Y a-t-il un vrai libéral dans la salle ?
par Philippe Astor
mardi 26 septembre 2006
Je crois qu’on ne fera pas l’impasse, dans cette campagne présidentielle, sur la définition de ce qu’est vraiment le libéralisme, ou plutôt sur le sens que donnent à ce terme libéraux de tous acabits. et anti-libéraux. Le journaliste et essayiste Thierry Crouzet, qui se réclame d’un nouveau libéralisme politique, mixant démocratie en réseau et organisation horizontale de la société, classe le « libéral » parmi ses ennemis politiques. C’est à n’y rien comprendre. Mais y a-t-il seulement un vrai libéral dans la salle ?
Sur son blog politique, Thierry Crouzet, un exégète du « peuple des connecteurs » et du « cinquième pouvoir » qui est aussi une vieille connaissance, dresse la liste - et trace un portrait au vitriol - de tous ses ennemis politiques, parmi lesquels on retrouve pêle-mêle les intégristes, les conservateurs, les gauchistes, les écologistes, les capitalistes, les libéraux, les globalisateurs, les alters (« ils sont à la fois gauchistes, écologistes et globalisateurs »), les idéalistes et les « réductionnistes » (catégorie qui conviendra probablement pour classer tous ceux qui ont trop ou pas assez de conscience politique pour se retrouver dans les autres).
Le moins qu’on puisse dire est que Thierry Crouzet n’a pas beaucoup d’amis. Peut-être chez les socialistes (qu’il n’a pas cités et ne cèdent pas tous aux sirènes du gauchisme, mais ils cumulent tellement d’autres tentations - libérale, écologiste, globalisatrice, alter-mondialiste, etc.), ou bien chez les communistes (s’il en existe qui soient partisans d’un communisme complètement décentralisé, qui puissent s’entendre avec ce partisan d’une démocratie en réseau et d’une société horizontale totalement dé-hiérarchisée, on peut rêver...), ou alors au centre.
Mais on est tous tellement à le chercher, ce « centre révolutionnaire » cher à Jean-François Kahn - celui de tous nos équilibres politiques, entre préoccupations sociales, environnementales, économiques, géopolitiques, sociétales, morales et personnelles - que tout le monde croit l’incarner alors que personne ne s’y trouve. Cela dit, là n’est pas la question.
Un animal politique aux multiples facettes
Vous constaterez peut-être avec autant de ravissement que moi que toute la discussion qui suit la note de Thierry Crouzet, dans les commentaires postés sur son blog, porte sur des divergences concernant le profil du vrai « libéral ». C’est certainement, pour partie, parce qu’on croise beaucoup plus de libéraux (de gauche et de droite, revendiqués ou qui s’ignorent) sur certains blogs politiques que dans la rue. Comme, en plus, ce drôle d’animal politique a de mutiples facettes et que personne ne s’entend vraiment sur celle qui le résume le mieux, c’est un peu normal qu’on achoppe sur sa définition.
Le libéralo-gaullisme : un vrai-faux libéralisme ?
Je suis assez d’accord avec Thierry Crouzet : il existe un courant politique dit « libéral », en France, qui correspond assez bien au profil qu’il dresse (« [...] Nos libéraux de droite veulent libérer le business de l’État afin que le business devienne le seul patron. Ils se trahissent toujours car, tout en poussant [au] libéralisme économique, ils multiplient les lois qui restreignent les libertés individuelles. ») C’est globalement, à mon avis, le courant de l’UMP, dans lequel les vrais libéraux à l’anglo-saxonne, dont Madelin fut un chef de file, se sont purement désintégrés.
On donne plutôt, à l’UMP, dans le registre d’un libéralo-gaullisme de droite (pourquoi n’en existerait-il pas un de gauche ?) qui finit par ne plus être ni vraiment libéral ni vraiment gaulliste, mais seulement et presque caricaturalement de droite. C’est en revanche un excellent fédérateur de toutes sortes d’égoïsmes, quand la gauche, elle, fédère plutôt des corporatismes, ou des particularismes.
Il y a donc ces libéro-gaullistes à la française, héritiers de toutes les casseroles de la droite, et puis aussi ce courant de néo-libéraux constitué essentiellement aujourd’hui d’électrons libres, orphelins (au moins en terme de représentation politique) du madelinisme, qui cèdent pour certains à la tentation du libertarisme, idéologie politique anti-étatique essentiellement préoccupée de libertés individuelles dans la sacro-sainte sphère économique.
Entre libéralisme et « bordélisme »
Nous avons aussi en France - et certains croient y voir un signe de modernité - une « gauche libérale ». Mais alors là, pour le coup, on est dans le pâté ! Tout simplement parce que cette gauche-là, la seule qui puisse prétendre à être une gauche de gouvernement, doit râtisser très largement à toutes les élections, au moins au second tour (mais désormais, elle sait qu’elle doit d’abord s’assurer de passer le premier), sur son propre terrain comme sur celui de l’antilibéralisme le plus primaire.
Du coup, elle en a à chaque fois pour son lot de contorsions, de
concessions et de compromissions, qu’elle parvient tant bien que mal à
noyer dans la langue de bois. C’est une gauche « torticolis », qui ne
parvient jamais à décider si le soleil se lève à l’Est ou à l’Ouest, et
si c’est la Terre qui tourne autour de lui ou bien l’inverse. Résultat,
et vous le constatez comme moi, ses voix mutiples - et leur cacophonie
- donnent plutôt dans le registre du « bordélisme » que dans celui d’un
véritable « libéralisme » de gauche.
Libéral, libertaire et libre-penseur
Est-ce qu’on a fait le tour ? Eh bien, non. Car il existe encore une autre race de libéraux, celle à laquelle j’appartiens, dont la pensée et la culture politique sont avant tout libertaires, dont le libéralisme est essentiellement politique, même s’ils n’en rejettent pas la dimension économique. Si on cherche un tel libéral dans la salle, je réponds présent.
Je suis à la fois libéral, libertaire et libre-penseur, un brin gaulliste (l’appel de Londres, ce fut une vraie « rupture ») mais proche des préoccupations sociales des anti-libéraux (même si je n’adhère pas toujours, loin de là, aux solutions qu’ils préconisent), écologiste convaincu (tendance « cohn-benditiste », plus proche des Verts allemands que des français) et altermondialiste (au sens de partisan d’une autre mondialisation), républicain, eurofédéraliste et anarchiste, et non pas globalisateur (think global, act local) mais « glocalisateur » (to act global, act local), avec un vrai fond humaniste. Les seules choses que je ne suis pas, c’est conservateur et intégriste. Pour qui vais-je bien pouvoir voter ? Je l’ignore encore. Tout ce que je me demande, pour l’heure, c’est si je fais partie des amis ou des ennemis politiques de Crouzet.