Zizou, Chirac et nos valeurs républicaines

par Bernard RUELLE
mardi 11 juillet 2006

La finale de la Coupe du monde a donné lieu, dimanche soir, à un incident choquant : l’agression violente par Zinedine Zidane d’un défenseur italien. Est-il alors légitime , pour le chef de l’Etat, de présenter ce dernier comme un sommet des valeurs humaines ?

Tout d’abord les faits

Nous sommes à quelques minutes de la fin de ce match de Coupe du monde ; la caméra filme un accrochage qui semble mineur entre Zinedine Zidane et un défenseur italien ; échange de quelques mots entre ces deux joueurs, presque à voix basse ; Zidane dépasse le joueur et se positionne froidement devant lui alors que celui-ci, semble-t-il, ne se doute pas de ce qui va lui arriver ; puis le terrible coup de tête, à hauteur du cœur ou du sternum ; le joueur italien est à terre ; le staff médical envoie immédiatement une équipe pour prodiguer des soins, et un brancard.

L’agression fut froidement réfléchie et le coup d’une grande violence : on le voit sur les images de ralenti où la poitrine du défenseur italien s’enfonce sous l’impact. On sait que de tels coups, dans la région du sternum, peuvent tuer.

Il s’agit donc d’une agression gravissime, manifestement préméditée, et, comme de juste, Zidane est expulsé après, toutefois, quelques palabres.

C’est à partir de là que les surprises commencent, et que l’affaire devient, à mon sens, un véritable scandale.

Zizou, qu’as-tu fait ?

Tout d’abord, pas un mot de nos chers commentateurs pour s’enquérir de la santé du malheureux agressé : ce n’est que pleurs et lamentations sur Zidane : ce geste malheureux, à la fin d’une si belle carrière ! Les difficultés que cela va entraîner pour la fin du match... Bernard Tapie, toujours là, expliquera doctement un peu plus tard : « Il a sûrement dit quelque chose sur sa mère ». Cela tenant lieu d’explication, et en vérité, de justification.

Puis, la défaite consommée, on se rabat sur la règle : « L’arbitre n’avait pas le droit de l’expulser sur la base d’une vidéo. » En deux mots « Pas vu, pas pris ». C’est le nouvel universalisme français.

Le sommet des qualités humaines (à la française)

Tout cela ne serait que triste et ne témoignerait que de la déliquescence des plus élémentaires valeurs morales dans le cadre des ces nouveaux jeux du stade, s’il n’y avait eu l’intervention, quelques minutes après l’incident, de Jacques Chirac, président de la République française, premier magistrat de France et incarnation de l’Etat de Droit.

Celui-ci prend la parole à la fin du match, pour réconforter les perdants et la nation. Puis se lance dans un dithyrambique éloge de Zinédine Zidane. Cet éloge commence par un mensonge. On a beau être habitué aux mensonges de nos édiles, l’exemple constant du premier d’entre eux a quelque chose de lassant : « Je ne sais pas ce qui s’est passé », dit-il ! S’il ne l’a pas vu lui-même, ne pouvait-on pas l’informer ? Ne pouvait-il pas demander à s’informer ? Bien sûr, il l’était. Ensuite l’éloge. Non pas seulement pour des qualités (incontestables) de grand joueur mais pour « les plus grandes qualités humaines que l’on puisse imaginer ( !) qui font honneur à la France ».

Un message à la jeunesse

Il m’est revenu à l’esprit un autre drame dont le cadre fut, récemment, un petit village du Sud-Est de la France : des supporters portugais font du tapage ; échange d’injures avec un riverain ; peut-être une injure plus blessante que les autres ; le riverain se saisit d’une arme... Deux morts.

La différence entre le comportement de Zidane et celui de ce forcené est une différence de degré, pas de nature. La justification ou la banalisation du recours à la violence pour n’importe quel prétexte ne peut qu’entraîner ce genre de drame.

Oui, je le dis haut et fort : un homme capable de préméditer et de réaliser l’agression qu’on a pu voir dimanche soir ne possède pas de grandes qualités humaines, en tout cas il lui en manque d’essentielles. Si on peut le plaindre ou le comprendre, ce comportement fait honte à nos valeurs républicaines et universelles. Oui, j’ai honte, et aussi (peut-être même surtout) des propos de notre président de la République et du quitus qu’il a accordé de fait à Zidane après cette agression. Les propos du président intronisent Zidane en exemple. Que comprennent nos jeunes ? On a le droit de répondre par la violence à une insulte ! Voilà le message. L’insulte est une chose abstraite, les coups une chose concrète : pourquoi n’aurait-on pas alors le droit dans ce cas de répondre de la même façon à la violence sociale ? Pourquoi ne pas brûler des autos ou une école lorsqu’on a été éconduit d’un travail ou renvoyé d’un établissement ? L’acceptation de tels comportements bat en brèche tous les efforts déployés par les enseignants et les éducateurs pour faire comprendre aux jeunes que le recours à la violence n’est envisageable dans aucun cas, et que l’on insulte votre mère ne change rien à l’affaire !

Que de chemin parcouru par notre pays : de la République telle que la concevait nos grands penseurs des siècles passés, on est passé à la République des petits césars des stades ! Populisme, démagogie, acceptation de la violence seraient notre nouveau credo ? J’expliquais à un « jeune » mon étonnement et mon indignation : « Chirac vit avec son temps », me dit-il. Avant d’ajouter, avec une certaine cruauté : « Tu mènes un combat d’arrière-garde ! »

Eh bien, je souhaiterais une clarification sur notre combat, à nous qui nous occupons de jeunesse. Il est écrit dans les programmes de l’école primaire : « Les enfants apprennent à refuser la violence, à maîtriser les conflits et à débattre des problèmes rencontrés... »

Cher Monsieur Chirac, puisque Zidane qui possède, d’après vous, les suprêmes qualités humaines, n’applique pas ces principes (que nous enseignons à partir de l’âge de trois ans), hâtez-vous donc de les modifier officiellement : votre gloire dans les stades sera peut-être plus grande.

Monsieur Le Président, vos qualités humaines, à vous, sont trop connues et reconnues pour que vous tombiez dans ces démons-là ! Faites attention, à votre tour, de ne pas rater la fin du match.

Bernard RUELLE


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