Zidane, Noah, etc., hélas !

par Philippe Bilger
jeudi 4 janvier 2007

L’année 2007 commence en trombe.

Samy Naceri refait des siennes, de plus en plus gravement. La démagogie politique et la caution juridique prospèrent à propos de la misère. Le droit "opposable" au logement ! Si l’Etat ou les collectivités locales sont capables demain de fournir un logis à qui le réclame et n’en trouve pas, cela voudrait dire que la crise du logement est un leurre. Or on sait qu’elle pèse avec sa douloureuse réalité. Autrement dit, à nouveau une annonce bien commode pour une générosité qui n’a pas les moyens d’être effective. A politique impossible, élans délicieux du coeur par effervescence législative interposée. Mieux vaudrait moins de sensibilité et plus d’efficacité au jour le jour.

J’ai déjà été trop long sur ce thème chroniquement urgent qui, chaque année, vient chatouiller désagréablement les consciences. Chaque année aussi, dans Le journal du dimanche (JDD), on retrouve le Top 50 des personnalités préférées des Français. C’est sur ce classement que je voudrais attirer l’attention de ceux qui me lisent.

Lorsqu’on demandait à André Gide quel était le plus grand poète français, il répondait "Victor Hugo, hélas !" En consultant la liste du JDD, qui met en évidence une multitude de people sans doute valables dans leur discipline mais écrasés par l’honneur qui leur est fait - je pense, par exemple, à David Douillet, Claire Chazal, Jean Dujardin, Fabien Barthez ou Franck Ribéry -, je suis surtout frappé par le fait que Zidane et Noah sont en tête et que les politiques sont à la fois rares et mal classés, à l’exception de Nicolas Hulot si on veut bien admettre que, depuis quelque temps, il porte une double casquette.

Je ne résiste pas à la provocation de déplorer, par un hélas à la Gide, la domination, dans une telle hiérarchie, de Zidane et de Noah. Le ballon rond, la petite balle de tennis. Le footballeur génial, l’auteur d’un coup de tête mémorable, l’humanitaire médiatique, le bon fils, l’excellent père, le locuteur minimaliste. Le vainqueur du tournoi de Roland-Garros, le chanteur, l’homme des familles recomposées, l’humanitaire encensé, l’être engagé parfois simpliste parti en Suisse puis revenu. Pourquoi eux, pourquoi une telle focalisation sur des existences qui brillent mais qui diffusent une faible lumière et ne changent rien de fondamental à la vie des gens ?

Parce qu’elles sont visibles et qu’elles semblent constituer une possibilité de lien, une chance d’union, elles sont distinguées bien au-delà de leurs qualités personnelles. Parce qu’elles sont, tout simplement, et qu’à tort ou à raison elles représentent un prolongement rêvé et impossible, on les porte aux nues l’espace d’une seconde, sorties de leur essence et de leur statut particuliers pour entrer dans le royaume des modèles, des idoles, de la mythologie. C’est notre vie et ce n’est plus la nôtre. Tout cela, pourra-t-on me répliquer, relève de la banalité et ne concerne que le parisianisme. Je ne crois pas et sans doute faut-il tenter d’aller plus loin dans l’analyse.
Pour ma part, au risque de susciter l’antipathie, je ne parviens pas à me résoudre à ce que que dans un tel classement, pas plus absurde qu’un autre, les politiques, les créateurs, les responsables, les porteurs d’espoir global soient si clairement relégués au bénéfice des paillettes, de la facilité et souvent de réputations surestimées. Certes, Ségolène Royal a fait un bond, mais elle se trouve à la 23e place, Simone Veil à la 25e, Bernard Kouchner à la 40e et Nicolas Sarkozy à la 42e, pour ne parler que d’eux.

Il me semble qu’il serait un peu court d’attribuer le seul succès des non-politiques à leur omniprésence médiatique. Il y a plus et qui est plus intéressant. Ceux qui les placent au plus haut, contrairement à l’ostracisation des politiques, ne désirent-ils pas précisément se plonger dans un bain de jouvence mais démocratique, dans un océan d’irresponsabilité mais assumée, dans un monde de gratuité mais valorisée ? Ils n’ont rien à dire sur nous, sur notre société, en tout cas pas plus que le commun des citoyens, et pourtant on les écoute. Noah profère des absurdités techniques sur Nicolas Sarkozy, il est vénéré quand le ministre voit sa réponse étouffée par le poids immense de l’incompétence.

Irresponsabilité, incompétence, vision parcellaire, subjectivité à la fois friquée et facilement généreuse, éructations faciles, sommaires et péremptoires, leçons rudimentaires de morale (tiens, étonnant que Joey Starr ou Naceri ne soient pas dans les cinquante !), tout ce qui pourrait dégoûter un esprit et une intelligence lucides et avertis enchante, au contraire, une communauté qui en a assez de se trouver devant son existence, la société et le monde comme devant un rébus, une énigme insoluble. On ne supporte plus de ne pas avoir les clés de la complexité au sein de laquelle nous respirons. Hier, nous pensions pouvoir la surmonter et la comprendre. Aujourd’hui, elle nous étouffe. Aussi nous réfugions-nous auprès de ceux qui donnent l’illusion que les choses sont simples, le temps maîtrisable et l’avenir assuré. Nous offrant la partie pour le tout et le superficiel à la place du profond, ils nous rassurent. Dans leur ombre, dans leur lumière d’un instant, nous nous mettons à l’abri.

Les politiques, c’est évidemment l’inverse. Il n’est même pas nécessaire d’évoquer la multitude des déceptions causées aux citoyens par une caste de responsables publics, toutes tendances confondues, plus soucieuse de décréter que d’accomplir. Le pain et les jeux des temps antiques ont été remplacés par le règne des paroles qui ont ceci de bon qu’elles ont la saveur des actes sans avoir à subir la dure métamorphose du virtuel en réel. Le politique, aujourd’hui, peut être rejeté parce qu’il a trop trahi mais surtout, et c’est plus grave, parce que la politique, ses choix et ses limites, ses défaites, même de bonne foi, rendent compte de manière ostensible et douloureuse de la complexité, de l’entrelacs des faits et des possibles, de la conscience de ce qu’il conviendrait d’opérer et de la tristesse de ne pouvoir le mettre en oeuvre. Le citoyen déserte la politique ou s’abandonne aux extrémismes, parce que la première révèle trop, derrière son air épouvantablement sérieux, que la vie nationale et internationale est ingérable et que les seconds, par leurs solutions incantatoires, offrent du sommaire à l’esprit et au vote.
Le Top 50 montre toujours plus que son apparence. Là où la futilité semble triompher, c’est une conception de la société qui se manifeste. Si les people ont pris le pouvoir, ce n’est pas seulement grâce aux médias. C’est aussi parce qu’on les a laissés le prendre.

On a absurdement considéré que leur intrusion dans le sérieux et le grave allait élargir l’amplitude des médias et accroître l’influence politique quand, au contraire, elle a par contagion décrédibilisé et délégitimé la chose publique et ses serviteurs. Les politiques ont trop joué avec un feu qui ne leur voulait aucun bien. Par démagogie, pour faire "jeune", pour faire "peuple", ils ont applaudi la montée des clowns et des people. Il n’est que temps, pour eux, de reprendre leur bien et leur rang.

Une société peut demeurer pleine de vie et de créativité même quand chacun demeure à sa place. Ségolène Royal ou Nicolas Sarkozy en tête du Top 50 du JDD, c’est pour quand ?
Il y aura du travail en 2007.


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