Je ne suis pas d’accord avec ce que tu dis...
par Voris : compte fermé
jeudi 4 janvier 2007
« Je déteste ce que tu dis mais je me ferais tuer pour que tu puisses toujours le dire. » Le débat citoyen, y compris sur AgoraVox, résonne encore de cette belle et généreuse idée attribuée à Voltaire. Pourtant ce dernier n’a pas la paternité de cette citation. Il n’a jamais écrit ces mots mais nous, les Français, fiers de notre siècle des Lumières et de nos idéaux des Droits de l’homme, aimons à le croire. C’est là un mythe que nous entretenons et que nous aimons voir resplendir comme la flamme de la statue la Liberté éclairant le monde.
On trouve des variantes de cette citation attribuée à tort à Voltaire : Je déteste ce que tu dis mais je me battrai pour que tu aies le droit de le dire, ou encore -sans le tutoiement révolutionnaire- : Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire.
Si Voltaire n’a jamais écrit cette devise, il en a exprimé la philosophie. En réalité, m’a-t-on dit, la citation apocryphe serait une extrapolation tirée de ses Questions sur l’Encyclopédie où il dit : J’aimais l’auteur du livre de l’Esprit (Helvétius). Cet homme valait mieux que tous ses ennemis ensemble ; mais je n’ai jamais approuvé ni les erreurs de son livre, ni les vérités triviales qu’il débite avec emphase. J’ai pris son parti hautement, quand des hommes absurdes l’ont condamné pour ces vérités mêmes.
Mais après tout, peu importe que Voltaire n’ait jamais prononcé cette parole. Tant mieux, même, si cette citation se trouve inscrite aux côtés des sentences et proverbes populaires, pourvu que nous en fassions notre viatique, notre emblème dans la conduite de l’expression démocratique de nos opinions.
La formule attribuée à Voltaire exprime deux grands principes défendus par ce philosophe : la liberté et la tolérance. La liberté étant un besoin, la tolérance une vertu, voici les deux faces d’une exigence démocratique dont devrait se réclamer tout citoyen qui aime à débattre dans le respect de l’autre.
Dans Questions sur les miracles, Voltaire défend la liberté d’expression et en particulier la liberté de la presse : Le droit de dire et d’imprimer ce que nous pensons est le droit de tout homme libre, dont on ne saurait le priver sans exercer la tyrannie la plus odieuse (...) Soutenons la liberté de la presse, c’est la base de toutes les autres libertés, c’est par là qu’on s’éclaire mutuellement. Chaque citoyen peut parler par écrit à la nation, et chaque lecteur examine à loisir, et sans passion, ce que ce compatriote lui dit par la voie de la presse. Nos cercles peuvent quelquefois être tumultueux : ce n’est que dans le recueillement du cabinet qu’on peut bien juger (...)
Nos cercles peuvent quelquefois être tumultueux, dit Voltaire, et je ne puis m’empêcher de penser aux débats souvent houleux qui ont cours sur AgoraVox. Voltaire précise sa pensée dans son Dictionnaire philosophique portatif : La discorde est le grand mal du genre humain, et la tolérance en est le seul remède.
La tolérance exige un effort sur soi, nécessite de faire violence à son amour-propre : apprendre à se battre pour permettre l’expression d’idées contraires aux siennes, c’est une gageure permanente. La chose n’est pas aisée, car comme le disait Gabriel Marcel, exister, c’est coexister ; L’enfer, c’est les autres, dit aussi Sartre. Et même Courteline : S’il fallait tolérer des autres tout ce qu’on se permet soi-même, la vie ne serait plus tenable. Pourtant, il faudrait savoir tolérer chez l’autre ce que l’on a toléré chez soi, et même davantage.
La tolérance est ce qui permet la liberté : un Etat tolérant garantit à chacun la possibilité de s’exprimer en toute sécurité. Même en cas d’excès, il garantit sa protection, ainsi qu’on l’a vu dans l’affaire Redecker, par exemple. Dans la société démocratique, la tolérance des uns conditionne la libre expression des autres. Selon le philosophe Emmanuel Lévinas, cette réciprocité ne serait pas posée : Je suis responsable d’autrui sans attendre la réciproque, dût-il m’en coûter la vie, et d’ajouter : La réciproque, c’est son affaire. Mais c’est aller très loin dans l’exigence envers soi-même, et peu de démocrates ont franchi le pas. La perspective de risquer jusqu’à sa propre vie, comme l’expriment ici Lévinas ou la citation attribuée à Voltaire, est assez effrayante.
Au moins, ne sombrons jamais dans l’intolérance qui correspond à "Je déteste ce que tu es". La tolérance démocratique s’arrête là où commencent la haine personnelle ou le fanatisme.
Pourtant, l’idée qu’il ne faudrait pas tolérer l’intolérance renferme une contradiction de taille. Tolérer l’intolérance, c’est trahir l’idéal démocratique en permettant sa transgression. Mais ne pas la tolérer, n’est-ce pas le trahir aussi en combattant un mal par le même mal ? Alors, quelle position tenir face au racisme plus ou moins affiché, à l’extrémisme politique, au fanatisme religieux ?
Aucune opinion ne devrait pouvoir échapper au champ de la critique qui repose sur la Raison au sens qu’on donnait au terme au siècle des Lumières, une critique qui respecte l’autre : rationnelle, et non personnelle. Le rôle de la critique comporte même une part d’altruisme : elle apporte des arguments qui permettent à l’autre de réexaminer ses propres opinions. Une saine critique en somme, pas l’injure ni l’attaque personnelle.
Sur ces bases-là, on peut évoquer tous les sujets : religion, politique... Bonne année à tous les démocrates d’AgoraVox !