La réalité en trompe-l’œil du modèle britannique

par leon
lundi 12 février 2007

La visite récente de Nicolas Sarkozy à Londres remet au goût du jour le fameux modèle britannique de capitalisme. Vantant ses mérites et voulant importer les recettes de la potion magique britannique au pays des Gaulois, Nicolas Sarkozy succombe à un mirage qui a été partagé par beaucoup d’hommes politiques avant lui. Pourtant, si l’on analyse objectivement ce modèle de capitalisme, ses vertus ne sont pas si évidentes et la potion proposée ne correspond pas à l’étiquette de ses prescripteurs. Les travaux récents des économistes sur la comparaison des modèles de capitalisme remettent en cause bien des idées reçues et montrent surtout que le modèle anglais n’est pas exportable. Pire, son efficacité supposée est loin d’être évidente si l’on prend les statistiques officielles.

Si l’attrait idéologique pour le modèle anglais est lié aux décalages qui semblent exister entre les taux de chômage anglais et français (5% contre plus de 8% en France), les chiffres de l’OCDE ou d’Eurostat montrent un visage très différent des tendances en matière de création d’emplois dans les deux pays.

Dans un article récent du Monde, l’économiste Francisco Vergara[1] analyse clairement ces tendances. Si l’on prend la création d’emplois, depuis 30 ans, c’est la France qui en a créé le plus (+11,25% contre 5,82%). Cette évolution pourrait être attribuée à des causes démographiques mais que constate-t-on ? La structure démographique anglaise ressemble à celle de la France (même pourcentage de population en âge de travailler qui augmente au même rythme dans les deux pays, pyramide des âges similaires).De plus, les générations du baby-boom ne commencent que depuis 2005 à partir à la retraite dans les deux pays. Que cachent donc ces chiffres contradictoires du chômage anglais ? Il ne semble pas exister de raison objective à un taux de chômage aussi faible... Traditionnellement, lorsqu’on analyse le chômage, on distingue deux catégories d’acteurs : les actifs (emploi + chômage) et les inactifs. Or, une troisième catégorie d’acteurs n’est jamais analysée, ce sont des chômeurs invisibles qui n’apparaissent pas dans les chiffres du chômage : c’est le stagiaire qui est une personne très prisée car il n’est ni employé ni chômeur (qui travaille gratuitement) ; le travailleur en attente d’emploi, les personnes en longue maladie, les travailleurs découragés, ou les personnes qui gardent leurs enfants....Transformer un chômeur en inactif est un art qui masque la vérité des chiffres du chômage... Tony Blair est un maître prestidigitateur qui a fait passer, entre 1990 et 2000, plus d’un million de personnes d’une catégorie à l’autre. En Angleterre, le moyen le plus efficace est la catégorie du «  Long term Sick » ou « Disabled  ». L’Angleterre a, entre 1990 et 2000, divisé son chômage par deux et augmenté le nombre de ses malades d’un million. En 2006, plus de 2 millions de personnes sont malades de longue durée en Angleterre[2].

Le marché du travail anglais




D’autres chiffres sont aussi éloquents : la population inactive est en constante augmentation en Angleterre. Depuis 1990, elle représentait 23,5 % de la population des 16-65 ans, et elle atteint, en 2000, 25%. Cette évolution est inverse pour la France qui diminue sa population inactive. L’on peut dire que la France s’est plus remise au travail depuis 1990 que l’Angleterre (augmentation de 2 970 000 des actifs contre 960 000) alors que l’Angleterre a masqué son chômage par l’accroissement de ses inactifs. Dans ce pays, la population active a moins augmenté que l’emploi (-560 000) et que la population en âge de travailler, ce qui explique la baisse du taux de chômage. Cette évolution est aussi très intéressante lorsque l’on analyse la nature des créations d’emplois. Les chiffres de l’OCDE sont marquants : de 1990 à 2004, la France a créé 82% d’emplois de plus que l’Angleterre, soit 900 000 emplois de plus. En 2005, 25,5% des emplois anglais sont à temps partiels contre 17,2% des emplois français. Si l’on observe la durée du travail, les chiffres pourraient donner raison à M. Sarkosy puisque la durée légale du travail est très supérieure en Angleterre. Mais si l’on observe la durée moyenne du travail, un Français travaille en moyenne quatre heures de plus qu’un Anglais. Ceci s’explique de fait par le nombre important de temps partiels en Angleterre. 36,2% des salariés anglais travaillent moins de 30 heures et 22% plus de 45 heures.

Si l’on observe le type d’emploi créé, le modèle anglais s’est appuyé essentiellement sur la création d’emplois publics. 560 000 emplois publics ont été créés entre 2000 et 2005 dont 150 000 dans l’éducation et 280 000 dans la santé.

Le mirage anglais laisse aussi pantois lorsque l’on examine la population française qui vit à Londres. Tordons d’abord le cou à une idée reçue, les Français préfèrent rester en France : Les Français installés en Angleterre sont extrêmement peu nombreux (moins de 95 000 dont près de 38 000 à Londres). Les jeunes Français ne quittent pas la France parce qu’ils ne trouvent pas de travail chez eux, mais parce qu’ils veulent faire des études (26,4%) et perfectionner leur anglais. Les migrations pour le travail représentent seulement 22,3% des migrants. L’Angleterre avait 2 247 740 étudiants en 2004 contre seulement 1 720 000 en 1996. En 2004, 300 060 venaient de pays non membres de l’Union européenne, et seulement 89 545 de l’Union européenne. Parmi ceux-ci seulement 11 295 Français font leurs études en Angleterre. La France est devancée par tous les autres grands payseuropéens. Ici encore, il convient de relativiser l’attractivité du modèle anglais...

Les motifs de migration en Grande-Bretagne en 2003

2003

Total

Travail

Accompagne

Etudes

Autre

Inconnu

Entrées

512 600

114 400

75 100

135 100

149 700

38 300



22,3 %

14,7 %

26,4 %

29,2 %

7,5 %

Sorties

361 600

91 200

58 700

10 900

115 800

85 000



25,2 %

16,2 %

3,0 %

32,0 %

23,5 %

La théorie selon laquelle les jeunes Français migrent alors que les vieux Anglais viennent en France ne résiste pas non plus à l’analyse. Si l’on examine l’âge des migrants anglais, seulement 2,6% sont des retraités contre 51,9% qui ont entre 25 et 44 ans.

Le modèle anglais est bien un vrai « miroir aux alouettes » pour le personnel politique français.

Si le Royaume-Uni appartient sans aucun doute à un modèle de capitalisme de marché financier, il convient d’analyser ses performances globales sans a priori et sans se masquer une réalité moins glorieuse que ses hagiographes oublient de mettre en évidence. La thèse selon laquelle la mondialisation des marchés, en augmentant la pression concurrentielle sur les systèmes économiques, impliquerait l’adoption par la France d’un modèle unique proche du modèle anglais mérite d’être profondément discutée au regard des performances de l’économie britannique. Contrairement à ce que pense A. Giddens, le sociologue gourou de Tony Blair, l’Angleterre n’est pas « une étincelle pour l’interaction créatrice entre les Etats-Unis et l’Europe continentale ».



[1] Auteur de Les Fondements philosophiques du libéralisme, éditions La Découverte, 2002

[2] Pour plus de précisions voir http://travail-chomage.site.voila.fr


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