Lettre ouverte d’un témoin de l’expulsion de Jeff
par Ben Ouar y Villón
mardi 5 septembre 2006
Un témoin de l’expulsion du jeune jeff (dix-neuf ans) vers le Nigéria a tenté de faire paraître son témoignage dans la presse. J’ai souhaité que AgoraVox s’en fasse l’écho.
Jeff, victime d’un apprenti dictateur.
"Je n’ai jamais fait partie des sans-papiéristes qui vivent pour -et souvent - de la scansion stérile de slogans tels que "régularisation de tous les sans-papiers". Le principe d’une régularisation de tous les sans-papiers équivaut à un principe de négation de la loi, ce qui est le contraire de l’Etat de droit ; c’est en outre une politique non conforme à l’intérêt des immigrés, qui doivent pouvoir être intégrés convenablement en France, ce qui en limite nécessairement le nombre ; c’est enfin une politique non conforme à l’intérêt des pays du Sud, qui se verraient systématiquement privés des plus débrouillards, des plus jeunes souvent, bref de leurs forces vives.
Pour autant, la France a toujours eu une tradition humaniste d’accueil, voire d’asile. Quatrième puissance économique mondiale, elle n’est pas un pays au bord de l’étouffement financier. Pour peu que ses élites retrouvent un peu de fierté nationale, la France pourrait même recouvrer l’efficacité des puissants facteurs d’intégration que sont son école, ses mécanismes de solidarité, son histoire universaliste...
Oui, la France peut rester un grand pays d’accueil.
Il faut donc régulariser sur critères. Et le seul critère valable de régularisation, c’est la capacité d’intégration des sans-papiers.
Sur cette base, M. Jean-Pierre Chevènement en a régularisé quelque 100 000 entre 1997 et 2000, plus qu’aucun autre ministre de l’Intérieur. Il n’a pas pour autant cédé aux sirènes "sans-papiéristes" qui réclamaient la régularisation de tous.
Il avait ainsi essayé de sortir la question de l’immigration du jeu politicien où extrême-gauche et droite extrême se plaisent à l’enfermer.
Mais M. Nicolas Sarkozy lui a succédé.
Le sorcier de la place Beauvau, qui ferait tout pour traverser la rue et s’installer dans le Palais présidentiel, n’a pas hésité à transformer les immigrés clandestins en ingrédients de sa cuisine électorale.
Et c’est sur l’autel de ce projet funeste qu’a été sacrifié, ce mardi matin, 30 août 2006, Jeff Babatunde Shittu, expulsé vers Lagos, au Nigéria, par le vol Air France 854.
Jeff a dix-neuf ans. Il était scolarisé dans le 11e arrondissement de Paris. Il avait une petite amie, Stéphanie - elle pleurait dans l’aérogare 2 F de Roissy. Le maire du 11e, Georges Sarre, avait signé une promesse d’embauche au jeune garçon.
Bref, Jeff offrait toutes les conditions d’une parfaite intégration républicaine.
A contrario, au Nigéria, rien. Orphelin, Jeff ne connaît rien ni personne là-bas. Que fera-t-il, à l’arrivée à Lagos ? M. Sarkozy n’en a que faire.
- A quoi rime la reconduite à la frontière d’un môme intégré à la France et inintégrable dans son prétendu pays ?
- Quelle est "l’intégration choisie" de M. Sarkozy, à part peut-être le fait du prince, s’il ne "choisit" pas des jeunes gens aussi bien intégrés que Jeff ?
C’est parce que personne ne peut apporter de réponse valable à cette question que des passagers du vol Air France 854 ont refusé ce matin de cautionner l’exécution cynique de cette décision inique. Résultat immédiat : la police de Sarkozy les a sans ménagement expulsés de l’avion, menottes aux poignets, pour les mettre en garde à vue !
C’est désormais un crime de dénoncer l’inadmissible.
L’expulsion était-elle seulement légale ? Rien n’est moins sûr. Le tribunal devait statuer deux jours après... Sarkozy n’a fait que prendre la Justice de vitesse, il a imposé le fait au droit. C’est comme cela que naissent les dictatures.
Le commandant de bord aurait pu refuser de décoller. Mais dans l’Empire sarkozien, rien n’est laissé au hasard : le pilote choisi était un élu de Seine-et-Marne, UMP bien sûr.
Si, si, c’est en France. Si, si, c’est en 2006. Bonne journée en République."
Patrick TRANNOY