Les raconteurs de passion

par C’est Nabum
mercredi 9 septembre 2015

Muses et musées

Auvillar sur Garonne

J'avais décidé d'aller à la rencontre d'une autre batellerie : celle de la Garonne, pour découvrir éventuellement d'autres légendes qui pourraient faire mon miel. Garonne et Loire sont rivières jumelles leurs histoires peuvent être, en bien des points, similaires ; seuls les vocables diffèrent pour se couler ici dans une langue plus chantante.

C'est dans un magnifique village, perché au-dessus de la Garonne, que ma curiosité poussa mes pas. Auvillar appartient à cette petite confrérie des villages les plus beaux de France ; le label n'est pas usurpé même si la présence d'automobiles dans son cœur historique navre le photographe ou l'esthète. Une halle à grains trône au centre d'une place triangulaire, véritable bijou d'architecture à deux pas de la tour de l'horloge.

Le château a disparu depuis belle lurette ; les conflits religieux ont eu raison de la demeure d'Henry IV. Les protestants ayant endommagé l'église, les catholiques leur ont rendu la monnaie de leur pièce en rasant la forteresse. Il est possible de s'indigner des odieuses exactions des monstres islamistes en Syrie à la condition de se souvenir qu'ici aussi, de telles pratiques eurent lieu au nom d'un Dieu qui n'est pas toujours de lumière.

Dans une petite ruelle pavée, le musée de la faïence accueille le visiteur qui veut prendre son billet pour son homologue de la batellerie, installé plus loin. L'occasion fait toujours le larron et Michèle me convainquit bien vite de consacrer quelques minutes à sa crèmerie. C'est elle qui m'apprit les quelques éléments précédents, c'est encore elle qui n'eut de cesse de partager sa passion toute récente pour la faïence.

Embauchée depuis quatre mois pour tenir le secrétariat de l'association des amis des musées d'Auvillar, elle se découvrit une âme de guide. La curiosité se mêlant à son amour pour son village, elle apprit tout ce qu'il fallait savoir pour titiller la gourmandise du touriste. Son art capillaire lui ayant donné un goût prononcé pour la communication, en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, Michèle devint la plus charmante hôtesse qui soit.

J'étais venu pour le musée de la batellerie ; je mis plus de temps les pieds dans le plat à barbe de faïence vernissée qu'auprès des biroles, couperets et autres coutrillons qui naviguaient alors sur la Garonne. Se laisser aller aux rencontres, ne point rester figé sur un programme qui enferme et limite, voilà bien la plus sûre manière de se prendre au jeu des surprises.

Michèle me donna l'envie de revenir ici, de rencontrer les diseuses d'histoires, de participer éventuellement aux nuits de ce charmant village. Nous échangeâmes informations et anecdotes, récits et contes. Que vous soyez touriste ou bien pèlerin (nous sommes sur le chemin de Compostelle), n'oubliez pas de rendre visite à la dame ; vous n'aurez pas beaucoup à attendre pour qu'elle se lève et cherche à vous convaincre de l'intérêt considérable des collections présentées ici.

Le musée de la batellerie me sembla bien fade en comparaison ; une bénévole qui avoue sa méconnaissance du sujet me confia à une bande enregistrée qui ne m'apprit pas grand chose. La petite collection de documents et maquettes constitue pourtant une bonne base de vulgarisation, elle permet de découvrir une réalité sur « les routes qui marchent » comme nommait les rivières le brave Colbert, bienfaiteur de la batellerie.

Il me fallait rendre mes hommages à dame Sainte Catherine, patronne locale des mariniers. Une petite chapelle lui est dédiée, tout près d'un ancien port où, à l'exception d'une cale récemment refaite et d'une marque de crue, il n'y a plus trace du passé fluvial. Ici, la batellerie a totalement disparu, ce qui confirme l'état lamentable de la chapelle.

Heureusement, elle servait de salle d'exposition à un artiste peintre à l'accent landais : Yvon Roumat, qui était en grande conversation avec deux dames. Ils évoquaient tous trois le passage récent de trois pèlerins qui les avaient laissés sans voix. Les marcheurs entrèrent dans la chapelle en mettant un doigt devant leur bouche ; sans un mot, ils allèrent jusqu'à la statue de Sainte Catherine devant laquelle, dévotement, ils se recueillirent longuement.

Puis l'un d'eux, écrivit quelques mots sur le livre d'or de l'endroit avant que de repartir, muet comme une carpe, sans un regard pour les tableaux et les personnes présentes. L'écrit allait éclairer ce comportement étrange : il affirmait la douleur de nos personnages devant les souffrances acceptées par le Christ sur sa croix et la nécessité pour eux de respecter dix jours de silence absolu pour entrer en communion avec lui.

Folie ou bien dévotion extrême ? l'incompréhension dominait dans la chapelle : chacun jugeant ce comportement peu courtois et difficile à saisir. Le peintre en éprouvait même une certaine colère tant son travail avait été invisible à ces mystérieux fous de Dieu. Comme j'étais entré dans la chapelle à la recherche des traces batelières, Yvon Roumat craignait d'avoir affaire à un nouvel illuminé. Il ne se trompait guère …

Je m'empressai de le rassurer en entrant dans un récit qui le laissa tout aussi perplexe mais sans doute beaucoup moins inquiet. Plus je bonimentais, plus l'homme se régalait ; ses yeux pétillaient et, à son tour, il se mit en parole, me parlant en échange de ses toiles. Ce fut un moment merveilleux d'échange et de clarté. Jamais encore un artiste ne m'avait expliqué son travail de la sorte. Il se faisait à son tour raconteur pictural.

Devant un tableau, il cita sa source d'inspiration : un tableau d'un maître hollandais vu à Amsterdam ; une nature morte dans laquelle il avait été frappé par les pommes posées sur un guéridon qui semblaient en suspension. Ne cherchant pas l'imitation, il avait souhaité rendre cet effet d'apesanteur sans vraiment y parvenir. Il disait alors son désarroi de ne pas trouver la technique nécessaire pour obtenir cet effet.

Puis il évoqua sa composition, faite d'emprunts ; les bleuets de Monet, les tournesols de Van Gogh, avec toujours ce souci de citer sans jamais singer. Une fois encore il disait son admiration pour les maîtres et ses propres interrogations de créateur qui cherche sa voie en suivant des indications laissées par plus grand que lui.

Il renouvela ce même récit pour une autre œuvre, citant d'autres références, évoquant de nouvelles difficultés, d'autres réflexions. C'était passionnant et je me laissais déciller les yeux par cet homme de l'art qui voulait que je comprenne sa démarche. La passion au bout du pinceau et de la langue, il parlait et je lui répondais en un étrange échange de récits qui s'entremêlaient. Sainte Catherine avait guidé mes pas et bienheureux sont ceux qui ne font pas vœu de silence, ils trouveront les voies du partage.

La Garonne m'avait ouvert ses bras, m'octroyant deux belles rencontres que je ne pouvais passer sous silence. J'avais retrouvé mon pays d'en France ; je pouvais à nouveau entrer en communion par l'échange. N'est-ce pas là le plus beau des voyages : celui qui conduit au plus intime des passions de son voisin ?

Communicativement leur.


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