Passions politiques, indécision du peuple
par Bernard Dugué
mardi 1er mai 2007
S’impliquer comme je l’ai fait dans une campagne politique apporte beaucoup de choses et, notamment, ouvre vers une compréhension philosophique du monde qui évolue et se transforme. Quelque part, une conscience de plus en plus précise voit le déroulement et du sens se constituer. Notamment en écrivant billet sur billet et en analysant les commentaires venus en nombre sur ce support. Une passion politique s’empare des intéressés.
Avec le travail intellectuel de chaque jour, l’âme se charge de vérité. La première évidence, c’est qu’on voit se dessiner trois types d’attitude face à la campagne. D’abord les partisans et militants. Ils se dévouent passionnément à leur cause et, parfois, sont agressifs et intolérants. C’est leur nature, il faut s’y faire et être tolérant. Ensuite, nous avons les spectateurs des élections. Ils restent à distance et se comportent en snipers, jetant des tomates sur la scène, sifflant, sans vraiment s’intéresser au fond de la partie, mais prenant prétexte dès qu’un événement spectaculaire advient dans cette campagne très mouvementée. Ils sont concernés, sans doute, mais leur esprit vagabonde entre la détresse nihiliste et le substitut ludique que constitue la Toile. Il reste enfin ceux qui, sans être partisans, n’en sont pas moins lucides et convaincus du scénario qui se joue en 2007 et, le moment venu, décident d’intervenir et de ne plus rester neutres. On les reconnaît aisément. J’en fais partie et je confirme qu’on peut être passionné par l’élection sans être aucunement partisan envers un candidat ou une formation politique. Et bien évidemment, il reste cette supposée majorité silencieuse qui ne dit rien, sur le Web et encore moins dans les médias conventionnels, sauf à l’occasion d’un micro-trottoir.
Cette élection est importante sur le plan symbolique car elle révèle où se positionnent les Français dans le champ des idées et des valeurs. Elle l’est sans doute moins sur le plan pragmatique car les contraintes techniques, économiques, sociales, ne laissent aux politiques que peu de marge de manœuvre, sauf si on accepte que les changements se font dans la durée. Dans ce cadre, les préférences politiques traduisent des intérêts particuliers, et parfois des choix en terme de valeur et de civilisation. Un scrutin bascule sur ces deux pôles. Voilà pourquoi les candidats insistent beaucoup sur l’aspect pragmatique et programmatique. Ils n’ont pas tort, la grande majorité des Français sont à l’écoute. Peu entendent les choix dans le sens spirituel, comme projet de civilisation. Les politiques à la tête du combat en savent plus, notamment sur l’état des forces en présence et des puissances qui poussent l’histoire à s’accomplir dans un sens ou dans l’autre. Mais comme les sociétés sont devenues techniciennes, je crains, autant que je m’en réjouis (les raisons étant différentes), que l’histoire ne soit enterrée et que tout se joue sur des questions de gestion économique. A chaque citoyen d’influer, très modestement, sur les règles sociales et de créer, dans l’espace de liberté dont il dispose, les clés de son destin.
La campagne a porté sur deux composantes de l’action politique. Que va-t-on faire, comment et avec qui ? Très simple en fait. Le "quoi faire ?" est exposé dans les programmes censés répondre à des problèmes clairement identifiés : croissance, chômage, sécurité, banlieues, éducation et, plus loin, culture, Europe, international. Le "comment ?" et le "qui ?" englobent à la fois la réforme des institutions et la qualité de la future équipe dirigeante. Cela revient à changer les règles du jeu sur le terrain, l’arbitre et trouver la meilleure équipe. Sarkozy suggère une équipe UMP plus quelques joueurs étrangers, Tapie, Besson... Du côté de Royal, on ne saura pas avant les législatives si sera créée une équipe mixte, PS et centre.
En fin de compte, le débat politique a porté essentiellement sur ces thèmes économiques : comment produire plus, investir dans la recherche technologique ? Comment répartir la richesse, faire fonctionner l’Etat, aider les plus démunis à s’en sortir, augmenter le pouvoir d’achat des plus pauvres ? Sur ces points, la distance entre la droite et la gauche semblait réduite au début de la campagne, puis les discours des deux candidats se sont un peu radicalisés. Royal est apparue plus proche des gens modestes et Sarkozy assez brutal et, il faut le dire, près des milieux financiers. Mais dans l’ensemble, les Français ont senti que les candidats ont répondu à une attente de changement. Reste à savoir quel doit être ce changement et son intensité. Au vu des problèmes à résoudre, on peut penser qu’il faudra bousculer les habitudes.
Cette campagne a donc été passionnée mais, une fois la partie achevée, les Français vont certainement revenir à leur quotidien. La tension aura baissé. On se demandera alors quelle était le prétexte à tant de passion. Déjà, avant même que l’issue soit connue, on peut pressentir que l’écart entre les deux candidats a été passionnément agrandi car une élection se veut dialectique et le Français a l’habitude d’un choix clair, presque manichéen. D’où cette campagne qui est sortie du strict cadre des programmes, débordant largement sur la personnalité des candidats. Au début, l’incompétence de madame Royal, maintenant, la dangerosité de monsieur Sarkozy, ses pressions sur les médias, le TSS qui s’en est suivi. Toutes ces attaques ont un fondement mais l’exagération et la caricature sont de mise. Il faut bien faire basculer le scrutin dans un sens ou dans l’autre. Persuasion, publicité, propagande et mise en scène sont des méthodes incontournables. Il n’y a pas d’éthique. Si un camp refuse d’utiliser ces armes, il pourrait gagner dans un régime aristocratique où le sens de l’honneur est le ressort du pouvoir ; mais pas dans une démocratie. Il faut s’y faire.
J’ai donc été passionnément de gauche. Avant, j’étais de gauche mais sans passion, après, ce sera la même chose. Une chose est sûre, ceux qui gagnent sont ceux qui sont les plus passionnés. Et pour être honnête, je dois admettre que les deux camps sont au même niveau. D’où l’incertitude du scrutin. Car rien de bien tangible ne se dessine. L’économie et la technique ont rendu floue la politique. C’est peut-être une hypothèse à prendre au sérieux. Une hypothèse connue depuis longtemps.