Le syndrome Tchernobyl à l’épreuve de l’enjeu énergétique et climatique

par PELLEN
vendredi 13 avril 2007

Depuis vingt et un ans, la dramatisation des conséquences de l’accident de Tchernobyl est tactiquement théorisée par une mouvance partisane dont l’objectif obsessionnel n’est autre que l’abandon pur et simple du nucléaire civil. Usant sans vergogne d’un cynisme médiatique efficace, les artisans de cette mystification ne reculent devant aucune outrance ni aucun mensonge scientifiques pour installer l’effroi de la radioactivité dans la conscience collective. Le caractère emblématique de la fonction qui exposa jadis le Professeur Pellerin aux vicissitudes d’une communication inédite condamne ce dernier à demeurer leur victime de prédilection. C’est précisément pourquoi le collectif « Vérité Tchernobyl » se fait un devoir de lui renouveler régulièrement une solidarité sans faille et une totale confiance professionnelle, qui, hélas, lui seront nécessaires longtemps encore.

Quand l’extraction du charbon tue annuellement 6 000 mineurs en Chine, l’usage du gaz des dizaines, voire des centaines d’Européens, la prophétisation rebattue de nouveaux « Tchernobyls » ne prendrait qu’un caractère pathétique si l’aspiration au désastre, qui en transpire, ne la rendait méprisable. Ni la tenace réalité industrielle du secteur de l’atome, ni ses prodigalités énergétique et environnementale, ne semblent en mesure d’ébranler cette malédiction prête à enfourcher n’importe quel cheval de bataille, pourvu que perdure la vindicte antinucléaire. Celle-ci n’en a pas moins dû se résigner à un déclassement du pire, que la sûreté des installations rarement prise en défaut a rendu manifeste. De fait, les rhétoriciens de l’apocalypse doivent désormais se contenter de pis-aller argumentaires ayant pour noms : «  épuisement rapide des réserves d’uranium  » ; « accumulation irresponsable de produits radioactifs  », le péril héréditaire absolu et définitivement souillé de l’infamie du déchet.

Depuis que le monde est monde, la vie terrestre prospère-t-elle sur la croûte ténue d’un brûlot radioactif  ? Le matériau de cette gangue féconde et celui de ses créatures exsudent-ils, de toutes parts, la prodigieuse instabilité élémentaire de l’univers ? Les sectateurs d’un « rousseau-isme » puéril, très en vogue, n’en ont cure. Pour eux, une immanente déontologie du vivant interdit à l’Homme de potentialiser les fonctions délétères de Dame Nature. Peu leur importe qu’une radioactivité artificielle, promise au moins partiellement à la neutralisation, ne puisse jamais être à l’échelle de celle de la matrice de toute chose. Peu leur importe que ses contrôle et quantification rigoureux en garantissent durablement la maîtrise.

Ils considèrent que la transmission d’une planète viable aux générations futures est au prix d’une dénucléarisation totale de la civilisation : exigence morale qu’ils se fixent pour mission de faire triompher, coûte que coûte, chez tous leurs compatriotes et au-delà. Ces compatriotes qui, non contents d’avoir déjà tiré 1 100 milliards d’euros sur les comptes virtuels de protégés encore à naître, dispersent annuellement quelque deux millions de tonnes de déchets hautement toxiques dans l’Eden végétal et aquatique de leur descendance, sans que leurs oracles ne s’en émeuvent plus que ça. Ainsi, cette radioactivité qui, à fortes doses, peut nous guérir du cancer, serait-elle plus redoutable pour le genre humain qu’Arsenic, Cadmium et autre Osmium, dont la toxicité est éternelle, la traçabilité des dépôts sauvages, hélas, à jamais perdue. Mais, de qui ces sinistres prédicateurs peuvent-ils bien détenir leur habilitation à statuer sans partage sur le code sanitaire de la préservation de l’espèce ?! Qui ne se décide, enfin, à les regarder brandir leur Tchernobyl faussement prémonitoire, comme les Témoins de Jéhovah leur Première Guerre mondiale, « providentiel » événement dont l’ésotérique pronostic fit les beaux jours de la secte ?...

Voilà un an, précisément, continuait de s’instruire, en grande pompe nationale, le procès médiatique de l’infortuné Professeur Pellerin, désigné au châtiment populaire comme le responsable expiatoire de milliers de cancers thyroïdiens. Dans le même temps, micros et caméras empressés recueillaient le témoignage bouleversant d’une Galina Ackerman exhibant à l’envi et dans une très habile association d’idées avec la catastrophe de Tchernobyl, toute la misère bélarusso-ukrainienne contemporaine. Son « cœur tchernobylien » fit un tabac. Il émut jusqu’aux larmes le gotha médiatique français - tout particulièrement ses grands prêtres radiophoniques du matin et du soir - dans l’indifférence cynique de notre élite médicale. Escortée, dans la vulgate écrite et parlée, de ces célèbres médecins dissidents de la science officielle, qu’aucun patient français - fût-il antinucléaire - ne s’aviserait de consulter, elle s’employa, non sans professionnalisme, à saisir aux tripes une démocratie d’opinion dont la générosité bien connue est sans limite avec tous les accablés de la Terre. On pardonne volontiers à ces voltigeurs de nations exsangues de s’employer à leur attirer toute la ressource possible d’une solidarité internationale aussi abondante que plus sensible à certaines victimisations. Ils ne peuvent trouver collaborateurs plus zélés que les Français pour les assister dans leur noble mission...

En 2006, nous fûmes quelques-uns à nous élever contre ce maccarthysme mâtiné de révolution culturelle mettant en scène avec un rare acharnement les étapes de la destruction méthodique d’une vie et de ses prolongements affectifs. Il ne fait pourtant guère de doute qu’in fine la tribune de l’Histoire rendra pleinement justice à Pierre Pellerin. Pleinement parce qu’elle ne se contentera pas de le laver des extravagantes accusations dont on l’accable depuis vingt ans : elle réhabilitera son éminente compétence en révélant qu’il avait eu raison contre une démagogie et une idéologie aujourd’hui très influentes jusque dans les instances gouvernementales européennes. Dans ce surréaliste procès de l’expertise contestée par le dogme, une communauté scientifique censée investie de la prérogative arbitrale soutient très majoritairement l’accusé. Le génie national ne se grandirait pas en continuant de dédaigner son avis et en concédant à la vox populi la ritualisation perpétuelle d’un procès formel ou informel rappelant les tropismes sociaux d’un autre temps.

S’il est un fait que les fruits amers d’une propagande usée trouvent de moins en moins preneurs, c’en est un également que leur consommation antérieure a durablement marqué la mentalité française. Ce peuple, très susceptible sur son prestige et sur sa contribution historique à la défense de toutes les libertés, en est aujourd’hui à identifier une nouvelle communauté d’hérétiques : les partisans de l’indépassable fléau de l’humanité, nommé « atome civil », distingués dans l’opprobre par le qualificatif de « nucléocrates ». L’image maudite du parti de l’anti-nature encombre la conscience collective au point d’encourager l’excommunication républicaine sous toutes ses formes.

Ainsi, Jean Michel Jacquemin, gardien intransigeant de la morale publique, n’a-t-il pas craint d’assigner en justice l’auteur du manifeste « Vérité Tchernobyl » de 2006. Ce parangon de la vertu sociale - protagoniste peu recommandable du procès de l’ARC - n’a toutefois pas jugé opportun de se constituer en porte-parole d’une cause « thyroïdienne » perdue d’avance, dans laquelle il s’enorgueillit d’avoir entraîné quelques dizaines de malades désemparés. La paternité revendiquée de leur dossier d’accusation, il l’utilise surtout pour tenter de convaincre le juge que son dernier livre, dont la parution devait opportunément coïncider avec la célébration d’un anniversaire promis au plus grand retentissement, ne pouvait qu’être un best-seller. À l’en croire, c’aurait été immanquablement le cas... sans la démarche d’André Pellen qu’il accuse d’avoir sournoisement cherché à saboter la portée commerciale de l’ouvrage ! Que la parution de ce dernier fût postérieure à la diffusion dudit manifeste ne dissuade nullement le plaignant de réclamer, au civil... la bagatelle de 85 000 euros à son adversaire ! A-t-on jamais observé, dans ce pays, plus perverse et plus vénale atteinte de la liberté d’expression ?

Malgré tout, prétendre susciter, avec cette affaire, une empathie médiatique comparable à celle dont Robert Redeker et Charlie Hebdo viennent d’être gratifiés, ne manquerait pas d’apparaître indécent, voire obscène, à nombre de nos compatriotes. Leur demander de descendre dans la rue pour la sauvegarde d’un concept aussi existentiel que celui de la laïcité leur semble relever des plus nobles exigences républicaines. Mais, les inviter à se commettre - fût-ce au nom d’une liberté fondamentale - avec le tenant d’une cause aussi triviale et aussi contestable insulte littéralement leur sens moral !

Conçoit-on, aujourd’hui, un moderne Zola dénonçant cette hostilité trop bien orchestrée ? Imagine-t-on un journaliste français fustigeant le trop consensuel landerneau médiatique ? Qu’il s’en trouve un seul pour s’indigner haut et fort contre ce dévoiement cynique et ô combien banalisé de l’instrument judiciaire serait déjà le signe d’une rassurante susceptibilité déontologique. Ce serait, en tout cas, un heureux présage au renouveau des mœurs politiques et de la morale civique, auquel les Français disent aspirer. Mais, d’aucuns préfèreraient y voir le ressaisissement de la lucidité collective enfin capable d’inciter la classe médiatique à se résoudre à ce débat public dont notre démocratie prétendument de référence est en droit d’attendre la plus grande rigueur ? L’an dernier, le collectif « vérité Tchernobyl » ne lui demandait rien d’autre.

André PELLEN


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