La nouvelle ère politique

par Antoine Vielliard (Saint-Julien-en-Genevois)
jeudi 22 mars 2007

De 1978 à 2002, la politique s’est faite par des alliances entre PS-PC-Verts d’une part, et entre RPR et UDF d’autre part. Ces jeux d’alliance ont privé les électeurs de leur souveraineté. Avec un choix plus large de candidats aux législatives de juin, l’électeur redeviendra à nouveau souverain.

L’émergence d’un candidat centriste qui dépasse les 20% d’intentions de vote perturbe la lecture de nombreux analystes politiques. Ces performances étonnent beaucoup de monde, même dans les rangs des plus anciens des centristes. Raymond Barre, André Santini, Simone Veil ne comprennent pas cet élan un peu fou d’un centre indépendant. Stratégie vouée à l’échec, d’après leur expérience personnelle.

A leur décharge la France vit depuis 1978 dans un système d’alliance. C’est en 1978 que pour la première et dernière fois aux élections législatives, l’UDF avait présenté des candidats dans toutes les circonscriptions à peine quelques mois après sa création. Coincée entre un RPR hégémonique à droite et un PS en forte croissance à gauche, l’UDF avait contre toute attente remporté ces élections. Depuis aucun gouvernement en place n’a jamais plus remporté de législatives.

Depuis 1978, la politique française est le fait d’alliances. L’UDF s’est soumise à des alliances avec le RPR - qui élection après élection lui prenait quelques sièges de parlementaires supplémentaires. A gauche, le PS nouait des accords électoraux avec ses alliés. Le résultat était assez simple. Dans les trois quart des circonscriptions ancrées à gauche ou ancrées à droite, depuis 1978, les électeurs n’avaient en réalité qu’un candidat officiel de droite et qu’un candidat officiel de gauche. Il n’y a guère que dans les quelques circonscriptions « qui balancent » que les électeurs avaient un choix réel. Ce système d’alliance politique ne date que de 1978. Auparavant, on avait des élections législatives avec une offre plus large, qui permettait d’avoir des primaires au premier tour.

Cette politique par alliance a eu de nombreuses conséquences néfastes. En premier lieu, elle a ôté à l’électeur souverain sa liberté de choix puisqu’il n’y avait dans les faits qu’un candidat en mesure de l’emporter dans la plupart des circonscriptions. Par voix de conséquence, les élections se jouaient beaucoup plus par des jeux d’appareils entre notables que sur le terrain au contact des électeurs. Petit à petit les partis ont fini par perdre le contact avec les électeurs souverains. Dans leurs jeux d’appareils, ils ont méprisé leurs militants, ce qui a donné la plus grande vague de désaffection des partis. Même l’UMP du haut de ses 300 000 adhérents compte à peine plus de membres que le plus petit parti politique suisse (le Parti démocrate chrétien qui en compte 150 000). Les partis politiques sont devenus les uns après les autres des mouvements de notables coincés dans leurs logiques d’appareils ou de courants.

Faute de militants actifs, il y a peu d’actions sur le terrain. Dans la circonscription dans laquelle j’habite, je n’ai encore vu aucune affiche et à peine quelques tracts pour Ségolène Royal, une affiche et aucun tract pour Nicolas Sarkozy, et juste quelques affiches pour Le Pen, Buffet et Besancenot. Les responsables du PS et de l’UMP sont tellement sûrs que le deuxième tour leur est dû qu’ils ne voient pas encore l’urgence qu’il y a à aller humblement à la rencontre de l’électeur souverain. Dans mon département, un responsable de l’UMP engueule ces militants qu’il méprise, pour leur inaction sur le terrain. J’espère que cet article ne réveillera pas trop de militants PS et UMP et sera plus lu par des militants UDF !

Une autre conséquence néfaste de ce jeux d’alliance a été la compromission idéologique : compromission de l’UDF qui s’est soumise à la droite au détriment de ses valeurs propres du centre, et compromission du Parti socialiste qui s’est soumis à une alliance avec l’extrême gauche au détriment de la modernité sociale-démocrate de tous les autres mouvements socialistes d’Europe.

Enfin une dernière conséquence néfaste a été l’absence de renouvellement politique : les appareils partisans contrairement aux électeurs ont fait plus facilement confiance à des notables installés qu’à des jeunes. Résultat la France est le 23e pays sur 25 pour l’âge moyen de ses députés. Alors qu’un Français sur deux a moins de quarante ans, la proportion de députés de moins de quarante ans a chuté de 20% en 1981 à 2% aujourd’hui.

Sur le terrain, l’UDF est en train de vivre une transformation qui ne la laissera pas indemne. Les responsables départementaux qui doivent leurs responsabilités politiques actuelles à ce jeux d’alliance qui a duré trente ans ne comprennent pas encore très bien la nouvelle logique qui se met en place. Le centre peut-il vraiment gagner une élection majoritaire par lui-même ? Ils sont pourtant dépassés par l’action conjointe d’un Bayrou devenu indépendant et d’une base militante déterminée par un combat pour la survie de ses valeurs. L’expérience de la tentative de l’UMP de faire disparaître le centre en 2002 sert comme un rappel brûlant à chacun des risques inhérent à toute alliance politique.

Alors qu’à l’UDF on avait plutôt l’habitude de laisser pourrir les cartons de tracts dans les caves les rares fois où ils arrivaient avant les élections, on observe des scènes assez inédites de militants qui se battent pour avoir l’honneur de distribuer les derniers cartons de tracts ou de coller les dernières affiches. Dans notre circonscription la trentaine de militants actifs a déjà passé plus de mille heures bénévoles en action de terrain. Parmi ces militants on retrouve essentiellement les anciens militants qui ont l’expérience de la campagne de 1978, les militants venus du PS qui ont l’expérience de la campagne de 1981 et enfin les nouveaux et jeunes militants qui savent que l’UDF est bien trop faible pour se permettre de ne pas faire campagne sur le terrain. Au milieu, les adhérents des trente dernières années qui depuis trente ans ont fait de la politique sans action de terrain finissent petit à petit par se laisser entraîner. L’UDF qui pourtant ne compte que 30 000 à 40 000 adhérents, compte en revanche le plus de militants actifs dans cette campagne - lorsqu’elle n’a pas perdu tout implantation locale. Leurs efforts sont surtout démultipliés par les sympathisants qui prennent le relais.

Peu d’analystes politiques ont relevé cette ferveur militante comme l’un des moteurs de la montée des intentions de vote en faveur de François Bayrou. Peu d’analystes comprennent que cette ferveur militante sur le terrain est de nature à installer des majorités au Parlement surtout face à l’arrogance d’un PS et d’une UMP qui estiment que le deuxième tour est pour eux un dû dans un système qu’il souhaiterait encore bipolaire. Au PS et à l’UMP peu ont encore compris ce qui se passe. A l’UMP on nous dit parfois un brin inquiet : « Dites, ce n’est pas vrai ? Vous n’allez quand même pas présenter des candidats partout ? Au deuxième tour, vous voterez quand même pour nous ? ». Au PS on fait semblant de prendre pour argent comptant les affirmations de l’UMP qui prétend qu’elle ne présentera pas de candidat face aux UDF sortants. Beaucoup oublient aussi que le PS est loin d’avoir conclu un accord électoral avec ses alliés Verts et PC. On continue de croire que ce sont ces alliances qui garantissent le succès électoral, alors que ce n’est que le travail de terrain au contact des électeurs.

C’est une belle période pour s’engager pour ses convictions dans un parti. Une période durant laquelle les élus devront attentivement écouter les militants auxquels ils devront leur élection plutôt que les appareils partisans qui n’auront plus leur pouvoir de négociation. Une période durant laquelle les consignes partisanes partiront de la base plutôt que du sommet.

Dans ce changement de système politique, le seul vrai gagnant n’est pas vraiment l’UDF mais bien l’électeur : il retrouve la liberté de choix qu’il a perdue depuis 1978. Il retrouve surtout le rôle central dans les institutions de la République.

Le principe de la République est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple (article II de la Constitution).


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