Le Mahatma Bayrou

par LM
lundi 2 avril 2007

François Bayrou a beau faire des milliers de kilomètres, il garde le temps d’écrire : la semaine prochaine il publiera son troisième livre de campagne, « Confidences » dans lequel il affine son « portrait de l’homme mûr en président de la République ». Ou presque.

François Bayrou aime écrire. Depuis sa biographie à succès d’Henri IV, il descend fréquemment de son tracteur pour laisser aller sa plume au gré de ses inspirations, ou de celles de ses « collaborateurs » (comme on appelle les nègres) qu’il oublie parfois de rémunérer pour leur travail de recherche, c’est le Canard Enchaîné qui l’affirmait.

Pour cette présente campagne, l’homme du Béarn qui aime tant répéter qu’il a « travaillé de ses mains », s’est fendu déjà de deux opuscules, sans grand intérêt mais très bien vendus, « Au nom du tiers état  » et « Projet pour la France ». Deux ouvrages comme toutes les professions de foi d’hommes et de femmes politiques : style ampoulé, déclarations tièdes et défonçage de portes ouvertes.

Jamais deux sans trois : la semaine prochaine, l’ancienne « surprise » du centre se fendra d’un troisième opus qu’on annonce « plus personnel » et qui s’intitulera « Confidences  ». Libération de samedi en a pioché quelques extraits savoureux. Et révélateurs.

Le « troisième homme ni de droite ni de gauche » présente dans ces pages ses deux maître à penser : Jacques Séguéla et Gandhi. De Séguéla d’abord : « Jacques Séguéla a dit deux choses essentielles. Article premier : les gens votent pour une personne, pas pour une idée. Article deux : les gens votent pour une idée, pas pour un programme. L’homme ou la femme qu’on va choisir, c’est d’abord un homme ou une femme avec son parcours, [...] le fait d’avoir pris des averses, des coups de froid, des coups de chaud... Ça l’a ridé. Les rides, c’est très bien. Les rides, ça dit des choses. » Bayrou épouse là complètement la doctrine Mitterrand : pas de programme (personne ne les lit) une ou deux idées fortes (le concept ni droite ni gauche de Bayrou) et quelques fables (le parcours, l’expérience, le travail de ses mains, les rides). Et Bayrou n’a pas tort de rejoindre ainsi les vieux principes mitterrandiens, car après tout, Mitterrand a fini par être élu, et réélu même. Mais qu’il ne prétende pas alors du même coup « proposer une autre politique que celle menée depuis trente ans par les gouvernements de droite et de gauche ». Mettre en avant ses rides, c’est avouer qu’on va faire du neuf avec du vieux. Et le centre n’est pas une idée neuve (Giscard, Barre, Lecanuet...)

« Je crois profondément qu’il y a deux temps dans une campagne électorale. Il y a le temps où la question est : "Qui peut être président ?" Alors on regarde comme des spectateurs dans la tribune des hippodromes ­ que je connais très bien. Et puis il y a un deuxième temps, dans lequel on entre tard et qui est : "Qui peut être notre président ?" Ça paraît presque la même question, mais en réalité c’est d’une nature absolument différente. Quand on se pose la question "Qui peut être président ?", on est prêt à choisir des pilotes de Formule 1. C’est le brio, le talent, je ne sais pas... Tout ce qui brille. Et après, on choisit le chauffeur du bus dans lequel on va mettre ses enfants. »

Que nous dit là le candidat du milieu ? Qu’il est naturel que les Français, si naïfs, dans un premier temps, comme ils le font depuis toujours se dirigent vers « le brio, le talent », mais que, s’ils réfléchissaient un peu plus (sous entendu, ce qu’ils n’ont pas fait jusqu’ici à voter pour n’importe quel opportuniste de droite ou mégalo de gauche), ils comprendraient que l’important c’est que leurs enfants arrivent à bon port (ou à bonne école) sains et saufs. Une sorte de devise de Coubertin un peu tirée par les cheveux (les chevaux ?) de la part de cet habitué des hippodromes qui possède quelques chevaux de course, achetés sans doute parce qu’ils auraient fait de bons chevaux de labour... La scène encore jouée et surjouée du candidat ni droite ni gauche, « rien qu’un pauvre paysan », pas l’allure d’un champion de Formule 1, mais un bon gars, capable de conduire un tracteur, un bus (au colza ?) ou n’importe quelle charrette jusque sur les pavés de l’Élysée. C’est sans doute ce misérabilisme de pacotille qui agace le plus chez Bayrou. Et qui le décrédibilise. Et puis, pour le prendre aux mots, on pourrait lui rétorquer que gouverner un pays nécessite sans doute plus de « talent », de « brio », que de conduire un bus, avec ou sans enfants dedans.

Ce rappel aux enfants, c’est l’autre péché mignon du Béarnais : « La France a besoin de quelqu’un qui ait une attention, comment pourrais-je dire, fraternelle. Paternelle, si je ne voulais pas passer pour un paternaliste ! Je le suis un peu dans ma vie privée. (Rires.) A la maison, je suis un peu du genre patriarche assis au bout de la table. (Rires.) J’ai un vieux goût atavique qui me pousse à accorder de l’attention aux enfants, à avoir avec eux un rapport chaleureux. En dehors de ça, je ne veux pas faire de paternalisme, mais on a besoin de quelqu’un qui veille au lien national, au lien entre les gens ».

De l’attention aux enfants, oui, ou une gifle de temps en temps... Pour le reste, on est sur le registre Royal (le pays c’est comme ma famille) avec peut-être davantage encore de marmelade. L’image du patriarche assis au bout de table renvoie à une notion d’autorité, de vieille France et un clin d’œil bien sûr au monde rura. Ne manque plus que le feu qui crépite dans la cheminée, la marmite dans l’âtre et la pendule qui fait tic tac. Image d’Épinal, en Béarn, façon Jean-Pierre Pernaud. On s’attend à ce qu’il nous fasse visiter le dernier fabricant de pièces détachées de tracteur.

Mais François Bayrou, toutes rides dehors, l’air de ne pas y toucher, mais le sourire crispé de celui à qui on ne le fait plus, a un passé, un vrai, en politique. En 1994, la réforme qu’il tenta de la loi Falloux (sur le financement de l’École privée) jeta dans la rue quelques légions d’enseignants et parents d’élèves, toujours à l’affût du premier prétexte venu. Dans « Confidences  » Bayrou revient à sa manière sur cette péripétie : « Le très jeune homme politique que j’étais a commis une erreur, qui est de bousculer ou de toucher aux symboles. Quand vous touchez aux symboles, c’est de la nitroglycérine. Je l’ai fait avec une espèce d’assurance qui est sans doute en même temps chez les jeunes hommes politiques un jeu. Je l’ai fait par amour de la vitesse. ».

Tiens, le chauffeur de bus aime la vitesse... Les enfants ont intérêt à accrocher leur ceinture. A part cela, on sera heureux d’apprendre qu’en 1994 Bayrou était un « très jeune homme politique », qui considérait son ministère (l’Education nationale quand même) comme un « jeu » ! Depuis, bien sûr, de l’eau a coulé sous les ponts, des rides sont venues, des mains ont travaillé et de tracteurs ont roulé. La vitesse, elle aussi, a été limitée. Ce qu’on appelle la sagesse.

« Je considère que Gandhi est la plus grande figure historique du siècle. Il y en a eu d’autres, Churchill à sa manière, de Gaulle à sa manière, Mendès à sa manière, mais Gandhi pour moi est la plus grande. Mettre à genoux l’Empire britannique simplement par la non-violence. Quel Himalaya pour ce petit bonhomme ! Eh bien, je n’ai jamais cessé d’y croire. Et de croire notamment à la règle d’or de Gandhi : "La fin est dans les moyens, comme l’arbre est dans la graine." »

Sagesse, justement, Gandhi. La référence de Bayrou. Le petit contre le grand. David contre Goliath. Pour résumer la pensée médiane de l’ancien ami de Robien, Borloo et Santini, l’UMP et le PS seraient donc « l’Empire britannique » et l’Élysée, « l’Himalaya », et François, un « petit bonhomme ». Que de modestie dans tout cela, que de finesse, que de grâce ! « La fin est dans les moyens, comme l’arbre est dans la graine », c’est sûr, c’est mieux qu’une citation de Gynéco, une blague de Steevy ou une évasion fiscale de Johnny. Ce que Bayrou appelle sans doute « élever le débat ». Gandhi, rien que ça ! Un symbole choisi sans hasard : idole des bobos, des anars, des cafés philos ou des salles d’art et d’essai. Gandhi, on ne peut pas faire plus indiscutable. C’est pas comme de Gaulle, on pourra toujours chercher des cadavres dans le Gange, on en trouvera pas ! Gandhi, c’est comme citer l’abbé Pierre ou Coluche, ça marche à tous les coups, même chez Drucker.

« Je suis sûr d’avoir les Français avec moi », écrit Bayrou dans « Confidences » (sortie le 5 avril). Il était pourtant en Guyane pour faire décoller sa fusée Élysée, un peu à la ramasse dans l’avant-dernière ascension. Mais « les sondages ne sont que des sondages » comme on dit quand ils sont soudain moins bons. Ce qui compte c’est l’authenticité, la sincérité, la bonne mauvaise foi bien de chez nous, pas forcément une tête de vainqueur mais capable comme les autres de nous prendre pour des jambons.

 


Lire l'article complet, et les commentaires