« Il faut que les Français en aient pour leur argent », « Abbé Pierre, mort du fondateur d’Emmaüs »

par Pelletier Jean
vendredi 26 janvier 2007

C’est ainsi que le journal Le Monde en date du mardi 23 janvier titre sur deux colonnes l’interview donné par le candidat UMP à l’élection présidentielle Nicolas Sarkozy. A côté du même article en deux colonnes se trouvait la photo de l’abbé Pierre, décédé, auquel le journal rendait un vibrant hommage.

Je suis surpris du manque de réaction à la fois sur le fond des éléments apportés au débat et sur la forme que revêt un tel chapeau d’articles.

Quelle triste contradiction : à un homme qui a consacré toute sa vie aux plus déshérités, on oppose un slogan mercantile, consumériste à souhait.

Décidément, Nicolas Sarkozy ne se gêne plus pour afficher son cynisme. On s’apitoie sur la disparition du plus populaire des Français, mais sans doute apprécie-t-on mieux l’Abbé mort que vivant quand il réclamait incessamment des lois en faveur des plus pauvres. Il a été le « plus politique » des combattants pour la justice sociale.

Il était le pèlerin des sans-droit, combattant pour la dignité, a déclaré Mgr Stanislas Lalanne, secrétaire général de la Conférence des évêques, qui a sans doute oublié que le même père abbé était pour le mariage des prêtres, favorable à la contraception et au préservatif, et compréhensif à l’égard des homosexuels, ayant lui-même avoué un penchant pour un jeune garçon de quinze ans à un moment de sa vie, et se reconnaissant des aventures féminines.

Cette sincérité, et ce pragmatisme, associés à un dévouement sans faille consacré aux plus pauvres fondent la popularité de l’abbé Pierre.

Il faut que les Français en aient pour leur argent ! Reprenons la vindicte sarkozienne. Il propose de réduire de quatre points les prélèvements obligatoires pour rendre 68 milliards d’euros aux Français... et de l’autre côté de l’article (sous la photographie de l’abbé Pierre), il est rappelé que « son inlassable action au service des sans-logis, ses coups de gueule contre la passivité ou les égoïsmes des nantis lui ont assuré un respect et une popularité qui n’ont jamais cessé. »

Eh bien, espérons que les Français s’en souviendront et qu’ils ne répondront pas favorablement à l’incantation financiarisée du candidat de l’UMP qui en appelle à réduire le rôle redistributif de l’Etat par l’impôt.

Car si à ce niveau de prélèvement, l’Etat et les collectivités locales n’ont pas été en mesure de garantir plus de justice sociale et d’équité, de trouver des programmes d’urgence pour les situations les plus difficiles, ce n’est pas en coupant sauvagement dans le budget de l’Etat qu’on répondra aux appels d’outre-tombe de l’abbé Pierre, encensé par le chef de l’Etat : « Avec cette disparition, c’est toute la France qui est touchée au cœur ». En écho, son représentant aux élections présidentielles (jusqu’à nouvel ordre) répond « porte-monnaie ».

L’Assemblée nationale, gouvernée par une majorité UMP, s’apprête à voter un projet de loi instaurant « un droit opposable au logement » ; où sont les crédits qui financeront la construction des logements sociaux qui manquent cruellement à ce jour ? Ce tour-là est-il un tour de passe-passe de plus ? C’est avec 68 milliards d’euros en moins que l’aspirant à la plus haute fonction de l’Etat va donner une cohérence économique à ce nouveau droit social ?

Votez pour moi, et je vous distribuerai « 2000 euros par foyer et par an, y compris les retraités, et 4900 euros par foyer si l’on s’en tient à la France qui travaille ».

Quant aux exclus du monde du travail, les plus de cinquante ans dont les entreprises ne veulent plus (ce sont les femmes dans cette catégorie qui sont le plus concernées), les fins de droits acculés à la rue... ils pourront errer dans les rues, ce n’est pas le candidat Sarkozy qui fera d’eux sa priorité. « Le travail crée le travail, il faut donc récompenser le travail. »

Plus loin il déclare encore : « Nous ne voulons pas consacrer 5 milliards d’euros aux pré-retraites... Les 23 milliards de la formation professionnelle constituent un gisement de productivité considérable... Je fais mien l’objectif de ne pas remplacer le départ à la retraite d’un fonctionnaire sur deux... ». Si on supprime l’aide, les dispositifs de soutien aux plus de cinquante ans et cinquante-cinq ans jetés à la rue par le patronat... que deviendront-ils ? Si l’on sape le dispositif de la formation professionnelle, comment pourrons-nous accompagner les travailleurs en difficulté ?

La méthode Sarkozy, c’est l’essorage absolu des finances publiques, il assume pleinement l’héritage des idées ultralibérales de Reagan et de Margaret Thatcher... Les Anglais connaissent encore aujourd’hui le prix qu’ils ont à payer en matière de santé publique, d’éducation, d’emploi et de transport, de cette idéologie radicale et simplificatrice qui, finalement, ne bénéficie qu’aux groupes capitalistiques les plus puissants.

Est-ce cela qu’on souhaite pour la France ? Est-ce ainsi qu’on prendra en considération l’œuvre de l’abbé Pierre ?

Plus que jamais le rôle de l’Etat est déterminant pour rééquilibrer les injustices dues aux lois du marché et de la mondialisation.

Et pour intervenir équitablement et durablement, l’Etat a besoin de financements. Alors que la dette publique n’a pas cessé d’enfler sous la responsabilité des gouvernements de droite comme de gauche, il n’est pas question de tenter de la réduire, tout en diminuant drastiquement, comme le propose le candidat UMP, les prélèvements obligatoires de quatre points.

Ce discours est irresponsable économiquement, et d’un populisme dont on espérait être préservé au cours de cette campagne, du moins de la part des candidats aspirant au second tour.


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