ? N’y a t-il pas d’autres peurs quotidiennes que celles de se faire taper dessus par une « racaille » ?

Moi j’en vois beaucoup d’autres, qui n’ont rien à voir avec les cités, j’ai galéré tout autant qu’un autre et pourtant j’ai toujours vécu dans un milieu sécurisé. Quand j’entends tous les jours sortir des nouvelles magouilles politiques, financières, des patrons qui licencient alors qu’il se barrent avec des gros chèques, quand je vois des caissières faire la gueule au supermarché parce qu’elles sont payées une misère pour se faire engueuler toutes la journée par des clients insatisfaits alors que leur groupe fait des bénéfices hallucinants, quand, moi-même, mes divers patrons successifs m’ont regardé d’un œil bienveillant faire gracieusement des heures supplémentaires sans jamais me les payer et sans jamais m’augmenter parce qu’après tout je devrais déjà m’estimer heureuse d’avoir du travail, quand j’apprends que les députés s’augmentent de leur propre chef, moi aussi j’aimerais pouvoir le faire !

Alors oui je ne suis pas confrontée aux problèmes des banlieues, et c’est peut-être ce qui me permet de lever un peu les yeux de mon nombril et de me rendre compte que les problèmes de la France sont pareils partout pour tout le monde, que ce soit en ville, à la campagne, en banlieue, et que ça n’a rien à voir avec un certaine partie de la population qui n’est pas aussi docile qu’on le voudrait et qui ne ferme pas autant sa bouche qu’on le voudrait.

Et c’est justement ça qui lui porte préjudice car elle exprime par la violence son ras-le-bol d’une société qui lui demande des comptes sans arrêt sans jamais rien lui donner en retour.

Je ne pense pas qu’on aidera la France si on continue à fermer les yeux sur la corruption de notre Etat, si on continue à faire confiance à des hommes qui nous manipulent, nous mentent dans leur propre intérêt financier et dans l’intérêt de leurs amis industriels.

Je ne pense pas qu’on aidera la France en creusant encore plus l’écart entre les riches et les pauvres car cela veut dire que des gens comme moi qui ne sont pas pauvres mais pas riches non plus risquent plus facilement de pencher du côté de la pauvreté que l’inverse (on devient plus facilement pauvre que riche).

Je ne pense pas qu’on aidera la France en demandant à des jeunes comme moi de travailler plus, car cela fait quatre ans que je travaille et que je suis au 35 heures, et je peux vous dire que je n’ai jamais fait une semaine de 35 heures ; j’ai toujours plutôt fait du 40/45 heures par semaine sans contrepartie financière.

Je ne pense pas non plus qu’on aidera la France en continuant à museler sa presse et en rendant sa justice encore plus dépendante de l’Etat qu’elle ne l’est déjà car une justice dépendante ne peut justement plus être juste.

Je ne pense pas qu’on aidera la France en construisant des prisons au lieu de construire des écoles.

Je ne pense pas qu’on aidera la France en la réduisant à une portion de ce qu’elle est peut-être en partie mais à cause d’un gouvernement qui n’a rien fait pour enrayer ce processus de gangrène de notre pays, que ce soit la droite ou la gauche c’est idem, on le dit assez souvent d’ailleurs, rien ne change jamais et tout empire car nos politiques depuis des années et des années s’attaquent aux conséquences de nos problèmes quotidiens mais jamais aux causes.

Et pourquoi ne s’attaquent-il pas aux causes ? Parce qu’il leur faudrait reconnaître un échec qu’il ne veulent pas admettre, parce qu’il est plus facile de dire aux Français qu’il faut qu’ils fassent encore plus d’efforts en se serrant encore plus la ceinture et en abandonnant encore plus de privilèges qu’ils ont durement acquis plutôt que de reconnaître que leur manière de gérer notre pays est mauvaise, qu’elle pue le fric détourné et mal utilisé et que leur propres intérêts personnels passent bien avant l’intérêt public.

Alors on préfère trouver un parfait bouc émissaire qu’on provoque pour nous donner raison aux yeux du public, et plus le bouc émissaire fait du bruit et se fait remarquer, plus on peut dire : « Moi je vais vous aider car moi j’ai la solution ».

Sauf que les Français ne se rendent pas compte qu’ils se trompent de coupable et que justement ils vont repartir pour de longues années de galère en restant dans ce système ; il ne se rendent pas compte que celui qui se pose comme le messie n’est pas la solution mais le problème.

Alors j’ai peur pour mon pays, j’ai peur de me réveiller dans quelques jours en sachant que j’aurai perdu quelque chose que je ne retrouverai pas ; j’aurais perdu la France de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, au profit d’une France de la « discrimination positive », j’aurai perdu la France des droits de l’homme au profit d’une France qui dit : « Si tu ne m’aimes pas rentre chez toi ! » au gens qui viennent la supplier de leur laisser une chance de ne pas mourir chez eux ; j’aurai perdu la France de Hugo, Zola et Voltaire au profit d’une France qui ne laisse même plus ses journalistes dire ce qui ne va pas chez elle ; j’aurai perdu la France tout simplement ; il n’y aura plus d’idéal pour mon pays si ce n’est de se lever tôt le matin pour gagner plus comme un bon petit mouton.

Il ne me restera alors plus qu’à pleurer mon pays, pleurer mon Histoire et surtout pleurer pour tous ceux qui viendront après moi et ne connaîtront pas cette France qui a pourtant tant de choses à apporter.

Car si tout le monde levait un peu le nez de son nombril, il pourrait se rendre compte à quel point la France est un beau pays et à quel point les Français ont de la chance d’y vivre, comparé à l’ensemble de l’humanité.

Nous qui râlons constamment, regardons un peu autour de nous, prenons un peu de recul par rapport à la frénésie actuelle des événements, réfléchissons vraiment à ce que nous voulons non pas là maintenant tout de suite, juste parce que celui qui parle le plus fort semble avoir raison, mais dans un an, dix ans, cinquante ans, que voulons-nous léguer, quelle trace voulons-nous laisser dans l’histoire ? Car nous sommes éphémères, n’oublions pas que d’autres se sont battus avant nous pour ce pays et que d’autres nous suivront ; voulons-nous vraiment renier ce qu’est la France ?


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