J’ai vu Ségolène Royal sur TF1

par Lucien-Samir Arezki Oulahbib
mardi 20 février 2007

Ségolène Royal brasse du vent, mais il est franco-français : retraite, handicap, monoparentalité, nouvel indice des prix, mal entendant (et non pas sourd), hôpitaux psychiatriques, et là on pleure, mais alors, vraiment ! Comme devant ces vieux mélo. qui font toujours cet effet... Car, pourquoi n’a-t-on rien fait depuis la fameuse « fracture sociale » et même avant avec le « changer la vie » ? Pourquoi en sommes-nous là encore ? (Et il y a toujours des tentes le long du Canal Saint-Martin...). Ségolène promet des augmentations, des rampes d’escalier, des luttes contre les discriminations, elle trouve par exemple « bizarre » que dans certaines salles il n’y ait « que des hommes » (à quoi fait-elle allusion ? S’est-elle retrouvée par hasard dans une mosquée ?). Et puis trois questions en rafale sur le Smic à 1500 euros bruts : qui va payer ? Nul le sait ! Mais si : la modulation ? Qu’est-ce ? Le gagnant-gagnant, mais encore ? Vous innovez, on vous réduit vos charges, on vous aide... Pendant ce temps 200 000 jeunes vont aux USA, reconnaît Ségolène... Curieux... N’est-ce pas s’engouffrer tout droit dans la gueule de l’enfer néolibéral ?

Ségolène Royal brasse alors encore plus de vent : je vais, je veux... mais reste évasive sur le "comment on fait", dirait Alexandre Jardin... Une question la sauve : faut-il taxer les robots ? Elle répond, mais de biais : taxons plus le capital que le travail ! Du bon sens, dit-elle, mais qu’est-ce à dire ? Comment "allons-nous payer les avancées sociales ", demande-t-elle ; par la relance économique. Mais si on taxe plus le capital que le travail, comment faire de la relance en termes d’offres, car cela implique de la recherche-développement qu’il faudra bien payer... Avec quoi, si les bénéfices sont taxés ? Modulation, modulation, répond Ségolène. Qu’est-ce à dire ?

Tout d’abord, lorsque Ségolène Royal parle de relance, elle pense à la consommation en réalité, en disant : "J’augmente les bas salaires." Mais qui est ce "je" ? Est-elle à la tête de toutes les entreprises, et peut-on ainsi décréter la relance ? Et puis, ajoute-t-elle, il faut que les entreprises n’aient pas peur d’embaucher... Mais comment faire si le Smic augmente (sur cinq ans), écrasant les autres bas salaires et augmentant dans le même temps les charges ? Et que signifie le fait de proposer que le capital soit plus taxé ? Ségolène sort à nouveau son idée de "modulation" : aider les entreprises qui innovent. Mais qui va trier, demande une participante. Redéployons les aides, répond Ségolène. Est-ce à dire qu’actuellement ces sommes sont distribuées n’importe comment ? Dix mille micro-entreprises créées dans le Poitou-Charente parce que nous avons su moduler les aides et aussi les impôts...

Ségolène veut ainsi être la "présidente de la République de la France qui entreprend". Deux femmes entrepreneuses disent justement qu’elles ne peuvent pas embaucher, qu’elles ne peuvent pas augmenter leurs salariés : va-t-elle diminuer dans ce cas les charges ou les exonérer ? Royal parle encore de sa modulation : si vous augmentez votre masse salariale, alors on vous aidera ; mais elle répond à côté : d’une part, parce que s’il y a décalage dans le temps, l’entreprise peut être mise en difficulté ; en effet, si l’entreprise augmente sa masse salariale, toutes les instances chargées de récupérer les charges vont immédiatement se ruer sur l’entreprise en question, et, d’autre part, le problème est-il vraiment là ? Car ces deux entrepreneuses n’ont pas dit cela, elles ne veulent pas d’argent, elles veulent augmenter leurs salariés et embaucher en ne grevant pas leurs comptes. Nos deux femmes entrepreneuses en seront en réalité pour leurs frais, on ne leur diminuera leurs charges que si elles augmentent leur masse salariale, alors que la solution serait de rendre la liberté aux salariés en leur confiant tout le salaire brut moins une part pour soulager l’entreprise ; on pourrait également permettre la concurrence ; évidemment, Ségolène n’en parle pas, mais fredonne toujours en modulation de fréquence : on va étudier votre cas et daigner vous redonner l’écu que l’on vous a obligatoirement prélevé : mais, encore une fois, ce n’est pas cela le problème... Il ne s’agit pas de donner, d’assister, mais de laisser agir, tout en faisant en sorte que la solidarité se constitue pour les plus démunis.

Peine perdue, il ne faut pas trop en demander, donc une question la sauve, celle des produits français à défendre par une taxe, demande une participante qui n’a pas vraiment le look FN pourtant... Dommage, la réponse est évasive, européenne...

Clichy-sous-Bois, les émeutes... On bascule brusquement au détour d’un tournant théorique dans le vécu des "lieubans" ; Ségolène Royal : "respect" ! elle a bien appris, et puis elle entame le couplet obligé sur les discriminations ; mais comment ? Comment amener, ramener à l’emploi lorsque le meug de coke est à cent euros et que l’on en a fourgué dix et touché 20% soit deux cents euros jour ? Motus et bouche cousue...

Aide au développement... dans les pays exportateurs de misère sociale. Certes. Comment ? " Il n’y a pas de maison équipée en énergie solaire au Sénégal ", donc il faut en construire. Est-ce suffisant comme réponse ? Et qu’a donc fait Jacques Chirac, ami de l’Afrique et grand pourfendeur du réchauffement climatique ? Ségolène fonce : il faut faire ces maisons, cela fournira de l’emploi, etc.

Et les sans-papiers, les banlieues à nouveau ? La délinquance ? Ségolène Royal veut "l’ordre juste". Mais encore ? Elle sort la théorie de la vitre cassée à remplacer immédiatement : méthode vieille de vingt ans et qui a permis en effet de restaurer le calme aux USA, mais de là à dire que c’est made in Sego et que cela peut marcher en France, (parce qu’il faut bien autre chose), non, évidemment...

Internat de proximité, encadrement militaire, régularisation des sans-papiers au cas par cas, il faut que les gens "soient heureux dans leurs pays" : elle parle comme Sarkozy, JMLP, Villiers, mais évidemment eux ont tout faux et elle a juste, puisque c’est l’ordre juste : cercle vertueux ? Ségolène parle beaucoup de lui depuis le début d’ailleurs : il suffit de vouloir... je veutte alors je peutt, dit toujours l’actuel locataire du logement social élyséen (encore trois ans et il aurait pu en être propriétaire puisque Ségolène vient de dire qu’un locataire de quinze ans peut devenir propriétaire...).

Nouvelle bourde ? Sur les prisons françaises, elle dit que celles-ci sont "presque les plus pires au niveau planétaire"... "Presque" ? Compte-t-elle dans les "pires" les prisons chinoises ?

Les OGM arrivent... Le réchauffement climatique (réduire par quatre les gaz à effet de serre) : comment ? Taxer le fret routier ? Ségolène évite la question et répond qu’elle avait été "visionnaire" il y a plus de "dix ans" en matière d’éco-économie... Cocorico... Donc les sept piliers signés avec Hulot, comme baisser la fiscalité pour les éco-activités (isolation). Quant à l’agriculture, il faut une logique gagnant-gagnant, toutes les agricultures doivent s’y mettre, et donc là aussi, modulation : aider celles qui protègent le mieux l’environnement : biomasse, biocarburant, filière bois, nappes phréatiques, etc., les paysans comme gardiens... Moratoire sur les OGM en plein champ car ils peuvent altérer les productions d’appellation contrôlée. Mais ne pas les supprimer. Ne pas non plus condamner les faucheurs illégaux. A boire et à manger donc... Et les chasseurs auront le droit de discuter de la date d’ouverture (ce qui implique une renégociation européenne avec une administration affiliée quasiment à Greenpeace, autrement dit rien ne se fera...).

540 euros d’allocation rentrée scolaire sous condition de ressources : relancer le pouvoir d’achat ; soutien scolaire ; formation par alternance, apprentissage... La routine quantitative du toujours plus censée résoudre les problèmes...

Retour sur la délinquance et les attaques aux personnes qui ont augmenté de 80% en cinq ans : police de proximité à nouveau, le service public partout, "des petits délinquants de huit ans doivent être encadrés" ; mais la nuit ? Ouvrir le service public quand c’est nécessaire, donc supprimer un fonctionnaire sur quatre, comme le propose Sarko, est "impensable", dit-elle. Sauf que des entreprises privées peuvent remplir des tâches de services publics et sans doute mieux gérer... Évidemment Ségolène n’en parlera pas, ce qui est contradictoire avec son souci de réduire la dette et de ne pas aggraver les impôts, puisqu’une augmentation des tâches de service public avec plutôt des fonctionnaires devra bien être payé...

Mais alors ? Comment faire un Etat modeste ? Alors qu’elle en veut bien un, d’ Etat modeste, oui, modeste nous voilà ! C’est ce que répond Ségolène à un agriculteur qui traite tous les politiciens de "fumistes" (très applaudi) et elle le lui dit tout sourire en s’appuyant sur le fait qu’elle a supprimé coupes de champagne et petits fours dans sa région. Et puis finis les ministres "nourris et blanchis avec toute leur famille" : au pain sec ? Non, sur leurs propres deniers... A boire et à manger, là aussi...

Conclusion ?

Du pragmatisme, de la modulation de fréquence, (habillée à nouveau en blanche tunique, elle revient à ses fondamentaux, abandonne l’écharpe rose et le tailleur rouge) mais elle s’arrête au milieu du gué : maman-Etat veut savoir si l’on dépense bien l’argent qu’elle nous prend au fond des proches pour le distribuer selon la "modulation" : mais comme le disent les deux femmes entrepreneuses, elles ne veulent pas de cet argent, elles veulent qu’on les laisse tranquilles, tout en ne voulant pas apparaître égoïstes ou contre l’idée de protection sociale.

Ce point, central, n’a pas été creusé, (effleuré avec l’idée de sécurité sociale professionnelle), pas plus qu’avec Sarkozy d’ailleurs qui s’appuie plutôt sur la réforme du contrat de travail, ce qui fait peur évidemment...

En même temps, cela ne l’empêche pas d’avoir dix points d’avance sur Ségolène : oui, mais au second tour il perd contre Bayrou, et, cela, c’est nouveau ; ce qui veut dire que toute une frange de l’électorat des classes moyennes revient vers le centre gauche, puisque Bayrou occupe au fond la place des radicaux... Et, lundi 19 au matin, Bayrou sur RMC avait une idée intéressante en matière de caution immobilière : proposer une assurance à la place, tandis que Ségolène propose le public donc l’impôt ou la dette ; or, c’est bien cela qui ne semblait plus passer au soir du 19 : l’Etat, généreux avec l’argent des autres, ne peut plus jouer au grand seigneur en laissant croire que "l’Etat, c’est moi", que c’est son argent, la fête est finie, les illusions aussi, puisque les caisses sont vides, et, cela, les Français l’ont dit brusquement : dehors, les fumistes ! Pas mal, non, comme mot d’ordre venu du tréfonds ?


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