La mémoire contre la raison

par Zéro pour cent de matière grise
mardi 17 octobre 2006

Lois mémorielles et progression de l’obscurantisme en France.

Revenons un instant sur le débat entre partisans et adversaires des lois mémorielles françaises, dont la première fut la loi Gayssot, et la dernière, la loi adoptée ces jours-ci, qui punit la "négation du génocide arménien". La pétition Liberté pour l’histoire réclame à juste titre l’abrogation de ces lois mémorielles. Lorsque la loi soustrait des pans entiers du passé à la libre interprétation, et même à la simple discussion, les historiens ont le devoir de protester. "La Shoah est inexplicable, elle est au-delà de la raison", vaticinait Elie Wiesel. S’il n’y a plus besoin d’explication du passé, il n’y a plus besoin d’historiens. L’histoire devient un chapelet de commémorations. L’émotion se substitue à la raison, et avec l’émotion, les anathèmes et les excommunications. Et finalement, les lois mémorielles préparent le retour de l’obscurantisme. Elles sont les instruments d’une censure qui ne dit pas son nom, d’une censure qui prétend se faire au nom de la justice. Celle des victimes. L’obscurantisme s’avance au nom du Bien. Le nouveau sens de l’histoire consisterait à substituer à l’antique et tragique Vae Victis un nouveau slogan, "Honneur aux victimes", plus moderne et plus optimiste. "Sublime, forcément sublime", aurait dit Duras. Mais réfléchissons... Et s’il s’agissait de conforter un peu plus les certitudes des vainqueurs en salissant pour toujours les vaincus ? Oh, comme vous y allez ! Ah ! Dieu, c’est vrai que l’histoire est compliquée !

C’est pourquoi il serait tout de même plus simple de tenir certains faits historiques pour établis, et de ne plus y revenir. Dans un ouvrage très controversé, L’industrie de l’holocauste, l’historien américain Norman Finkelstein a mis à nu certains ressorts du "Shoah business", un tissu de groupes de pression organisés et influents aux Etats-Unis. Peut-on réduire les revendications pour la reconnaissance des génocides à des jeux de pouvoir et d’influence ? La démonstration de Finkelstein est convaincante. Transposons en France : des groupes de pression existent, qui font pression. Il existe à l’évidence des jeux d’influence médiatique. En France comme aux Etats-Unis, le "génocide business" permet parfois de se faire un nom. Mais cette analyse exclut un facteur essentiel : la conviction des acteurs du "génocide business" d’être dans le vrai. Car la plupart de ceux qui militent pour la reconnaissance des génocides et contre le révisionnisme et le négationnisme sont des personnes très sincères. Les quelques purs cyniques qui figurent certes parfois au premier plan sont l’arbre qui cache la forêt. Dire, par exemple, que François Rochebloine, député de la Loire, qui a porté la récente loi sur le génocide arménien sur ses fonts baptismaux, n’est animé que par des intentions électoralistes, relève du simplisme, voire de la calomnie.

Ceux qui ont milité et militent pour l’adoption de ces lois mémorielles l’ont fait et le font en parfaite sincérité : il s’agit de réparer un dommage, il s’agit de faire justice, il s’agit de vrais sentiments d’effroi devant la cruauté humaine et de compassion à l’égard des victimes de cette cruauté. Si l’on sort de l’émotion et que l’on retourne à la raison, certaines questions surgissent : où se trouve l’auteur des dommages ? Où est l’ennemi avec lequel on veut en découdre ? Nous sommes, après tout, en France. Le massacre des Arméniens a-t-il été planifié à Matignon ? La solution finale fut-elle conçue à Vichy ? Les lois mémorielles, si elles visent à réparation, n’ont de sens, en l’occurrence, qu’en Allemagne et en Turquie. Elles n’ont, au plan juridique, aucune légitimité sur le territoire de la France. Elles sont, au sens propre, irrationnelles.

Il fut un temps où, en France, le droit censurait impitoyablement toute remise en question du dogme de la monarchie de droit divin. Il fallait sauver les apparences et construire une digue contre la raison qui gagnait du terrain. C’était le temps de Voltaire. Nous sommes aujourd’hui entrés dans l’ère des "victimes de droit divin". Lorsqu’un groupe ethnique se voit reconnaître le statut de "peuple victime de génocide", il est en quelque sorte sacré. Ce sacre ne se déroule plus en la cathédrale de Reims, mais à l’Assemblée nationale.


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