Quand il entend le mot journaliste, Poutine sort son revolver
par LM
mercredi 11 octobre 2006
A trop se focaliser sur l’ogre texan, on en oublierait presque qu’un autre petit père dépeuple la démocratie : Vladimir Poutine, qui dégaine plus vite que W.
Bien sûr, il faut « attendre les résultats de l’enquête ». C’est la formule convenue, une sorte d’expression polie et diplomate pour botter en touche. Mais qu’attendre d’une « enquête » menée dans un pays où les médias sont muselés, où seul le Kremlin décide de ce qui est bon à savoir ou pas, de ceux qu’on doit emprisonner ou laisser libres ? Qu’attendre d’une enquête qui n’aura pour seule directive que de tenter de démontrer que Poutine n’y est pour rien, et que ce sont sans doute quelques « criminels de droit commun » qui ont plombé de quatre balles le corps de Anna Politkovskaïa, abattue « comme un chien », pour la faire taire.
Réduire au silence les opposants semble d’ailleurs bien être le seul objectif que Vladimir Poutine s’est fixé depuis qu’il a repris d’une main de judoka les rênes de l’ex-URSS. Réduire au silence ceux qui voudraient surtout « faire la lumière » ou « mener des enquêtes » de façon indépendante, objective et libre, sur quelques zones d’ombre du régime.
Pas d’enquête sérieuse sur la prise d’otages d’un théâtre en plein Moscou, prise d’otages qui se solda par la mort de plusieurs centaines de personnes. Pas d’enquête fiable sur les erreurs de jugements et les approximations barbares lors du « règlement » de la prise d’otages de Beslan, avec 186 enfants morts à la clé.
Pas d’enquête sur les emprisonnements plus ou moins arbitraires de certains oligarques soupçonnés de vouloir faire de l’ombre au parti, ou jugés « coupables » de passer à « à l’Ouest » avec leurs gros capitaux.
Pas d’enquête, surtout, sur cette fameuse guerre de Tchétchénie. Ce bourbier russe, où l’on piétine les droits de l’homme comme d’autres fabriquent des bombes, cette honte humaine que tout le monde connaît mais fait semblant de ne pas voir. En Tchétchénie, les Russes mènent une guerre comme autrefois Staline conduisait ses purges. On massacre, méthodiquement. Grozny vitrifiée, les habitants éliminés, enlevés, violés, torturés, sans que personne n’en dise rien, ou presque. Anna Politkovskaia était de ces « presque », refusant de se coucher, refusant de s’allonger, refusant de s’asseoir à la table des truands qui ont choisi, au mépris de tous les droits, d’avilir un peuple, de détruire une nation comme jamais on ne l’avait vu depuis quelques décennies. Elle n’était qu’une journaliste, mais une journaliste fière, bouleversée et têtue, qui ne voulait pas lâcher l’affaire. Elle a publié plusieurs articles et livres sur le sujet, s’obstinant à démontrer, preuves accablantes à l’appui, l’intolérable cruauté (sur ce point-là au moins) du régime Poutine.
Ce dernier, aussi obstiné, têtu, mais moins bouleversé par le sort tchétchène qu’elle, a su se servir du pare feu du 11 septembre, et de toute l’attention du monde détournée soudain vers l’Amérique et sa vengeance, pour continuer en douce ses petites horreurs quotidiennes sur le front tchétchène.
La « diabolisation » de Bush et de Ben Laden, Laurel et Hardy d’un même cirque tragique, a servi Vladimir Poutine, lui offrant une excuse toute trouvée pour justifier l’injustifiable : la lutte contre le terrorisme. Les Tchétchènes devinrent ainsi des « ennemis du monde libre » et l’homme fort de Moscou aurait du coup mal compris que quiconque l’empêche de mettre « hors d’état de nuire » de tels suppôts de « l’axe du mal ».
Anna Politkovskaia allait publier un nouvel article apparemment riche en révélations terrifiantes sur l’usage systématique ou presque de la torture en Tchétchénie. Elle n’en aura pas le temps ou, du moins, s’il paraît quand même, elle ne pourra pas le lire... ni le vérifier.
De quatre balles dans la peau, sa vie s’est arrêtée, sa carrière aussi, sa plume, enfin. Une de moins pour dire tout le mal que l’on peut penser, à juste titre, de Vladimir Poutine, Staline d’opérette, qui a depuis longtemps posé son gant de velours pour ne garder qu’une main de fer, brutale et sournoise, qui à ce train-là va faire reculer la Russie à l’âge de l’URSS.