Friedman et Pinochet

par Michel Monette
vendredi 15 décembre 2006

Les deux hommes auront, chacun à sa façon, marqué le XXe siècle ; ils sont morts à la fin de 2006. Beaucoup a été dit après la disparition paisible du dictateur Pinochet dont le procès pour meurtres, tant souhaité, n’aura pas lieu. Un autre procès risque aussi d’avorter : celui de la collaboration entre les Chicago boys et la junte militaire chilienne. Ceux-ci n’ont pas hésité un seul instant quand le régime Pinochet leur a offert un laboratoire dans lequel tester leurs idées.

Friedman a visité le Chili de Pinochet en 1975, deux ans après le coup d’État sanglant que l’on connaît. Oh, il n’a pas fait grand-chose : à peine quelques conférences.

Par la suite, peut-on apprendre sur Wikipedia, plusieurs professeurs de l’Université de Chicago sont devenus conseillers économiques de la junte militaire. Le sang des assassinés avait à peine séché quand ont eu lieu les premières implantations des politiques néolibérales.

La ligne de défense de Friedman : les politiques de libre marché, suivies par le régime militaire, auraient conduit à la transition vers un gouvernement démocratique en 1990 ! Les militaires chiliens auraient donc, en assassinant Allende et des milliers de Chiliens, pavé la voie vers la liberté économique puis vers la démocratie.

Pardonnez mon insolence, Monsieur Friedman, mais Allende n’avait pas été élu démocratiquement ?

C’est à Friedman que l’on doit l’expression le miracle du Chili. Un miracle dont on continue encore aujourd’hui à payer les effets. Le libéralisme économique a donné lieu à une formidable poussée de la concentration de la richesse.

Mais cela est une autre histoire, illustrée par les derniers chiffres dans mon pays, le Canada (L’écart entre les riches et les pauvres s’est élargi). Les riches concentrent de plus en plus la richesse entre leurs mains.

Pour Friedman, le véritable miracle du Chili n’était pas économique, mais politique. Le plus extraordinaire dans le cas du Chili, a-t-il dit, c’est que des militaires aient suivi le contraire de ce à quoi l’on se serait attendu de leur part.

Friedman trouvait aussi merveilleux le fait que le Chili soit le premier endroit où un régime penchant vers le communisme ait été remplacé par un régime penchant vers l’économie de marché.

Combie de morts, déjà ? Environ 3000. Ah, bon.

Le paradoxe du Chili n’est pas ce que croyait Friedman. Le paradoxe, c’est celui d’une économie dont la croissance, indéniable, s’est accompagnée d’un non moins indéniable accroissement des inégalités sociales.

Plus de 40% des Chiliens étaient pauvres en 1990 quand Pinochet a laissé le pouvoir politique. Les plus riches, pendant ce temps, avaient gagné 10% de richesse. Le régime actuel doit encore corriger les devoirs des Chicago boys.

Mais c’est là le paradoxe de toute l’oeuvre de Friedman.

Sa conférence de 1975 était intitulée : « The Fragility of Freedom ». Dire qu’il s’est par la suite étonné que l’on se soit offusqué de la caution qu’il venait de donner au régime chilien !

On raconte que Miss Maggie a versé une larme quand elle a appris la mort d’Augusto.

Pinochet, pour sa part, a dû avoir une pensée en novembre pour l’oeil de l’ouragan qui l’a précédé de si peu dans la mort.

Ultime ironie : les deux sont morts à la suite d’un infarctus.. Non, je n’ajouterai pas qu’il y a longtemps que leur coeur avait flanché.


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