Tout près de chez moi

par chapamga
mardi 26 décembre 2006

Depuis une dizaine de jours, chaque nuit, des SDF ont élu « domicile » à Boboland, sur les bords du Canal Saint-Martin. L’impact, le choc, puis la médiatisation de cette opération... Impressions de la riveraine que je suis...

Tout près de chez moi, à Boboland, y’a un truc bizarre qui s’passe...

J’habite une rue perpendiculaire au Canal Saint-Martin, ce quartier de Paris, tant prisé des bobos, où il fait bon de se promener le dimanche, le long du canal, où il est agréable de s’asseoir les soirs d’été, sur les quais, pour pique-niquer et siroter une bière... Tout près de chez moi donc, c’est la belle vie.

L’hiver, la vie de sédentaire reprend ses droits, et les bords du canal se vident, comme les terrasses des cafés et les rues... C’est vrai, il fait froid au mois de décembre à Paris...

Et puis un beau matin, je sors de chez moi, j’arpente mon petit canal si tranquille et là, sur au moins deux cents mètres, je vois une cinquantaine de tentes rouges, établies de part et d’autre du cours d’eau... Etrange, ce camping sauvage... Je me rapproche, chaque tente arbore les initiales SDF, je comprends tout de suite.

Depuis un an, l’association Médecins du monde a offert aux sans-abri des tentes pour qu’ils puissent camper, puisque les centres d’hébergement sont inadéquats, inadaptés et la plupart du temps saturés. Depuis un an, des tentes surgissent de toutes parts, dans un Paris devenu hors de prix, où le loyer d’un deux pièces décent équivaut à un Smic...

Des tentes comme celles du Canal, il y en a des centaines et des centaines dans toute la ville, au grand dam de la municipalité qui essaie de les chasser des endroits touristiques ; c’est vrai, c’est moche, des tentes, ça sonne faux dans l’harmonie architecturale et urbaine de la ville lumière.

Rendre la misère visible, tel était le but de Médecins du monde. Voir un SDF dormir sous des cartons passe désormais inaperçu, alors que les tentes... Celles du canal, elles sont rouge sang, comme une blessure qu’on arrive pas à panser.

En fait, le « camping sauvage » sur les bords du canal, c’est une opération de sensibilisation sur les conditions des sans domicile fixe. Réveiller les consciences endormies par la consommation et par l’hiver.

Les Enfants de Don Quichotte, l’association qui est à l’origine de ce coup de force, ont donc invité la population à venir dormir, ne serait-ce qu’une nuit, sous ces tentes rouges, pour comprendre qu’être SDF, ce n’est pas un choix. L’association a réussi son coup : depuis une semaine, elle bénéficie d’une couverture médiatique inattendue, des personnalités sont même venues tenter « l’expérience »... Et, campagne électorale oblige, chacun des candidats à la fonction suprême a eu son petit mot de Noël pour les SDF, avec de grandes promesses et de belles paroles.

Alors quoi ? Dix jours passent, et les tentes sont encore là. Maintenant, 21 décembre, il fait un froid de canard à Paris. Et la blessure se répand de part et d’autre du canal, telle une hémorragie... D’autres tentes sont venues s’ajouter aux tentes rouges... Je n’ai pas compté, mais ça va de l’Hôtel du Nord à la passerelle Alibert (un des ponts du canal)... Plus de cinq cents mètres,

jusqu’à quand ? Jusqu’où ?

Tiens, justement, sous la passerelle Alibert, y’a un petit homme qui a construit sa maison. Enfin, maison, c’est un bien grand mot. Lui, ça fait plus d’un mois qu’il est là. Il a quatre ou cinq chariots Sncf, des dizaines et des dizaines de sacs poubelles sont amoncelés tout autour... Je crois bien même qu’il a réussi à avoir de l’électricité.

Je passe devant lui tous les jours, et je n’ai pas dormi sous une de ces tentes rouges. La honte m’envahit tous les jours maintenant, chaque fois que je traverse le pont. Honte d’avoir un toit, de ne pas les aider, honte d’avoir une vie relativement normale, même si je suis un peu précaire, honte de rire, de sortir et de m’amuser alors qu’eux, ils survivent, chaque jour, chaque heure, chaque minute.

Et en même temps, ce n’est pas à moi d’avoir honte... C’est à nous tous, collectivement. Notre société se précarise à vitesse grand V, aussi vite que la planète qui se réchauffe... Mais ça, c’est encore une autre hémorragie...

Le coma n’est pas loin, regardons la Star ac’.


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